Il faut le dire d’emblée : le dernier livre d’Ulrich Beck, Non à l’Europe allemande (Autrement, mai 2013) ne révolutionnera pas la réflexion sur l’Union européenne. Il sent un peu le « vite fait, moyennement fait ». Comme si le sociologue voulait simplement prendre date. Si l’édifice communautaire venait à s’écrouler, lui aussi pourrait y aller de son « je vous l’avais bien dit », et charger Angela Merkel.
Ils feront tous ça, les idéalistes postnationaux : vilipender la chancelière allemande pour mieux se défausser. Ils nous expliqueront que l’Europe est morte d’un « pas assez d’Europe » et non d’un « trop vite, trop mal ». Ils nous diront que ce qui a manqué, c’est le grand saut fédéral. Que ce sont les Etats-nations qui ont fauté, à trop vouloir continuer d’exister, à refuser de s’auto-dissoudre dans le « grand machin », bref, à être tout simplement là, à être bien réels. C’est tellement ennuyeux, le réel. Et tellement plus rigolo de vivre en permanence dans un songe.
De fait, Ulrich Beck aime à rêver éveillé. Avec mille bonnes intentions, et des craintes que l’on sent sincères. Mais enfin, que d’envolées lyriques inutiles ! Que de déclarations de principes alambiquées ! Et qu’est-on supposé faire de suggestions aussi vaporeuses que :
- établir un « nouveau contrat social » qui doit « protéger cette grande liberté cosmopolite des attaques des souverainistes qui aspirent à une nouvelle clarté avec le retour des frontières » (tout ça ?),
- comprendre la « société européenne » comme une « société posnationale de sociétés nationales » (et vice-versa ?),
- établir « entre le mouvement protestataire et à l’avant-garde que constituent les bâtisseurs de l’Europe, une coalition permettant de faire un pas de géant vers une capacité d’action transnationale » (mais encore ?).
Il ne manque plus que « la mise en œuvre de la Paix Universelle dans le respect des différences », la « réalisation de l’Amour Transcendantal par delà les clivages » et « l’avènement d’une République Européenne Plurielle dans le cadre d’un développement social et solidaire ».
Bref, le traditionnel charabia messianique.
Le livre présente toutefois un intérêt, tout entier résumé dans le titre. Si Beck évolue davantage dans le monde des principes évanescents que dans celui de la politique, s’il ne faut pas espérer qu’il propose quelque solution tangible à la crise de la construction européenne, il demeure instructif de lire, sous la plume d’un intellectuel allemand, une inquiétude authentique quant au processus de « germanisation » de l’Europe. Et si l’on hurle à la « germanophobie » lorsque c’est un Français qui en parle, on se sent autorisé à louer la lucidité sans concession d’un Allemand disant « non » à « l’Europe allemande ».
Pour l’auteur, donc, sous la houlette d’Angela Merkiavel (Merkel + Machiavel : héhé, Beck est un gros malin), l’Allemagne est devenue hégémonique en Europe. Hégémonique sur le plan politique, du fait de son étonnante santé économique et de sa capacité à se porter – ou à refuser de se porter – au secours des pays en difficulté. Hégémonique sur le plan idéologique, car les aides ne sont accordées qu'à la condition que les pays du Sud acceptent une sorte de « rééducation », et se convertissent à la culture de stabilité allemande.
Mais hégémonique sans l’avoir voulu. Un peu par défaut, et de manière mal assumée. Guillaume Duval, l’auteur de Made in Germany, explique que les Allemands « ont le leadership, mais ils ne savent pas quoi en faire. Ils sont comme une poule qui aurait trouvé un couteau ». Comme en écho, Beck répond : « le pouvoir de Merkiavel repose sur le désir de ne rien faire, sur son penchant pour le ne-pas-encore-agir, à agir plus tard, à hésiter ».
Une Allemagne super-puissante mais un peu pataude, encombrée par cette Union européenne dont elle n’a voulu que très mollement et qu’elle est un peu contrainte de « porter », elle n’aurait voulu, pour des raisons historiques évidentes, s’occuper désormais que de ses propres affaires : telle est l’image qui se dessine sous la plume d’Ulrich Beck.
Original et suffisamment bien vu pour mériter qu’on s’y attarde, au-delà des envolées un peu juvéniles de l’auteur autour de l’idée d’un « printemps européen » qui, lui, ne semble pas pour demain.
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