Jadis, il se disait que
le consentement à l'impôt était au principe même de la
démocratie. De même, en ces temps reculés, alors qu'on circulait
encore à cheval, que les princes charmants combattaient encore des dragons et qu'on utilisait le Minitel pour draguer en ligne, beaucoup
de gens croyaient que le vote du budget de l’État était l'une des
principales prérogatives des représentants de la nation, c'est à
dire du Parlement.
Mais ça, comme dirait
l'autre, c'était avant.
Maintenant c'est
différent. On a modernisé ces vieilles pratiques car elles
sentaient la poussière. Elles n'étaient pas très fun,
elles n'étaient pas très wizzz, elles n'était pas très
« my government is pro-business ». Par chance,
l'Union européenne vint, qui nous aida à venir à bout de ces
rigidités.
***
Le six pack (oh
yeah) et le two pack (come on babe) sont une série
de textes votés par le Parlement européen en 2011 et 2013 et qui
ont largement accru les prérogatives de la Commission européenne en
matière budgétaire. En vertu de ces directives et règlements,
celle-ci peut désormais poser son regard velouté de jeune biche sur
les projets de loi de finances des différents États-membres, avant
même que lesdits projets aient été examinés par les Parlements
nationaux. Ceci constitue, chacun s'en doute, un grand pas en faveur
de « la démocratisation des institutions européennes »
et du « rapprochement de l'Union et des citoyens » tant
désirés par les Bruxello-militants.
C'est à ce petit jeu
intrusif que se livre actuellement la Commission. Et c'est à la
faveur de ces pouvoirs flambant neufs qu'elle devrait, apprend-on, demander à la France :
- de corriger son projet
de budget,
- à défaut, de payer
une amende pouvant aller jusqu'à 4 milliards d'euros,
- et pour finir, pan-pan
cucu, un suppo et au dodo.
***
Par chance, en termes
d'affront, la France a pu bénéficier d'un entraînement préventif
taillé sur mesure : elle a d'abord dû supplier pour parvenir à
caser un Français – Pierre Moscovici – à un poste économique
au sein de l'exécutif européen. Puis elle a dû accepter qu'il soit flanqué de deux supérieurs hiérarchiques1,
tous deux conservateurs et respectivement issus des Pays Baltes et
d'Europe du Nord. Elle le verra peut-être enfin se faire recaler malgré tout, après qu'il se fût prêté à une audition devant les
parlementaires européens jugée peu convaincante par iceux.
Bien sûr, ce ne sont là
que vétilles comparé à l'impact qu'aurait une censure du projet de
loi de finances, qui constituerait un viol caractérisé des
prérogatives du Parlement français. Que
ceci soit tacitement
accepté par avance
et par tout le monde, qu'on
ne se rappelle avoir entendu personne protester contre l'adoption des
six
et two packs n'y
change rien.
L'humiliation
serait totale.
***
Surtout,
cela constituerait un magnifique « deux poids, deux mesures »
dans la
manière dont les
experts-comptables de
Bruxelles mènent
leurs expéditions punitives.
En effet, la Commission n'est pas censée
sanctionner les seuls déficits, mais
l'ensemble des déséquilibres macroéconomiques.
Dont
les excédents excessifs font évidemment partie puisqu'ils
contribuent également
à
déstabiliser
l'économie de la zone euro. En principe, il est donc interdit à un
pays membre d'afficher un solde de ses
comptes extérieurs courants supérieur
à
6 % de
son PIB
pendant plus de trois ans.
Un pays, pourtant,
s'affranchit de cette règle dans l’allégresse et dans la longue
durée. Il s'agit bien sûr de l'Allemagne, qui détient - devant la
Chine - le record du monde en matière de surplus commerciaux et qui
devrait afficher un excédent courant de 7,2 % de son PIB cette année. Un chiffre qui alarme beaucoup de monde puisque les États-Unis s'en sont émus dès 2013, suivis du Fonds monétaire
international. Même l'austère patron de la Banque centrale
allemande, Jens Weidmann, semble avoir plaidé un temps pour en
rabotage de la compétitivité allemande relative, puisqu'il
proposait en juillet dernier que les salaires soient augmentés de
3 % dans son pays.
La Commission Barroso, quant à elle, envisagea furtivement des sanctions à l'encontre de Berlin. Depuis, on n'a guère de nouvelles, au point qu'on a envie
d'oser cet audacieux questionnement : « outé sanctions,
outé ? ».
Las, on peut s'autoriser
à douter que Jean-Claude Juncker qui doit son poste de président de
la Commission à Angela Merkel tout comme il lui doit la
possibilité-même d'y avoir été candidat2,
se hasarde à exhumer cet épineux dossier. Et l'on s'interroge
derechef : outé, impartialité, outé ?
1 Les
deux patrons de Pierre Moscovici sont le Finlandais Jyrki
Katainen, désormais
vice-président de
la Commission chargé de
l'emploi et de la croissance, et
le Letton Vladis Dombrovskis, vice-président chargé de l'euro et
du... dialogue social (si, si....).
2 Angela
Merkel a d'abord imposé que Jean-Claude Junker soit le candidat du
PPE au poste de Président de la Commission car elle ne voulait en
aucun cas de Michel Barnier. Elle a ensuite imposé que Junker soit
effectivement nommé, en dépit de l'opposition farouche de la
Grande-Bretagne.