Par David Cayla
Emmanuel Macron va-t-il réformer le marché du travail par ordonnances malgré une majorité écrasante à l'Assemblée ? Oui, probablement, car c'est son projeeeeet !! David Cayla, économiste de plus en plus atterré, nous explique ci dessous pourquoi.
Si l'on sait que les salariés seront, une fois de plus, les grands perdants de la réforme (voir l'interview qu'il a accordée à Le Vent se lève et où il l'explique fort bien), il se pourrait que les entreprises, notamment les TPE-PME, soit durement "impactées" (comme on dit dans les Start up nations) elles aussi. Il se pourrait aussi que le dialogue social en sorte, contrairement à ce qu'on nous dit et redit, en sorte durement affaibli.
Si l'on sait que les salariés seront, une fois de plus, les grands perdants de la réforme (voir l'interview qu'il a accordée à Le Vent se lève et où il l'explique fort bien), il se pourrait que les entreprises, notamment les TPE-PME, soit durement "impactées" (comme on dit dans les Start up nations) elles aussi. Il se pourrait aussi que le dialogue social en sorte, contrairement à ce qu'on nous dit et redit, en sorte durement affaibli.
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Fort d’une majorité
pléthorique, le gouvernement En marche devrait très vite
s’atteler à la première des grandes réformes du quinquennat,
celle du marché du travail. Les ordonnances sont-elles toujours
d’actualité ? Rien dans le discours gouvernemental ne laisse
présager que sa très large victoire aux législatives l’amène à
réviser sa méthode. Car la procédure par ordonnances permet
d’empêcher le Parlement de déposer des amendements en ne lui
laissant la possibilité que d’approuver ou de rejeter en « bloc »
l’ensemble du projet tel qu’il aura été conçu durant l’été.
C’est un double avantage pour le président. D’une part cela
accélère et simplifie la procédure, d’autre part cela interdit
toute dénaturation parlementaire du projet gouvernemental.
UNE MÉTHODE
AUTORITAIRE
Il faut dire que
lorsqu’il était conseiller à l’Elysée, Emmanuel Macron a pu
mesurer la difficulté pour un gouvernement de faire passer ce genre
de textes. Moins d’un an après son élection, la majorité
socialiste s’était alors déchirée pour transposer dans la loi
l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier 2013
entre les organisations patronales et trois organisations syndicales
(CFDT, CFE-CGC et CFTC). La question des accords
« compétitivité-emploi » avaient entrainé une bataille
de tranchée entre les députés socialistes dont certains furent
affublés du sobriquet de « frondeurs ». L’un d’entre
eux, Jérôme Guedj raconta par la suite dans Mediapart
comment la bataille d’amendements avait fini par faire que « l’ANI
ne soit plus tout à fait l’ANI ».
Il est clair
qu’Emmanuel Macron ne souhaite pas prendre un tel risque. C’est
la raison pour laquelle il y a tout lieu de penser que quelle que
soit l’étendue et la docilité supposée de sa majorité il
réformera bien le droit du travail par ordonnance.
Sur le fond, le
gouvernement prétend que rien n’est acté et que tout dépendra
des discussions et des rencontres qui se tiendront au cours de l’été
avec les syndicats et le patronat. Mais le fait même de parler de
« concertation » et non de « négociations »
signifie bien que le gouvernement ne s’engage pas à déboucher sur
un accord. On peut donc légitimement penser qu’il sait
parfaitement ce qu’il veut imposer comme réforme et que l’objet
des discussions estivales n’est pas de permettre aux « partenaires
sociaux » de « co-construire » la loi mais de
trouver jusqu’où le gouvernement pourra aller dans la
libéralisation. Les discussions serviront à tester les limites de
l’acceptable afin, espère-t-il, de désamorcer le pouvoir de
nuisance des organisations syndicales. En somme, le choix de la
procédure et la manière dont le gouvernement entend mener les
discussions témoignent d’une logique bien plus autoritaire que ce
qui est affiché.
DÉPLACER VERS
L’ENTREPRISE LE CHAMP DE LA NÉGOCIATION SOCIALE
Mais à force
d’habiletés tactiques Emmanuel Macron risque d’oublier de se
poser d’autres questions pourtant bien plus fondamentales, et en
premier lieu de se demander si la réforme qu’il envisage est
vraiment nécessaire et souhaitable pour les entreprises. La
philosophie du projet est relativement claire : il s’agit
d’élargir la capacité des employeurs à négocier des accords
d’entreprise en allégeant les contraintes qui les encadrent
aujourd’hui strictement. Parmi les pistes envisagées, les
caractéristiques du CDI pourraient être négociées au niveau de
l’entreprise en prévoyant par exemple des conditions de
licenciement plus larges que celles qui existent. L’employeur
pourrait également, par accord d’entreprise, suspendre certaines
dispositions des contrats de travail existants sans avoir à passer
par un avenant c’est-à-dire sans l’accord formel des salariés
concernés. Un refus de leur part permettrait ainsi à l’entreprise
de procéder à un licenciement automatiquement justifié. Par ces
dispositifs, l’accord d’entreprise pourrait imposer ses normes au
contrat de travail, ce qui signifierait qu’une grande partie du
pouvoir de négociation serait transférée de l’individu vers
l’entreprise.
Un autre volet de la
réforme concerne l’inversion de la hiérarchie entre les
négociations de branche et les négociations d’entreprise.
Aujourd’hui, des rémunérations et des conditions de travail
minimales sont négociées au niveau de la branche c’est-à-dire
entre les représentants des salariés et des employeurs d’un même
secteur. Ces négociations sont essentielles pour deux raisons. Tout
d’abord parce qu’elles simplifient les négociations
d’entreprise, notamment pour les TPE / PME qui ne disposent pas
forcément de représentants syndicaux pour nouer des accords
d’entreprise. Pour ces dernières, la branche prend à sa charge le
poids des négociations, parfois complexes, sur lesquels salariés et
employeurs doivent s’entendre. L’autre rôle des accords de
branche est de suspendre la rivalité entre des entreprises en
concurrence en leur permettant de s’entendre sur des normes
sociales communes.
UN PROJET QUI
AFFAIBLIT LES ENTREPRISES
Le gouvernement
prétend qu’en privilégiant l’accord d’entreprise sur le
contrat d’une part et sur la branche d’autre part, il ouvre le
champ de la négociation entre employeurs et employés. Mais c’est
exactement le contraire qui risque de se produire. À quoi bon
négocier un accord de branche si une entreprise du secteur peut à
tout moment y déroger ? Comment faire confiance à un employeur
au moment de négocier son contrat si à tout moment certaines
dispositions de ce contrat peuvent être suspendues ? Au lieu
d’étendre le champ de la négociation, on le déplace. Mais on ne
le déplace pas n’importe où : on le met précisément là où
l’employeur se trouve en situation de force, c’est-à-dire dans
l’entreprise.
Or, remplacer un
système où la plupart des relations employeurs / employés se
négocient collectivement dans le cadre des branches professionnelles
par un système où l’essentiel des négociations se trouve relégué
au niveau des entreprises est particulièrement inefficace. D’une
part cela oblige toutes les entreprises à négocier des accords
complexes là où auparavant elles pouvaient mandater des
représentant aguerris le faire au niveau de la branche ;
d’autre part c’est la porte ouverte à des stratégies de dumping
qui risquent de favoriser les entreprises qui parviendront le mieux à
s’affranchir des normes de branches.
Imaginons par exemple
que la loi permette à chaque entreprise de négocier librement ses
horaires et ses dates d’ouverture. Deux commerces concurrents
s’affrontent pour une clientèle précise. L’un des deux (a
priori celui qui va le moins bien), négocie avec ses salariés la
possibilité d’ouvrir tous les dimanches afin de capter une partie
de la clientèle de l’autre magasin. La stratégie fonctionne, il
gagne quelques clients que perd son concurrent. Ce dernier est alors
contraint lui aussi d’ouvrir les dimanches et récupère la
clientèle perdue. Au final aucun magasin ne gagne quoi que ce soit
dans l’affaire. Au contraire, en ouvrant davantage de journées ils
augmentent tous les deux leurs frais de fonctionnement sans augmenter
globalement leur chiffre d’affaire. Les deux entreprises sont donc
perdantes. Si la branche professionnelle avait pu imposer une norme
claire sur les dates et les horaires d’ouverture cela aurait permis
d’éviter que les entreprises s’enferment elles-mêmes dans une
concurrence destructive.
LES GRANDES
PERDANTES : LES PME ET TPE
On le voit, les
entreprises n’ont pas forcément intérêt au contournement des
accords de branche. Mais le plus grave c’est aussi qu’elles ne
sont pas toutes à égalité dans la capacité de conclure des
accords d’entreprise. Les grandes entreprises disposent de
ressources RH et de la présence de permanents syndicaux avec
lesquels il est possible de conclure rapidement des accords. Pour les
PME, et en particulier pour les entreprises de moins de dix salariés,
récupérer la charge de la négociation auparavant déléguée à la
branche constitue un véritable problème. En l’absence de
représentants syndicaux elles ne peuvent négocier des accords et
doivent se contenter des dispositifs de branche. Le danger a été
souligné jusque dans les milieux patronaux puisque certains estiment
même que cette réforme risque de donner un « avantage
concurrentiel aux grandes entreprises ».
Pour éviter que cette
réforme ne pénalise les PME le gouvernement envisage donc d’élargir
la possibilité du recours au référendum d’entreprise. Depuis la
loi El Khomri, les employeurs peuvent déjà nouer des accords par
référendum à condition que ceux-ci aient été préalablement
ratifiés par des syndicats qui représentent
au moins 30% du personnel. L’une des pistes envisagée par le
ministère du travail serait de permettre aux employeurs d’organiser
des référendums en l’absence de tels accords, c’est-à-dire à
leur seule initiative. Pour comprendre la portée de cette mesure, il
suffit d’imaginer le pouvoir que cela confère à l’employeur. Au
cours d’une négociation celui-ci pourrait à tout moment décider
de rompre les discussions en interrogeant directement les salariés.
Or, dans un référendum, il n’est plus possible de discuter du
contenu de ce qui est proposé. On doit trancher de manière binaire
en votant « oui » ou « non ». C’est le
contraire de la démocratie sociale qui elle, implique d’aller dans
le détail des sujets en élargissant le champ des discussions non
seulement aux besoins de l’employeur mais aussi aux revendications
des salariés. Permettre au patron d’organiser des référendums
revient donc à lui accorder un pouvoir plébiscitaire qu’il pourra
utiliser pour court-circuiter des négociations avec les
représentants des salariés. Concrètement, cela revient à un
affaiblissement considérable du dialogue social au sein des
entreprises.
DESTRUCTION
PROGRAMÉE DU DIALOGUE SOCIAL
Au final on voit bien
ce que l’ensemble du projet implique. Il s’agit non pas d’élargir
le champ de la négociation sociale mais au contraire de le
restreindre au niveau de l’entreprise et de le dénaturer en
donnant à l’employeur des pouvoirs considérables qui vont
structurellement affaiblir le pouvoir de négociation des syndicats.
N’oublions pas que le projet prévoit par ailleurs, comme
l’a rappelé la nouvelle ministre du travail, de faire
disparaitre de nombreuses instances représentatives des salariés
qui constituent autant d’espaces de discussion (CE, CHSCT…). Si
les employeurs peuvent avoir l’impression de s’y retrouver à
court terme, la disparition du dialogue social dans les entreprises
risque d’entraîner une véritable catastrophe économique. Les
spécialistes des entreprises et des organisations le savent depuis
longtemps : une entreprise qui fonctionne bien a besoin de
s’appuyer sur des salariés impliqués dans la démocratie sociale.
Le risque est que les dirigeants, à force de ne plus parler aux
représentants du personnel, finissent par se couper de la réalité
de leur propre organisation et en viennent à prendre des décisions
désastreuses. On ne compte plus les entreprises françaises dirigées
par des équipes de direction autistes qui ont fini par pousser leur
propre groupe dans l’abîme.
Si le capitalisme
français souffre d’une chose ce n’est certainement pas de trop
de dialogue social. On peut à ce titre rappeler que les entreprises
industrielles allemandes doivent justement une partie de leurs
performances à leur modèle de cogestion qui donne de larges
pouvoirs aux syndicats, ce qui contraint les employeurs à négocier
avec les représentant du personnel la plupart de leurs décisions
stratégiques. En portant un projet qui va à rebours de ce modèle
et qui vise à faire des patrons français des autocrates dans leur
propres entreprises, le gouvernement prépare en fait
l’affaiblissement durable du système productif français. Mais il
démontre aussi, par sa méthode autoritaire, par le choix de
court-circuiter le débat parlementaire, par l’absence de
véritables négociations avec les organisations syndicales, qu’il
ne fait en fait que généraliser aux entreprises sa propre méthode
de gouvernement.
Eclairant, merci. Rajoutons à cela que si de telles négociations visent à casser le pouvoir des salariés, elles auront aussi pour résultat de pressuriser la demande intérieure en France. On pourra toujours dire qu'il n'y a qu'à exporter, il n'est pas sûr qu'il y ait en Europe assez de marché pour absorber la politique désinflationniste et donc non-coopérative de une, bientôt deux Allemagnes
RépondreSupprimerExplications éclairantes effectivement... Par contre, la fin mérite discussion : présenter la cogestion patron/syndicat à l'allemande comme un modèle, je trouve ça gênant. Je ne suis pas spécialiste mais cette collaboration travail/capital permet peut-être une meilleure productivité mais elle a sûrement tendance à aligner les revendications syndicales sur le point de vue patronal. C'est la conception et la pratique de la CFDT en France, non ? En plus un tel modèle peut fonctionner en période de "croissance" mais dès qu'il y a déflation et plus de grain à moudre comme disait FO dans les années 70 ?
RépondreSupprimerBon papier, merci.
RépondreSupprimerCette réforme du code du travail sera une coproduction medef-gouvernement. Le capitalisme de connivence à la française a de bons jours devant lui...
Hors sujet mais que penser de ce livre de Valerie Bugault et Jean Rémy : http://lesakerfrancophone.fr/valerie-bugault-et-jean-remy-du-nouvel-esprit-des-lois-et-de-la-monnaie ?!?...