«
Il y a du consentement dans le sourire, tandis que le rire est
souvent un refus », affirmait Victor Hugo. On rit à la
lecture de L’insurrection de Pierre Lévy. De ce rire large
et franc qui veut dire « non ».
L’ouvrage
- préfacé par Jacques Sapir - est une fiction. Un roman
d’anticipation politique qui nous propose de parcourir « l’Europe
à l’aube de l’an de grâce 2022 ». Une Europe devenue
FEU (fédération de l’Europe unie), dirigée par l’AISE
(autorité indépendante de stabilité européenne), au sein de
laquelle officient d’anciens élèves de l’EPEG (espace
pédagogique européen de gouvernance) sévissant également auprès
de la CEPDS ou membres de CCTV.
D’entrée,
les sigles fusent. Avec excès, croiront certains. Pourtant, qui a pu
observer de près les arcanes de l’administration française àl’heure de la RGPP (révision générale des politiques publiques)
éprouvera immédiatement un sentiment de familiarité. Orwell était
en deçà de la réalité lorsqu’il décrivait le « novlangue ».
Pierre Lévy colle à ce réel kafkaïen avec lucidité et drôlerie,
mettant en exergue le ridicule définitif du jargon « techno »,
et brocardant dans un même élan les expressions toutes faites de la
pensée molle écolo-boboïde.
Dans ce Meilleur des mondes où règnent enfin « tolérance »,
« efficience », « bonne gouvernance » et
« éco-citoyenneté », tout est fait pour préserver les
« Droits de l’homme », c'est-à-dire « le
libre marché, la libre concurrence, le libre échange, la libre
circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ».
Dans ce cadre, le « crime contre la stabilité économique »
est vigoureusement puni, passible de lourdes peines devant le TVV
(Tribunal Vivendi-Véolia).
Justice
privatisée, salariés qui paient pour occuper un emploi, élections
remplacées par des sondages ou qui, lorsqu’elles ont lieu, peuvent
donner lieu à des « revotes » tant que leurs résultats
ne sont pas satisfaisants, droit de grève cantonné à l’inscription
sur le site web « jesuisengrève.com », les
descriptions cocasses se succèdent à un rythme effréné, au point
qu’on en oublie presque les personnages, aussi évanescents que
l’indique leur prénoms dignes des pires séries télé :
Dylan, Samantha, Cindy…
L’intrigue
semble ainsi parfois un alibi, et Lévy chiade le décor davantage
que le scénario. Avec une insistance où d’aucuns verront
peut-être l’excès militant d’un auteur que l’on qualifiera de
« souverainiste de gauche ». Mais peut-on vraiment parler
d’excès lors qu’à chaque instant, la réalité s’emploie à
dépasser la fiction ?
La Grèce
expulsée du club des pays développés pour redevenir un « pays émergent », le FMI – et la Troïka – demandant à un
État-membre de procéder à un suicide économique méthodique, puis
déclarant finalement : « oups, en fait on s'est trompé »,
le président de la Commission européenne ne se retenant même plus
d’injurier la France en le qualifiant de « réactionnaire » :
ce ne sont pas là des élucubrations de romancier. C’est la
réalité de cette Europe qui s’effiloche et dont les convulsions
macabres devraient tirer des larmes à ceux qui ne prennent pas,
comme Pierre Lévy, le parti d'en rire.
Finalement, la
Construction européenne reste un objet mal connu.
On ignore parfois sous quel angle l’aborder : histoire,
philosophie politique, droit des institutions, économie... La
complexité d’un édifice qui s’est construit de manière brouillone et sans fil directeur, le caractère techno-éco-politique de l'ensemble, décourage trop souvent les
curieux. C’est regrettable, tant il est vrai que notre avenir se
joue désormais, pour une large part, au niveau européen.
Le livre
de Lévy a cet avantage : la satire produit un effet de loupe.
On saisit vite les enjeux de cette Europe en crise. On appréhende
les dérives. Celles déjà advenues et celles, probables, à venir.
L’insurrection est donc une lecture indispensable à ceux
qui refusent de s'éveiller, un beau matin, dans le monde qu'il
décrit.
Lire et relire sur L'arène nue :
"Les Français ont été les cocus de l'Europe", entretien avec JM Quatrepoint CLICK
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Mardi 18 juin 2013 :
RépondreSupprimerFrançois Leclerc écrit :
il n’est pas inutile de lancer un pavé dans la mare, comme vient de le faire le quotidien financier français « Les Échos ». L’ensemble des structures de défaisance (bad banks) créées en Europe depuis le début de la crise logerait actuellement, selon ses calculs, environ 1.000 milliards d’actifs douteux ou illiquides (invendables). L’hypothèse d’une bombe à retardement est évoquée par un journal qui ne verse pas dans les titres à sensation en règle générale.
Quel est en réalité le choix qui se profile, que les débats en cours n’explicitent pas ? Il n’y a à terme que deux solutions :
- soit les États porteront la charge financière de ces pertes,
- soit le système financier risquera de s’écrouler si les créanciers et gros déposants sont fortement impliqués, car les banques sont débitrices ou créditrices entre elles.
On croit dans ces conditions deviner par avance la tournure que ces discussions prennent – le recours aux finances publiques – avec la circonstance aggravante d’une absence de mutualisation de la dette entre les États, ou de son plafonnement si le MES intervient. Ce qui aura comme conséquence d’amplifier les déséquilibres au sein de la zone euro, d’augmenter la dette publique et d’alourdir la charge du désendettement, avec comme seule solution de rallonger encore son calendrier déjà étiré. Ou bien même de rendre insolvables des États, avec comme seule issue de restructurer leur dette. En prenant leurs distances avec le FMI, qui le souligne avec l’exemple de la Grèce, les autorités européennes se voilent la face une fois de plus. Telle est la dynamique dans laquelle nous nous trouvons, si rien ne vient l’interrompre.
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