Traduire / Translate

Affichage des articles dont le libellé est Europe fédérale. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Europe fédérale. Afficher tous les articles

mercredi 5 juin 2013

Ulrich Beck : un sociologue allemand contre « l’Europe allemande »



Il faut le dire d’emblée : le dernier livre d’Ulrich Beck, Non à l’Europe allemande (Autrement, mai 2013) ne révolutionnera pas la réflexion sur l’Union européenne. Il sent un peu le « vite fait, moyennement fait ». Comme si le sociologue voulait simplement prendre date. Si l’édifice communautaire venait à s’écrouler, lui aussi pourrait y aller de son « je vous l’avais bien dit », et charger Angela Merkel.

Ils feront tous ça, les idéalistes postnationaux : vilipender la chancelière allemande pour mieux se défausser. Ils nous expliqueront que l’Europe est morte d’un « pas assez d’Europe » et non d’un « trop vite, trop mal ». Ils nous diront que ce qui a manqué, c’est le grand saut fédéral. Que ce sont les Etats-nations qui ont fauté, à trop vouloir continuer d’exister, à refuser de s’auto-dissoudre dans le « grand machin »,  bref, à être tout simplement là, à être bien réels. C’est tellement ennuyeux, le réel. Et tellement plus rigolo de vivre en permanence dans un songe.

De fait, Ulrich Beck aime à rêver éveillé. Avec mille bonnes intentions, et des craintes que l’on sent sincères. Mais enfin, que d’envolées lyriques inutiles ! Que de déclarations de principes alambiquées ! Et qu’est-on supposé faire de suggestions aussi vaporeuses que :
-         établir un « nouveau contrat social » qui doit « protéger cette grande liberté cosmopolite des attaques des souverainistes qui aspirent à une nouvelle clarté avec le retour des frontières » (tout ça ?),
-         comprendre la « société européenne » comme une « société posnationale de sociétés nationales » (et vice-versa ?),
-         établir « entre le mouvement protestataire et à l’avant-garde que constituent les bâtisseurs de l’Europe, une coalition permettant de faire un pas de géant vers une capacité d’action transnationale » (mais encore ?).

Il ne manque plus que « la mise en œuvre de la Paix Universelle dans le respect des différences », la « réalisation de l’Amour Transcendantal par delà les clivages » et « l’avènement d’une République Européenne Plurielle dans le cadre d’un développement social et solidaire ».

Bref, le traditionnel charabia messianique.

Le livre présente toutefois un intérêt, tout entier résumé dans le titre. Si Beck évolue davantage dans le monde des principes évanescents que dans celui de la politique, s’il ne faut pas espérer qu’il propose quelque solution tangible à la crise de la construction européenne, il demeure instructif de lire, sous la plume d’un intellectuel allemand, une inquiétude authentique quant au processus de « germanisation » de l’Europe. Et si l’on hurle à la « germanophobie » lorsque c’est un Français qui en parle, on se sent autorisé à louer la lucidité sans concession d’un Allemand disant « non » à « l’Europe allemande ».

Pour l’auteur, donc, sous la houlette d’Angela Merkiavel (Merkel + Machiavel : héhé, Beck est un gros malin), l’Allemagne est devenue hégémonique en Europe. Hégémonique sur le plan politique, du fait de son étonnante santé économique et de sa capacité à se porter – ou à refuser de se porter – au secours des pays en difficulté. Hégémonique sur le plan idéologique, car les aides ne sont accordées qu'à la condition que les pays du Sud acceptent une sorte de « rééducation », et se convertissent à la culture de stabilité allemande.

Mais hégémonique sans l’avoir voulu. Un peu par défaut, et de manière mal assumée. Guillaume Duval, l’auteur de Made in Germany, explique que les Allemands  « ont le leadership, mais ils ne savent pas quoi en faire. Ils sont comme une poule qui aurait trouvé un couteau ». Comme en écho, Beck répond : « le pouvoir de Merkiavel repose sur le désir de ne rien faire, sur son penchant pour le ne-pas-encore-agir, à agir plus tard, à hésiter ».

Une Allemagne super-puissante mais un peu pataude, encombrée par cette Union européenne dont elle n’a voulu que très mollement et qu’elle est un peu contrainte de « porter », elle n’aurait voulu, pour des raisons historiques évidentes, s’occuper désormais que de ses propres affaires : telle est l’image qui se dessine sous la plume d’Ulrich Beck.

Original et suffisamment bien vu pour mériter qu’on s’y attarde, au-delà des envolées un peu juvéniles de l’auteur autour de l’idée d’un « printemps européen » qui, lui, ne semble pas pour demain.
 
Lire et relire sur L'arène nue :
"Les Français ont été les cocus de l'Europe", entretien avec JM Quatrepoint CLICK
rope : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ? CLACK
J'ai lu un édito eurosceptique dans Le Monde CLONCK
Faut-il en finir avec l'Europe ?  CLOUCK
Au Portugal, un livre anti-euro fait un tabac   CLECK

lundi 29 avril 2013

Europe : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ?





On s’en doutait, mais on en a eu la confirmation ce week-end : il y a en France des débats interdits. Comme on évite de parler cul dans l’Iran de mollahs, il faut éviter, dans la France d’Alain Juppé, de Jean Quatremer ou d'Elisabeth Guigou, de parler de la droite allemande autrement que pour en dire du bien.

Comme l’explique Hubert Huertas ici, il y sans doute derrière un tel tabou, une forme de religiosité : on ne rigole pas avec le bon Dieu, et encore moins avec « l’Europe-c’est-la-Paix ».

Mais on ne rigole pas non plus avec le denier du culte. Or, pour beaucoup, l’affaire est entendue : l’Europe, c’est l’Allemagne qui la finance. Et la crise, c’est elle qui la paie.

Et si c’était précisément l’inverse ? Car il est bien difficile d’imaginer qu’un pays ayant financé sa réunification au prix fort accepte aujourd’hui de payer pour les autres, sans jamais exiger de contrepartie. Sans jamais exiger, notamment, que les pays les plus faibles (ceux pour lesquels l’Allemagne est supposée payer, donc) quittent l’Union, ou au moins la zone euro.

Par ailleurs, on observe :

  • Qu’il n’a jamais été sérieusement envisagé de créer une union de transferts, seule susceptible, en principe, de rendre viable une zone économique partageant la même monnaie. Patrick Artus l’explique ici : les pays du Nord n’en veulent pas. L’Allemagne sans doute moins que les autres. Et pour cause : selon Jacques Sapir, elle devrait abandonner de 8 à 10% de son PIB chaque année pendant environ dix ans pour mettre à niveau les pays d’Europe du Sud. Croire qu’une telle chose est possible, c’est un peu comme croire que Monsieur Spock existe pour de vrai : au final, on risque d’être déçu.
  • Quant à l’actuel budget européen, l’Allemagne y est certes le premier contributeur net. Mais enfin, il ne représente guère que 1% du PIB de l’Union. En outre, pour la toute première fois, il a été revu à la baisse (- 3%) pour la période 2014-2020. Tant de solidarité, ça fait vraiment rêver…
  • La solidarité, on en revient également lorsqu’on se souvient du faible écho rencontré par la proposition française de créer des eurobonds afin de mettre en commun le financement des Etats : un « non » franc et massif des allemands, un joli bide pour l’Hexagone.
  • L’Allemagne est enfin la première source de financement du MES, le mécanisme européen de stabilité, avec une contribution de 190 milliards d’euros. Mais enfin, la France contribue à hauteur de 142 milliards (oui : c’est énorme) et l’Italie, dans l’état où elle se trouve, à hauteur de 125 milliards.

Si l’on fait le bilan de tout ça, on est moins certain, finalement, de ce que l’Allemagne paie !
En revanche, on sait ce qu’elle gagne :

  • L’excédent commercial allemand atteint des records, avec, notamment, un pic 188 milliards d’euros en 2012. Or l’Allemagne réalise 70% de ses exportations en Europe. C’est donc sur ses propres partenaires qu’elle engrange ces surplus.
  • Cette performance a été permise par un gros effort de modération salariale : le salaire moyen a baissé de 2,5% de 2000 à 2010. Cela fait dire aux inconditionnels du modèle allemand que nous ferions bien, nous, cigales d’Europe du Sud, d’imiter notre sage voisin. Hélas, si un seul pays décide de contracter sa demande intérieure, il peut bénéficier de la demande de ses clients. Si tous les pays mènent cette politique en même temps, c’est la récession assurée pour tout le monde. Car pas de clients, pas d’exportations. Et pas de bras, pas de chocolat.
  • L’Allemagne a besoin d’accumuler ces colossaux excédents en prévision de l’avenir. Comme l’explique Jean-Michel Quatrepoint dans Mourir pour le yuan, ce pays – tout comme la Chine – est vieillissant. Il y a donc urgence, pour lui, à engranger ce qui lui servira demain à financer les retraites. Bien plus qu’à créer des emplois pour une population active qui, elle, diminuera. Dès lors (voir la carte ci-dessous), ne sont-ce pas plutôt les actuels chômeurs d'Europe du Sud qui paient les retraites des Allemands de demain ?...



Voilà pourquoi, sans en espérer une réorientation immédiate de la politique européenne du gouvernement, on peut se réjouir que quelques représentant du PS se soient exprimés sur à la nécessité de remettre en cause le teneur actuelle de la relation franco-allemande. La chose mérite au moins d’être débattue, ne serait-ce que :

  • Parce qu’il serait aberrant qu’un gouvernement socialiste s’interdise de critiquer un autre gouvernement de l’Union, de droite celui-ci. Sigmar Gabriel, le leader du SPD allemand, fait exactement la même chose lorsqu’il accuse Angela Merkel de conduite l’Europe à l’anorexie. Quant à la chancelière, elle ne s’est pas gênée pour intervenir personnellement dans les affaires intérieures de la France, et de prendre position, durant la campagne présidentielle de 2012, en faveur de Nicolas Sarkozy.
  • Parce que l’Europe du Sud et celle du Nord n’ont pas les mêmes structures économiques, non plus que démographiques. Elles n’ont donc pas les mêmes contraintes. L’Allemagne vit essentiellement de ses exportations, et se satisfait volontiers d’une demande intérieure contenue. La France, beaucoup moins. En revanche, la démographie française, elle, est dynamique. D’où la nécessité de créer de l’emploi, pour accueillir les nouveaux entrants sur le marché du travail.
  • Enfin, parce qu’il serait étonnant que la bonne santé de l’économie allemande dure éternellement si ses principaux clients s’abîment dans la récession. Et cela, à moins d’être des enfoirés germanophobes et de fort mauvais voisins, peut-être serait-il généreux de le lui dire.

Lire et relire sur L'arène nue : 
Protectionnisme : Pascal lamy bientôt journaliste au Monde ?  CLICK 
Compétitivité : ils vont nous faire le coup de l'Espagne !  CLACK 
François Lenglet m'a fait un choc...de compétitivité  CLOUCK 
J'ai lu un édito eurosceptique dans Le Monde  CLONCK 
Libération de la parole eurosceptique : voici Quatremer !  CLOUCK
Politique économique : après TINA est-ce que TINS ?  CLECK