Par Lenny Benbara
Angoisse à Bruxelles.
Notre ami Jean-Claude Junker, qui ne cache plus son rejet des
référendum, a du trembler. Après le Royaume-Uni, l’Espagne et la
Grèce, voilà de nouveau un pays qui vit un « moment
populiste ». Et avec quelle manière ! Le « NO »
massif italien de dimanche soir - 59,7% contre 40,3% pour le « SI »
- avec plus de 65% de participation, fait ressurgir les fantômes du
« OXI » grec qui avait provoqué une hystérie anti-démocratique. C’est une humiliation pour tous ceux qui
portaient le « SI ». Saura-t-on étouffer celui-ci avec
la même audace que le référendum grec ? Rien n’est moins
sûr.
C’est assurément
une victoire pour les opposants à ce référendum, et notamment les
opposants eurosceptiques du M5S, dont on avait expliqué la complexité du positionnement politique dans un précédent article. Ceux-ci ont fait la campagne la plus aboutie et ont
fourni les gros bataillons du « NO ». Le mouvement est
aujourd’hui en tête des intentions de vote avec plus de 33% et se
positionne donc clairement pour une prise du pouvoir. Mais il y a
d’autres vainqueurs, le mouvement d’extrême-droite qu’est la
Ligue du Nord, les berlusconistes, la minorité interne du Parti
Démocrate, et notamment Stefano Fassina, ancien vice-ministre des
finances qui a fait une campagne très appuyée et qui appelle
ouvertement à sortir de l’euro.
On pourrait rétorquer
que ce référendum n'avait aucun lien avec l’Union Européenne.
C’est néanmoins s’aveugler sur la signification politique du
vote de dimanche. Car le vote a déjà fait une victime, le
tonitruant Matteo Renzi qui a rendu sa démission (même s'il va
demeurer en poste le temps du vote du budget). Ce qu'incarne
celui-ci, arrivé avec fracas après avoir écarté Enrico Letta, est très lié à l’Union Européenne.
Ce qu’incarne Matteo Renzi et ce que les italiens ont rejeté
Renzi, c'est l’homme
devait « réformer le pays en 100 jours », puis en 1000
jours, pour restaurer la prospérité italienne après 5 années de
crise qui ont été dévastatrices. Sa méthode ? Une politique
de réforme du marché du travail et de flexibilisation des
« rigidités » agressive, couplée à une communication
et un positionnement « moderne », « novateur »,
« anti-élites » et « progressiste ». Renzi,
c’est un mélange à la sauce italienne entre Emmanuel Macron et
Manuel Valls. Le discours bougiste du premier, l’habileté
communicationnelle et l’ambition du second. Renzi, c’est l’homme
qui a réussi à avaler une partie du centre droit dans une « union
des centres » qui incarne le consensus européiste -malgré des
coups de menton de façade.
Problème, les
italiens n’ont pas vu les résultats de cette politique qui s’est
avérée catastrophique. Le chômage est toujours à plus de 11,5% et
l’Italie s’appauvrit structurellement
en termes de revenu par habitant depuis son entrée dans l’euro. Pis encore, la dégringolade continue,
la croissance italienne a été revue à
la baisse pour les prochaines années. A cela, s’ajoutent des
inégalités en forte hausse et une crise bancaire chronique qui ne
peut qu’empirer avec la dégradation de la conjoncture économique
italienne.
Cette réforme
constitutionnelle, dont les tenants et les aboutissants ont été
analysés par Coralie Delaume ici,
devait permettre à Renzi de se libérer les coudes et de pouvoir
« réformer » pour enfin trouver les « résultats »
de sa politique. C’est donc à la fois, l’homme, ce qu’il
symbolise, c’est-à-dire la modernité européiste, et son bilan,
qui ont été balayés d’un revers de la main par les italiens.
Bien entendu, les arguments rhétoriques de la campagne, et notamment
la peur de la dérive autoritaire par le renforcement du pouvoir
exécutif en cas de passage de la réforme, ont influé sur le
résultat, mais ils ne remettent absolument pas en cause ce qui s’est
joué sur le fond. Matteo Renzi incarnait à sa façon, la dernière
carte du « système », rafraîchi et rajeuni. A travers
l’homme, c’est tout ce qu’il représente qui a subi hier soir
un cinglant désaveu. Sa défaite fait peser un certain nombre de
risques sur le futur de l’économie italienne.
La
menace d’une faillite bancaire
On sait le bilan des banques italiennes plombé par plus de 360 milliards de créances pourries (près de 20% du PIB italien !). Ce montant provient à
la fois des suites de la crise financière, mais aussi de la
paralysie continue de l’économie de la péninsule pendant les cinq
dernières années. Cela impose un besoin de recapitalisation qui est
bloqué par l’Union bancaire, mécanisme selon lequel il faut
d’abord recourir à un bail-in, c’est-à-dire au fait de
faire payer les actionnaires avant de recourir à un bail-out,
soit une aide de l’État. Le problème réside dans le fait que
nombre de ces banques sont possédées par de petits actionnaires. Le
bail-in aurait donc un coût social très élevé, qu’aucun
gouvernement italien ne peut se permettre à cette heure. C’est
pourquoi la situation est aujourd’hui bloquée, malgré des
petites recapitalisations privées (la dernière en date ayant eu
lieu à l’été 2016).
La recapitalisation en
cours est aujourd’hui menacée par l’instabilité politique. Ce
« NO », à travers l’instabilité politique qu’il
induit, a donc pour effet d’amplifier le risque d’échec du
sauvetage bancaire en cours.
Problème : avec
la politique annoncée par Donald Trump au États-Unis, un vaste
mouvement de remontée des taux s’est enclenché, y compris en
Europe. La zone euro, du fait de son intégration financière avec la
zone dollar, suit ce mouvement. Cette remontée des taux fait peser
un gros risque sur l’État et le secteur bancaire italien. En
effet, l’inflation italienne est une des plus basse du continent.
Cela conduira donc à un accroissement de la charge de la dette des
particuliers, de l’État -même si la BCE atténue ce risque-, et
des entreprises, multipliant le nombre de défauts potentiels et de
créances pourries. On le voit, la situation est vouée à empirer.
Le seul « avantage »
de l’Italie, est que les banques françaises et allemandes sont
exposées à une faillite bancaire en cascade. Le cas de la Deutsche
Bank est particulièrement inquiétant, d’autant plus qu’elle
est profondément engagée sur les marchés de dérivés, dont on ne
connaît ni le montant, ni la composition exacte. Il y a donc une
incertitude forte sur ce qui pourrait se passer. Mais voilà, il
serait très difficile de faire accepter un plan de recapitalisation
bancaire des banques italiennes, faisant voler en éclat l’Union
Bancaire, à une Angela Merkel qui va entrer en campagne et a promis
l’arrêt des aides aux pays périphériques à ses électeurs. On
est là face à des contradictions potentiellement explosives.
Dans ce contexte
d’incertitude forte, on risque donc de voir s’opérer un retrait
des investisseurs d’Italie et un gel des embauches, plombant un peu
plus une conjoncture morose. A cette situation délétère, s’ajoute
un risque politique substantiel.
Le M5S en embuscade
Le référendum de
dimanche a permis au M5S de faire oublier ses errements dans la
gestion de Rome, où l’embauche d’un chef de cabinet à 200 000
euros par an par Virginia Raggi a fait scandale. Ce qui n’a
toutefois pas handicapé la progression du mouvement, qui a le vent
dans le dos. En effet, l’opinion publique italienne est de plus en
plus eurosceptique. Les italiens se sentent particulièrement lâché
dans la gestion de la crise migratoire. Il ne faut pas oublier que
depuis l’accord UE-Turquie, les arrivées ont explosé en Italie,
ce qui, dans un contexte d’appauvrissement du Sud, fait peser un
risque de crise humanitaire. La situation est clairement devenue
explosive de ce point de vue.
Le M5S joue sur cet
aspect, mais aussi sur la crise de la zone euro et de l’UE. Malgré
un revirement en juillet sur la question de l’UE (que le mouvement
n’entend plus quitter mais améliorer de l’intérieur), on peut
se demander s’il ne s’agit pas d’une stratégie laissant planer
l’incertitude sur ses intentions. A la différence d’Alexis
Tsipras en Grèce, les dirigeants du M5S ne sont pas des europhiles,
ce sont avant tout des opportunistes, qui n’ont pas de rapport
fétiche à l’euro. En effet, il est très difficile d’arriver au
pouvoir avec un programme de sortie de l’euro sans déclencher une
panique bancaire. Alimenter l’incertitude pourrait, de ce point de
vue, être particulièrement utile pour prendre de surprise les
marchés.
Mais voilà, avec
l’échec de la réforme constitutionnelle, le M5S a vu ses chances
d’accéder au pouvoir réduites. Comme l’explique très bien Romaric Godin, le passage de cette réforme était la condition qui
aurait permis au M5S de gouverner car le parti n’est pas en mesure
d’être majoritaire au Sénat - qui dispose en Italie des mêmes
prérogatives que la Chambre - à moins de s’allier avec les
néo-fascistes de Fratelli d’Italia et la Ligue du Nord, ce qui
semble plus qu'improbable.
On se dirige donc tout
droit vers une situations de blocage politique, avec un M5S très
fort qui pourrait bénéficier d’élections anticipées pour
devenir majoritaire à la Chambre. En attendant, le plus probable est
qu’on ait un gouvernement technique chargé de produire une loi
électorale, qui, selon les conditions de sa rédaction,
conditionnera une arrivée au pouvoir potentielle du M5S - mais il
est fort probable que ce gouvernement technique impose des garde-fous
pour éviter cette situation.
La situation italienne
est inextricable. Dimanche, nous avons assisté à une secousse de
grande ampleur qui vient enfoncer un clou dans le cercueil de l’euro.
Reste, qu’une sortie de l’euro de l’Italie, si elle semble
inéluctable, ne se produira probablement pas à court terme, à
moins qu’une faillite bancaire généralisée ne vienne provoquer
l’explosion des contradictions économiques et politiques de la
zone euro.
Le problème italien
ne pourra pas être ajourné indéfiniment. Le « moment
populiste » que nous vivons vient mettre un coup dans la
fourmilière européenne, qui, chaque année, voit se multiplier les
crises sans jamais sembler en mesure de les dépasser. Il souffle un
vent puissant en Europe. Après, Cameron, Hollande, Sarkozy, Juppé
et maintenant Renzi, ces six derniers mois, les peuples ont montré
qu’ils avaient visiblement envie de couper des têtes. 2017
s’annonce être un grand cru. Angela Merkel ferait bien de
s’inquiéter.
Texte initialement publier sur Le vent se lève
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