jeudi 29 décembre 2011

Le 29 décembre 2011 fut-il vraiment un jour chiant ?




[ Ce texte est disponible également sur Causeur.fr ]

Hier, le cyber-journal Rue89 avait décidé que le 29 décembre 2011 serait le jour le plus chiant de l’année. D’habitude, ils décrètent plutôt cela en août, mais cette fois-ci, ils étaient à la bourre.

A moins qu’ils n’aient pas un seul journaliste sous la main en ce joyeux entre-deux-fêtes. C’est sans doute pour cela - et aussi parce que "la récréation est devenue participative" - qu’ils ont choisi de mettre à contribution les « twittos » [1]. Ils les ont invités à leur fournir des idées pour démontrer combien ce jour était chiant, en utilisant à cette fin le hashtag (le mot-clé) #jourchiant. Après tout, pourquoi pas. Il paraît que tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Cent quarante signes devaient donc suffire pour exprimer les quelques bribes nécessaires à cet OCNI (objet communicationnel non identifié) que dut finalement constituer l’amalgame de twitts anonymes publié par le site, et que l'on ne manqua pas de baptiser « article de presse », avec toute la componction nécessaire.

Pourtant, à titre personnel, je ne l'ai pas trouvé pas chiant du tout, ce 29 décembre 2011. Mais il faut avouer que je ne suis pas très joueuse. J’avais déjà usé de mon droit démocratique au commentariat participatif le 5 août 2009, pour signifier à Rue89 que, si eux s’ennuyaient, moi pas. Hier, pourtant, il m'a semblé que la date était encore plus mal choisie qu’il y a deux ans.


L’effroi…

En ce 29 décembre réputé chiant, en effet, les Restos du cœur ont annoncé qu’ils auraient du mal à boucler la saison 2011-2012 : la demande de repas dans leurs centres de distribution a crû cette année de 5 à 8 %. Et oui, en France, à l’aube de 2012, des gens crèvent de faim. Effet collatéral de la crise, pour sûr.

Du coup, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Artisanat, enfila sa mine la plus grave pour aller annoncer sur France2 qu’il avait contacté les patrons de la grande distribution, de Casino à Carrefour, pour solliciter leurs dons au profit des Restos. Et oui, en France, à l’aube de 2012, les pouvoirs publics en sont réduits à organiser la charité, faute d’avoir su faire advenir la justice. Effet collatéral du progrès et de la sainte modernité, pour sûr.

Quand je dis cela, encore omets-je de parler de l’homme qui jonche le sol sous ma fenêtre chaque hiver depuis trois ans. Il vit et dort sur une bouche de métro de laquelle s’échappe une chaleur malodorante. Il se meut rarement et je l’ai souvent cru mort. Régulièrement, quelqu’un s’assure qu’il ne l’est pas. Dans le voisinage et par ce temps, tout le monde est inquiet de voir grelotter cet amas vaguement humain. L’angoisse si lit dans le regard des riverains. Nous sommes comme glacés des froids, tant le fond de l’air effraie.


Par la force des baïonnettes…

On s'est un peu demandé, du coup, en ce 29 décembre supposé chiant, ce qu'était devenu le DALO, ce droit opposable au logement institué en 2008, en vertu duquel « toute personne qui a effectué une demande de logement et qui n'a pas reçu de proposition adaptée à sa demande (...) peut saisir une commission de médiation dans son département, puis exercer, dans certains cas, un recours devant le tribunal administratif ».

Ce doit drôlement efficace, comme menace à agiter sous le museau de bailleurs rétifs, la saisine d’une « commission de médiation ». Quant aux délais de réponse du tribunal administratif, ils garantissent un avenir faste aux bouches de métro dont émane sans discontinuer une tiédeur poisseuse et âcre.

Signalons toutefois la modification prochaine et bienvenue des principes du DALO. Le 1er janvier 2012 ne sera pas seulement le Jour de l’An, ni la date d’entrée en vigueur du quatrième taux français de TVA [2] , mais également celui de l’amendement du droit au logement. Désormais les « demandeurs en délai anormalement long » pourront faire jouer « la garantie de l’Etat ». Bigre ! A l’évidence, ça ne rigole plus. Nous somme probablement à la lisère d’une très prochaine révolution. A compter de dimanche, il ne sera possible de nous (dé)loger que par la force d’un bail honnête !


Ou par le fil de l’épée

Pour certains, donc, en ce 29 décembre qualifié de jour chiant, il faisait froid  et il faisait faim. D’aucuns ont donc décidé que, dans une ambiance aussi pourrie, il était sans doute préférable d’expirer.

Ce fut le cas de deux militaires français, tués en Afghanistan par un très mauvais compagnon d’armes de l’ANA (l’armée nationale afghane). Les deux légionnaires sont respectivement les 77ème et 78ème soldats français morts dans la pampa centre-asiatique depuis le début du conflit en 2001. L’année qui s’achève aura par ailleurs été la plus meurtrière pour nos troupes, avec 26 décès.

Pour autant, le Ministre de la Défense, a réaffirmé « les liens de confiance qui existent entre les soldats français et afghans et la volonté de la France de participer au développement de l'ANA». C’est qu’il veut finir sa guerre, Gérard Longuet. Or nous ne sommes pas censés la perdre - et moins encore la gagner - avant 2014. Dès lors, inutile d'être pacifiste avant l'heure : militons pour l’épée dans le monde.


[1] Les utilisateurs du réseau social Twitter
[2] Après la TVA à 19,6%, celle à 5,5%, et celle à 2,10%, voici venu le temps des rires et des chants, et de la TVA à sept pour cent.

Lire et relire :
Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?   CLICK
Ben Laden : avec ou sans, il faut quitter l'Afghanistan  CLACK
Fête nationale : la gravité au centre  CLOCK

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dimanche 25 décembre 2011

Twitter : de qui @nadine__morano est-elle le nom ?




De nos jours, le « kit survie-identité-célébrité » se compose d’un blog - même vide - d’un compte Twitter, et d’un profil Facebook. Sans cette Sainte Trinité, c’est la disparition des écrans radars, la cyber-invisibilité, le suicide social.

Pour ces raisons, de nombreuses personnalités sacrifient au rituel et se dotent du pack complet. Cela vaut notamment pour les Ministres, assez nombreux sur Twitter. On peut notamment y croiser @françoisbaroin, @nk_m (Nathalie Kosciusko-Morizet),  @Bruno_LeMaire ou…@nadine__morano.

Oui, mais voilà : à l’occasion de la célébration de Noël, Nadine Morano s’est fait diablement remarquer online. Outre sa grande activité sur le réseau social, elle a notamment commis ce Twitt délicieux dans la soirée du 24 décembre, confondant manifestement « nativité » et « natalité » :



Immédiatement, les twittos (ceux qui twittent) s'emparèrent de l’affaire pour lancer un jeu consistant à « remplacer un mot dans un titre de film par Morano ». Ce jeu avait été rendu célèbre il y a quelques temps déjà, lors de l’entrée en campagne de Jean-Pierre Chevènement. Le hastag (mot-clé) #remplaceunmotdansuntitredefilmparchevenement, avait alors fait un tabac. L’engouement fut moindre avec Nadine Morano, mais nous eûmes tout de même quelques belles trouvailles, telles « La Mor(ano) aux trousses », ou « Mora(no) Venise ».

Au matin du 25 décembre, cependant, quelques geeks (cyber-addicts) commencèrent à s’interroger sur l’identité de la twitteuse, en assistant à une froide colère de @nadine__morano à l’endroit de... sa marionnette des Guignols.

Les admonestations, en effet, tombèrent drues sur la page de la Ministre de l’Apprentissage, celle-ci proposant même aux Guignols un déjeuner en tête à tête, visant à leur montrer de quel bois elle se chauffe. « Un dej face à face avec l'équipe des ombres cachée derrière leurs marionnettes » sollicite-t-elle en effet, avant de poursuivre : « ils verront que ce n'est pas parce qu'on a grandi dans une cité et qu'on vient d'une famille d'ouvriers qu'on en est moins classe » et de : « je rêve comme tous ceux que je croise de voir leur tête de bobos parisiens prétentieux et dégoulinants de vérité sur les autres ». Tout ça, madame le Ministre ? Un jour de Noël ? A l’endroit de clowns qui ne sont même plus drôles et que vous prétendez par ailleurs ne jamais regarder ?

Loin de se lasser, Nadine Morano poursuivit ainsi une bonne partie de la journée, hélant les uns, répondant aux autres, distribuant sans compter les « joyeux Noël ».

Toutefois, l’authenticité de son compte fait désormais douter plus d'un internaute. En effet, comment ne pas s’interroger lorsqu’on lit ceci sous la plume d’un Ministre de la République : « de Villepin apparu à Noël, non ce n'est pas Dieu :-) allez sois sérieux reviens à l'UMP dont tu partages l'essentiel des idées ! », mais également : « à tous les anonymes méchants bêtes et vulgaires faites la trêve de Noël montrez vous sous votre meilleur jour soyez sympas bon Noël ».

Ainsi, outre le « buzz » (le tapage) autour des films sur « la natalité », un autre « buzz » (raffut) se fait jour aujourd’hui sur la toile : si ce n’est pas véritablement Nadine Morano qui se cache derrière ce compte Twitter, « de qui @nadine__morano est-elle le nom » ? Et si c'est elle, est-ce beaucoup mieux ?

Lire et relire :
Chroniques de l'arène ordinaire, le "Pendant"  CLICK
Zoé, l'agent conversationnel de vos soirées solitaires  CLACK
UMP : florilège des vidéos les plus mal-à-droite(s)  CLOCK

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samedi 24 décembre 2011

Chroniques de l'arène ordinaire : le "Pendant"




Note liminaire : ce texte s'intitule « le Pendant » parce qu’il intervient PENDANT Noël. Il fait suite à deux chroniques de l’Avent. Dans ces conditions, attendez-vous à ce qu’il y est une suite, tant il est vrai que le pendant de l’Avent c’est l’Après.


Noël. Il faut être bigrement oisive ou sociopathe pour éprouver le besoin - et pour avoir le temps - d’alimenter son blog en ce jour de Noël. Ou souffrir d’une addiction à l’usage concomitant des touches SHIFT et ^ qui, si on les presse au même instant, ont le bon goût de générer un tréma ( ¨ ), petit signe rigoureusement inutile et quasiment inusité en temps normal, mais tout de même bien utile lorsqu’il s’agit d’écrire « Noël ». Sauf à avoir définitivement renoncé à l’usage des accents, comme nombre de nos contemporains se sont résolus à le faire, tant sont ridicules ces "é", "è", "ê", et autre simagrées superfétatoires dont est truffée la langue de Molière, de Marc Lévy, et de Nina Bouraoui.

Remarquez, le tréma est également très pratique pour écrire « naïve ». Or il faut que je le sois quelque peu - en plus d’oisive et sociopathe – pour m’imaginer qu’en ce jour de fête religieuse, traditionnelle et familiale, on me viendra lire sur « l’arène nue », moi qui ai, notamment pour la famille, autant de sympathie que le concepteur de Golgota picnic semble en concevoir pour la religion.

Toutefois, pour ceux qui sont arrivés jusqu’ici, admettez qu’il faut être un brin oisif ou sociopathe pour venir baguenauder dans la blogosphère un 25 décembre. De même, il aura fallu que vous fussiez drôlement naïf pour avoir cru sérieusement qu’il y aurait quelque chose au bout du lien qui vous a conduit à ces lignes. Franchement, j’ai une tête à écrire pour ne rien dire ?

Mais…dès lors que vous et moi sommes là, peut-être est-il temps de revisiter le sens véritable de la fête de Noël.

Jusque là, je me suis plu à me figurer ce jour que comme celui de la naissance du fils de Dieu - celui qui est mort, et dont on ne sait plus depuis s’il vaut mieux faire avec ou sans. La venue au monde de Jésus, donc, lequel je ne me représente plus désormais que sous les traits d’Enrique Irazoqui, l’Adonis immaculé qui virilisa le Christ à jamais, sous la direction érotisante d’un Pasolini apparemment décidé à en finir avec toute idée de « doux Jésus » dans son Evangile selon saint Matthieu.

Noël, était donc bien, dans mon esprit comme dans le votre, la fête de la nativité.

Mais après tout, il semble que de nos jours, tous les relookings soient autorisés. Ainsi l’inénarrable Nadine Morano a-t-elle décidé d’en faire la fête de la natalité, si l’on en croit l’un de ses brillants Tweets du 24 décembre, dans lequel elle semblait déplorer que les programmes télévisés du Réveillon aient bien changé depuis le temps béni de feu l’ORTF :



Ainsi, comme je suis là, et que vous aussi, permettez s’il vous plait que nous reconsidérions la chose. Imaginons que le jour présent ne soit ni la fête de la nativité, ni même celle de la natalité, non plus que celles de l’inanité, de l’inimitié ou de l’immaturité, mais bel et bien la fête de la naïveté ?


Enrique Irazoqui, l’Adonis immaculé
qui virilisa le Christ à jamais.


Lire et relire :
Chroniques de l'arène ordinaire : l'Avent (1/2)  CLICK
Chroniques de l'arène ordinaire : l'Avent (2/2)  CLACK




vendredi 23 décembre 2011

Chroniques de l'arène ordinaire : l'Avent (2)




Noël moins deux jours. Il a bien fallu, que je sacrifie à la tradition, et me livre à cette activité vulgaire qui consiste, à aller quérir quelques cadeaux made in Singapour à un prix se défiant de toute décence.

Pour cela, je me suis rendue dans les Grands Magasins, dont l’entrée est incessamment entravée par des centaines de Chinois d’esbaudissant tout le jour et de très excessive manière, devant des vitrines décorées aux couleurs de la magie de Noël, et qui témoignent, année après année, que notre réserve nationale de bon goût so Frenchy, suit à peut près la même courbe décroissante que les réserves mondiales de pétrole so Saoudy.

C’est qu’il me faut acheter quelques chose pour #monJules. Et pourtant, Dieu – qui est mort mais dont le fils est à naître après-demain – sait qu’il n’a besoin de rien, #monJules, tant il est vrai que quand il désire quelque chose, il a tendance à se l’acheter tout seul, dans ces accès d’autonomie vaguement libertaires, caractéristiques des gens qui gagnent honnêtement leur vie, et qui considèrent à ce titre qu’ils peuvent dilapider leur argent comme et quand bon leur semble.

Par chance, je connais suffisamment bien #monJules pour savoir que, chez lui, comme chez beaucoup de pré-quarantenaires partis en quête des ultimes vestiges d’une jeunesse  disparue, la vaine coquetterie dépasse de très loin les frontières du besoin, et que le désir de paraître permet de se défaire à bon compte de la nostalgie « d’avoir été », lorsqu’il est désormais trop tard pour « être ».

Je me mets donc en condition pour une demi-douzaine de bousculades et de probables échanges d’injures avec quelques autruis aussi navrés que moi d’être là, lorsque nous pourrions tous être devant nos télécrans respectifs, à écouter, en jubilant intérieurement d’être nous-mêmes indemnes, la sinistre narration des accidents de voiture qui surviennent sur les départementales verglacées de nos froides régions du Nord.

Je m’avise soudain de la présence d’une boutique manifestement dédiée aux vêtements pour jeunes aristocrates fin-de-race désireux d’assumer avec morgue le caractère désuet de leur nom à particule. Là, je pense à #monJules. C’est ici que je vais acheter l’objet supposé entretenir la flamme de notre amour, et que quelque jeune sotte surmaquillée préposée à cette activité ancillaire m’empaquettera joliment.

L’objet – supposé entretenir etc. – est un vêtement paradoxal, de la gamme « cool-mais-coincé » qui fera ressembler #monJules à un jeune versaillais en goguette rappelant vaguement le Leornardo DiCaprio adulescent et angélique dont la beauté lactescente m’insupportait l’oeil tant elle était excessive, avant qu’elle ne disparaisse dans les abysses du passé, tout comme le Titanic fut englouti dans l’eau glacée.

Lorsqu’il aura passé l’objet, #monJules ressemblera à un petit marquis provincial de droite, un peu pédé mais néanmoins catholique, aussi sûr que j’ai parfois l’air d’une goudou parisienne vaguement de gauche et un peu rock n’roll. Ainsi, nous serons, comme nous l’avons toujours été, exagérément dépareillés et outrancièrement mal assortis, faisant mentir une fois de plus le bon sens populaire, en vertu duquel il paraît que « qui se ressemble s’assemble ».

Entre temps, #monJules m’aura lui aussi acheté un présent, et c’est dans même un même élan que nous aurons fait marcher le commerce.

« Aimer, se n’est pas se regarder l’un autre, c’est regarder ensemble dans la même direction ». Et parfois, acheter dans une même compulsion.


Leornardo DiCaprio, adulescent et angélique,
dont la beauté lactescente m’insupportait l’oeil
tant elle était excessive





Lire ou relire :
Chroniques de l'arène ordinaire : l'Avent (1/2) CLICK




jeudi 22 décembre 2011

Chroniques de l’arène ordinaire : l’Avent


Noël moins trois jours. Je me demande bien de quoi causer dans « l’arène nue » en ce temps de trêve des confiseurs, où personne n’est disposé à lire des articles sérieux, et où ceux que sur Twitter on appelle #lesgens, ne pensent qu’à camoufler leur peine sous une couche épaisse de joie feinte.

La peine qu’ils éprouvent à Noël,  parce que leur famille est en lambeaux, et qu’ils ignorent qu’elles le sont toutes. La famille, c’est le lieu de l’amour comminatoire, donc de la haine expiatoire. Qui a aimé sur ordre doit un jour se racheter, sous peine de ne plus oser affronter un miroir.

La peine qu’ils éprouvent au Nouvel an, ensuite, parce qu’ils n’ont pas un seul véritable ami avec qui trinquer à la santé du temps qui passe, et sans lequel nous n’aurions pas le bénéfice d’avoir la vue qui baisse, le rides qui se creusent, le dos qui se voûte, et la perspective d’être délivré un jour et pour l’éternité des affres de la musique d’ascenseur et des chroniques hebdomadaires de Louis-Georges Tin dans le supplément « livres » du grand quotidien du soir.

La peine au carré, donc, sur fond de dépenses somptuaires, de queue aux caisses des Galeries Lafayette, de promiscuité malodorante dans les transports en commun, et, souvent, par temps froid.

Bref, ce n’est pas le moment de casser les bonbons à #lesgens avec des récriminations continuelles sur l’abomination que constituent tout à la fois l’Europe de Maastricht, les tripes à la mode de Caen, et l’œuvre littéraire de Nina Bouraoui.

Je devrais plutôt faire un truc ludique. Une critique de film, par exemple. Ca plait à tous les coups, les critiques de films. Même quand le blog-trotter n’a pas beaucoup de temps de cerveau disponible ni devant, ni derrière, ni par devers lui.

Je pourrais par exemple chanter les louanges de « Mission impossible - protocole fantôme » avec Tom Cruise. Il commence à avoir quelques heures de vol au compteur, l’ancien Top Gun, mais malgré tout, Tom Cruise, ça marche toujours : tout juste assez macho pour être hyper sexy sans être franchement odieux.

Et puis, les critiques de nanars, c’est facile à écrire. Enrobé d’un peu de littérature classique et de quelques souvenirs philosophiques vaguement faisandés qu’on ira racler dans les profondeurs glauques d’une mémoire déclinante : l’imposture se soupçonnera à peine. Surtout si le lecteur pressé doit s’esbigner rapidement pour aller fourrer la dinde, tronçonner le foie gras et moucher le nez de la petite dernière qu’en finit plus de renifler, même que probablement, on n’en f’ra rien, de cette gamine.

Ma copine A., qui a toujours été plus intelligente que moi, mais que j’ai cessé de jalouser depuis que j’ai compris que ça ne fait pas le bonheur, m’a conseillé d’éviter de parler de moi-même avant d’être suffisamment célèbre pour que ce « je », qui s’adresse à #lesgens, leur dise vaguement quelque chose.

Du coup, il faut absolument que je résiste à la tentation de cette chronique odieusement narcissique d’entre-deux-fêtes écrite à la première personne. Mieux vaut parler d’un truc impersonnel et badin. Je pourrais proposer une réflexion sur la véritable nature – communiste ou pas – du régime nord-coréen, au sujet duquel tout le monde s’indigne parce que c’est convenable, mais dont, au fond, tout le monde se fout, parce que c’est lointain.  

Je pourrais aussi lancer un débat à la noix. Tenez, il parait que nous vivons dans une société totalement sécularisée. Malgré tout, Noël demeure le jour de la naissance du fils de Dieu, et cela, tout le monde le sait.

Croyez-vous qu’il y ait beaucoup de #lesgens qui parviennent à s’affranchir de cette idée théologique et à copuler le 25 décembre ? Honnêtement, vous pourriez, vous ?

Tom Cruise : tous juste assez macho pour être
hyper sexy sans être franchement odieux












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mercredi 21 décembre 2011

Ne nous trompons pas de protectionnisme ! -- article invité --


Par C. Mascaret, invitée de l'arène nue
C. Mascaret travaille dans le privé où elle est priée de garder ses opinions politiques pour elle. Effarée par l'absurdité et les dégâts de la logique "tout-économique", elle trouve dans la remise en cause de la mondialisation un peu d'espoir pour remettre un zeste d'humanité dans la machine. Ses propos, publiés par l'arène nue, n'engagent qu'elle....
....et un peu moi aussi. Aussi me bornerai-je à dire que sur la question du protectionnisme économique, nous sommes en total accord, mais que je suis un peu plus "xéno-protectionniste" que "C". Je suis même prête à faire mienne la phrase célèbre de Michel Rocard : "la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde". En effet, je demeure persuadée que ce n'est pas, loin de là, la plus grosse bêtise que Rocard ait proférée. Pour autant, je demeure enchantée de ce texte, et en remercie très chaleureusement C. Mascaret. CD
 
 


Il y a encore un an, Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Jean-Luc Gréau,  Frédéric Lordon et quelques autres prêchaient dans le désert ou mieux, dans l’antichambre de l’hôpital psychiatrique en faveur du protectionnisme économique : qu’ils soient « eurosceptiques » ou adversaires de la « mondialisation libérale », on les traitait volontiers de fous.
Mas il est connu que « plus on est de fous, plus on rit ». Une association d’économistes s’est donc montée avec pour ambition de sortir ce sujet de son néant médiatique et de l’imposer dans le débat présidentiel.  L’objectif est en bonne passe d’être atteint : tabou à Pâques, le protectionnisme se cuisine à toutes les sauces pour Noël.
Comme tous les concepts en voie de banalisation, le terme même de protectionnisme commence à se galvauder. Le protectionnisme, comme l’écrit en substance Jean-Luc Gréau, cela veut dire protéger les intérêts économiques d’une zone donnée et non pas se fermer aux savoirs et aux savoir-faire du reste du monde.
Les premiers débats ont globalement porté sur le périmètre possible ou souhaitable des échanges commerciaux. Européen comme le prônent Todd, Chevènement ou Montebourg, français comme le souhaitent Dupont-Aignan et Le Pen-fille, planétaire parce que le « le monde est tel qu’il est » comme le rabâchent ad libitum Minc-le-ravi-de-la-mondialisation et le marquis Lamy de l’OMC ? Je passe sur les arguments en faveur de tel ou tel périmètre, qui ont déjà fait l’objet de nombreux débats, tous légitimes pour installer le sujet dans l’espace public.
Ce qui est moins légitime à mes yeux, c’est de confondre protectionnisme économique et :
Le xéno-protectionnisme  : renvoyer chez eux les médecins béninois, les étudiants du monde entier diplômés de grandes écoles françaises, les éboueurs maliens, maçons marocains et autres plongeurs sri-lankais ne protège en rien les intérêts économiques de la France. Si nous recrutons des médecins dans des pays qui en manquent, c’est parce que notre pays n’en forme pas assez et que les règles d’aménagement médical du territoire, si elles existent, mériteraient d’être sérieusement revues.

De même, si les secteurs du bâtiment, des travaux publics ou de la restauration recrutent des immigrés, légaux ou non, pour les travaux les plus pénibles, c’est évidemment pour pouvoir leur faire faire un boulot dont aucun de nos compatriotes ne veut, payé au lance-pierre et pour les illégaux, sans aucune protection sociale. Le prochain qui me dit que les « zétrangers » lui piquent son boulot, je lui donne deux heures d’éboueur le matin de 5 à 7h, trois heures de plonge à l’heure de la sieste et deux heures de ménage dans des bureaux de 21 à 23h. En CDD d’une semaine renouvelable. Mieux, au noir.

Le protectionnisme idéologique : Jean-Luc Mélenchon, affranchi des pudeurs internationalistes de ses alliés communistes, François Bayrou fraîchement converti et même Laurent Wauquiez chantent les louanges du « produire et acheter français » sur l’air des lampions ? Ah la bonne heure ! Avec un peu de chance, le protectionnisme économique va être poussé dans l’assiette des deux candidats finalistes de l’élection présidentielle et il est vraisemblable que le futur Président de la République ne pourra pas faire l’impasse sur un sujet à propos duquel la pression de l’opinion est si forte qu’elle occupe maintenant tout l’échiquier politique.  

Arnaud Montebourg n’a pas gagné la primaire socialiste mais sa démondialisation, même incomplète, même galvaudée, même instrumentalisée, même récupérée avec toute la mauvaise foi du monde, gagne du terrain tous les jours. D’aucuns s’en offusquent et l’écho qu’ils rencontrent sur Twitter laisse penser qu’ils sont nombreux.

Quitte à devoir s’accommoder de candidats de second choix en avril prochain, il me paraît plus constructif de se féliciter que le protectionnisme économique soit enfin à l’agenda de la campagne, que de vouloir protéger d’un copyright les idées d’un candidat qui s’est –hélas- fait éliminer avant même le premier tour de l’élection présidentielle. Votons pour des idées, pas pour un homme providentiel qui n’existe pas.
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mardi 20 décembre 2011

L'Europe est-elle en cours de "Tiers-mondialisation" ?


Entretien avec Bernard Conte


              Bernard Conte est économiste.
              Il est l’auteur de La Tiers-Mondialisation de la planète, PU Bordeaux, 2009
              Il est membre de l’association « Manifeste pour un débat sur le libre-échange »
              Son site : http://conte.u-bordeaux4.fr

Coralie Delaume. Vous êtes l’inventeur du concept de « Tiers-Mondialisation », qui lie « Tiers-Monde » et « mondialisation ». De quoi s’agit-il ?

Bernard Conte. En 1952, Alfred Sauvy forge le concept de Tiers-Monde, en référence au tiers-État de l’Ancien Régime. À cette époque, les pays dits « sous-développés » présentent des caractéristiques spécifiques : domination externe, soumission à l’échange inégal, structure sociale fortement polarisée entre quelques très riches et l’immense majorité de pauvres…

Ce dualisme sociétal s’estompe pendant la parenthèse de régulation étatique qui se fait jour dans les pays du Sud. Celle-ci suscite notamment l’apparition d’embryons de classes moyennes. Ainsi, au cours la période des Trente glorieuses et simultanément, le système fordiste au Nord et celui du nationalisme-clientéliste au Sud  fondent la croissance sur un partage plus « égalitaire » de la richesse produite, c’est-à-dire de la valeur ajoutée et/ou de la rente (agricole, pétrolière, minière…). C’est ainsi qu’on qualifie de « miracles » le décollage économique de certains pays du Sud.

La crise du capitalisme des années 1970 va changer la donne. Pour tenter de rétablir des profits en diminution, il est nécessaire de revenir sur les conditions antérieures du partage de la richesse. Cela sera fait par le biais de la mondialisation néolibérale qui étend à l’ensemble de la planète la concurrence entre les individus et les institutions.

La mondialisation ne concerne-t-elle pas essentiellement les pays développés ou les grands « émergents » ?

Disons qu’elle sera imposée aux pays du Sud à l’occasion de la crise de leur dette souveraine du début des années 1980. Les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale…) vont « sauver » les pays surendettés en leur accordant des prêts pour rembourser les banques créancières qui avaient mal « apprécié » les risques. L’octroi de cette aide est, bien entendu, conditionnée par l’adoption, par les pays bénéficiaires, de politiques de rigueur (Les PAS : programmes d’ajustement structurel) et de libéralisation – privatisations supposées aptes à rétablir la « crédibilité » et à dégager des marges de manœuvre financières pour le remboursement de la dette.


L’ajustement néolibéral procyclique se traduit alors par une profonde régression ramenant les pays concernés au stade du Tiers-Monde d’avant les « miracles ». Par ailleurs, l’ajustement se traduit par une exploitation accrue du Sud par le pillage de la richesse dégagée (surtout des rentes) qui était précédemment largement redistribuée sur place. Ce processus régressif de « Tiers-Mondialisation » entraîne le laminage des classes moyennes constituées pendant les « miracles » et rétablit la structure sociale dualiste typique des pays sous-développés.

« Crise de la dette », « plans de sauvetage », « laminage des classes moyennes »…on croirait vous entendre parler de l’Europe actuelle ! Existe-t-il un risque de « Tiers-Mondialisation » de l’Europe ?

Hélas, oui ! Avec la crise de sa dette souveraine, l’Europe est en train de suivre le même chemin. Les pays bénéficiant de mesures de « sauvetage » sont tenus de mettre en œuvre les mêmes programmes que ceux qui ont conduit à la Tiers-Mondialisation (ou re-Tiers Mondisation) des pays du Sud. Dans ces conditions, la même thérapie produira inévitablement les mêmes effets.

Ce n’est tout de même pas par plaisir, mais pour réduire le montant des dettes « souveraines » qu’on impose à l’Europe une cure d’austérité. 

« On » impose… ce « on » me gène. Derrière ce « on » se cache en effet la finance internationale qui, à travers divers instruments tels les agences de notation, le FMI, la Commission européenne, dicte la rigueur sous peine d’alourdir le fardeau de la dette. L’austérité exigée en contrepartie d’une « aide » financière, c’est la stratégie du pompier pyromane qui fait mine d’éteindre l’incendie en arrosant le feu avec un liquide hautement inflammable.

Vous voulez dire que l’austérité accroît la crise au lieu de la traiter ? Elle aurait donc un effet contraire au but recherché…

Bien sûr. En phase de récession, l’austérité a des effets procycliques. Elle ne peut donc qu’aggraver la situation. Pour faire face à la charge de la dette, les gouvernements doivent dégager un surplus à travers l’augmentation des recettes et la diminution des dépenses publiques. Cela se traduit par une baisse de la demande intérieure que ne peut pallier la hausse des exportations, ne serait-ce que parce que la crise est mondiale. La déprime de la demande réduit la croissance, les rentrées fiscales… implique une réduction supplémentaire de la dépense publique qui, à son tour, affecte la demande… etc.

Un parfait cercle vicieux, en somme…

Exactement. De surcroît, étant donnée l’incapacité des gouvernements à réduire leurs déficit public, les agences de notation sévissent en dégradant la note desdits pays, ce qui renchérit leur accès au crédit et creuse à nouveau le déficit public. C’est une spirale d’ajustement « par le bas ». Mais les chantres de ces techniques néolibérales ne se soucient guère de l’économie réelle,  ni des dégâts sociaux. Seule compte pour eux la situation financière, analysée du point de vue des créanciers, le plus souvent étrangers. Hélas, à force de réduire sa dose de foin et de la traire plus souvent, la vache à lait n’en donnera plus….

On entend parfois parler de crise « de la dette », mais aussi de « crise de l’euro ». Certains vont jusqu’à contester que l’endettement public soit un problème. Est-ce votre cas ?

Pas à proprement parler. Je pense que nous vivons une crise de la dette. C’est indéniable. A ce propos, la crise de la dette du Tiers-Monde, débutée en 1982, peut fournir une grille de lecture intéressante. Tout d’abord, cette crise a été présentée comme un problème (temporaire) de liquidité. Par exemple, vous manquez de liquidités pour assurer une mensualité d’emprunt immobilier car vous avez du faire face à une dépense imprévue. Mais vous serez en mesure de rembourser deux mensualités le mois suivant. Ce n’est pas vraiment grave. Or il s’agissait en fait d’une crise de solvabilité. Cela signifie qu’une proportion importante des débiteurs ne pourra jamais rembourser, ce qui est bien plus grave.

Pourquoi cette première lecture volontairement erronée ?

Pour gagner du temps ! En effet, les banques voulaient assainir leur bilan comptable en se défaussant le plus possible de leurs actifs pourris sur les États, sur les Banques centrales… et en provisionnant leurs créances douteuses, voire irrécouvrables. Pour les débiteurs, « on » a fait semblant en reportant les échéances, en capitalisant les intérêts, etc., tout en exigeant la mise en place de politiques d’austérité : les fameux programmes d’ajustement structurel (PAS) que j’évoquais plus haut. Cette démarche a évidemment alourdi le coût pour les populations concernées. Mais peu importe.

Une fois les banques « sauvées », il est devenu possible de reconnaître officiellement que les débiteurs s’avéraient (au moins partiellement) insolvables, car le fardeau de la dette était insoutenable. Les banques ont alors accepté une décote sur une partie de leurs créances en contrepartie d’une « sécurisation » des remboursements futurs (plan Brady) comprenant, notamment, la poursuite des politiques de rigueur. L’objectif était d’aboutir à un niveau d’endettement supportable, c’est-à-dire permettant juste de sortir la tête hors de l’eau, tout en veillant…à ce que l’esclave ne puis jamais s’affranchir totalement de la tutelle de ses maîtres.

Cette expérience vécue par les pays du Tiers-Monde est-elle transposable ? Les pays d’Europe semblent tout de même plus solides !

Peut-être, mais cet exemple constitue malgré tout un scénario possible de l’évolution de notre présente crise. S’il se réalise, encore une fois, le sauvetage prioritaire des financiers aura primé, au prix de la paupérisation du plus grand nombre.

Mais, vous avez raison, « notre » crise n’est pas simplement crise de la dette. C’est une crise systémique : financière, économique, sociale et politique.

La crise financière actuelle révèle au grand jour les dysfonctionnements infernaux du marché qui absout et gratifie les inconséquents et qui condamne la masse des innocents manipulés. Or, il a bien fallu progressivement inscrire ces dysfonctionnements dans les règles, dans la loi… comme s’ils faisaient partie du jeu naturel du marché. La substitution a forcément été organisée par ceux qui votent la loi : les élites politiques. En conséquence, la crise actuelle disqualifie les élites politiques. Dans ces conditions, la sortie de crise implique un changement des élites qui ne se fera sans doute pas dans le calme ni dans la sérénité.

Vous affirmez que l’Europe, sous la houlette de Berlin, a troqué le vieux libéralisme contre l’un de ses avatars : l’ordolibéralisme. En quoi consiste cette évolution ?

La source d’inspiration de la construction européenne se situe dans l’ordolibéralisme (ou néolibéralisme allemand) qui trouve son origine en Allemagne dans la période suivant la première guerre mondiale, et marquée par un climat très agité.

Les ordolibéraux de l’Ecole de Fribourg vont tenter de fournir une réponse libérale à cette crise allemande. Les figures marquantes de ce courant de pensée sont Walter Eucken (1891-1950), Alexander Rüstow (1885-1963), Wilhelm Röpke (1899-1966), Franz Böhm (1895-1977), Alfred Müller-Armack (1901-1978) et Ludwig Erhard (1897-1977).

Largement influencé par la pensée luthéro-catholique, l’ordolibéralisme tente de concilier les valeurs chrétiennes et libérales en se démarquant de la « pureté » scientifique du monétarisme d’un Milton Friedman, ou de l’ordre spontané ultralibéral d’un Friedrich Hayek. La traduction de l’ordolibéralisme dans la pratique est l’économie sociale de marché.

Les ordolibéraux considèrent qu’il existe un ordre naturel dont le respect implique une société consensuelle, apaisée et ordonnée, œuvrant pour le bien commun dans le cadre d’une économie de marché. Ils mettent en avant les vertus du marché, dont l’efficience est assurée par la concurrence « pure et parfaite ». Mais celle-ci, pourtant, ne s’établit pas spontanément dans un contexte de pur « laisser-faire », car certains acteurs sont tentés de « fausser » les règles de la concurrence (monopole) pour en profiter.

N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir organiser ce qui est supposé être « pur et parfait » ? Les « ordo » sont-ils encore des libéraux ?


Ils se démarquent justement des autres libéraux en mettant en lumière certains dysfonctionnements du marché. Pour eux, il s’agit de « construire » le bon fonctionnement du marché en assurant la concurrence « libre et non faussée », seule à même de garantir la liberté et la justice sociale.  Ce constructivisme explique la raison pour laquelle le capitalisme rhénan (inspiré par l’ordolibéralisme) est souvent opposé au capitalisme anglo-saxon, considéré comme  plus « sauvage ». L’idée centrale de l’ordolibéralisme est de graver dans le droit et, mieux encore, dans la Loi fondamentale, les libertés et les règles (économiques, sociales) que doivent respecter les agents publics que privés.

Voilà qui explique en partie l’appétence allemande pour la constitutionnalisation de la « règle d’or »…

Tout à fait. Pour les ordolibéraux, la mission principale de l’Etat est de fournir le cadre juridique de la libre concurrence, puis de faire respecter ce cadre. L’intervention de l’État dans l’économie est essentiellement normative, et reste limitée. Par exemple, il ne peut utiliser la politique monétaire car la monnaie est neutralisée, avec une banque centrale indépendante. Celle-ci a pour objectif principal, voire unique, de lutter contre l’inflation.

Cela semble accréditer la thèse d’une Banque centrale européenne (BCE) dont le fonctionnement serait calqué sur celui de la Bundesbank…

Absolument. Par ailleurs, sur le plan social, l’Etat doit fournir un système de couverture sociale qui n’entrave pas le fonctionnement de l’économie de marché. Mais il ne faut pas soutenir l’individu au point de le « désinciter » à l’effort. Il faut au contraire le responsabiliser, et l’inviter à ne point attendre les aides de l’Etat.

Malgré tout, pour garantir l’ordre social, l’ordolibéralisme se révèle pragmatique. Dans certains cas exceptionnels, définis de façon précise (mouvements cumulatifs de dépression ou de surchauffe de l’économie), à la différence des autres courants du néolibéralisme, l’ordolibéralisme envisage la possibilité d’une action conjoncturelle de l’État, budgétaire ou réglementaire, à condition qu’elle s’avère limitée dans le temps.

Le reste du temps, le domaine du politique doit être réduit et isolé. La définition du bien commun ainsi que les moyens pour l’assurer doit revenir à des « experts » et sa réalisation doit être contrôlée par des juges.


Quel lien faites vous avec l’économie sociale de marché, dont vous parliez à l’instant ?

Disons qu’elle est la traduction pratique de la théorie ordolibérale. En Allemagne, de 1966 à 1982, l’économie sociale de marché a connu des adjonctions keynésiennes sous l’influence du parti social démocrate (Willy Brandt, Helmut Schmidt). Le retour progressif aux principes ordolibéraux et à l’économie sociale de marché « purifiée » se fera avec Helmut Kohl et ses successeurs.

Sous l’impulsion de l’Allemagne, la construction européenne se conforme à la doctrine ordolibérale en mettant en place une économie sociale de marché purifiée. Le traité de Maastricht, le traité de Lisbonne, le nouveau traité en projet, les institutions (Banque centrale indépendante notamment) en attestent. Si la domination allemande se pérennise, l’avenir de l’Union sera forcément ordolibéral.

N’est-ce pas là le bon choix ? Après tout, l’Allemagne semble pâtir de la crise moins que les autres. Ses performances économiques ont de quoi faire pâlir d’envie…

Dans le cadre de la construction européenne, la libéralisation des échanges au sein du « grand marché » a permis à l’Allemagne de bonifier ses avantages comparatifs pour aboutir à une spécialisation profitable,  qui se traduit notamment par un secteur industriel puissant et performant et par une balance commerciale largement excédentaire... En revanche, la dynamique allemande s’est révélée prédatrice pour ses partenaires en imposant une division du travail intra-européenne à son profit exclusif.  


Une économie de prédation, non sans ressemblances avec le modèle chinois. C’est en effet la thèse de Jean-Michel Quatrepoint, notamment….


Oui, mais le problème est que cela s’accompagne de la désindustrialisation de certains pays, et de la spécialisation d’autres dans les productions à faibles coûts salariaux, ce qui les condamne tous à une spécialisation « appauvrissante » : sous-traitance, agriculture, tourisme, folklore... A l’instar des métropoles avec leurs colonies, l’Allemagne pratique l’échange inégal avec ses partenaires européens : elle leur vend des produits à forte valeur ajoutée (BMW, Audi,…) et elle leur achète des biens et services peu valorisés.

Ainsi, grâce au processus d’intégration régionale, l’Allemagne, pays central, a progressivement structuré son environnement européen pour construire une sorte de « périphérie » exploitée, dépendante que l’on va jusqu’à qualifier de « PIIGS », non sans mépris.

Cela est-il durable ? Peut-on conserver une économie florissante dans un environnement globalement déprimé ?

Pas à long terme. La puissante Allemagne, volontiers donneuse de leçons, présente d’ores et déjà des traces de rouille dans son armure. En effet, à l’instar des pays émergents (Chine, Inde…) dont on s’émerveille des performances, l’Allemagne est fortement dépendante de ses marchés d’exportation. Que ces marchés viennent à se contracter et l’activité économique se trouvera inévitablement réduite, engendrant la récession, car la demande interne ne pourra significativement se substituer au défaut d’exportations.

Aujourd’hui,  les partenaires européens de l’Allemagne absorbent plus des trois quarts de ses exportations. La crise et les plans de rigueur imposés vont se traduire par une baisse de la demande d’exportations allemandes. Cette tendance sera renforcée par le caractère mondial de la crise. Si vous me permettez une image, lorsque les gazelles meurent, tôt ou tard, le lion affamé subit le même sort…

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lundi 19 décembre 2011

C'est toi qui as voté Maastricht, c'est toi qui l'est. Nananère !



[ Ce texte est également disponible sur Marianne2 ]

« Voir un dirigeant politique (…) reconnaître ses torts et louer les analyses de l'un de ses concurrents à l'élection suprême, voilà un geste d'une noblesse et d'une élégance rares ». Telle est la réflexion que se fit à fort juste titre le blogueur Yohann Duval, en écoutant Jean-Luc Mélenchon dimanche soir sur BFM TV.

Qu’a donc déclaré le candidat de Front de gauche pour générer une aussi vive surprise chez mon confrère blogosphériste ? Tout simplement qu’il s’était trompé sur le traité de Maastricht, ainsi qu’ils sont désormais quelques un à l’admettre. Arnaud Montebourg l’avait quasiment concédé à Marie-France Garaud dans une récente édition de l’émission « Mots croisés ». Durant celle-ci la gaulliste et le chantre de la démondialisation avaient montré une belle solidarité face à Nathalie Kosciusko- Morizet et à Alain Lamassoure.

Quant à Jean-Luc Mélenchon, c’est vis à vis du Lion de Belfort qu’il a, ce week-end, fait amende honorable. Répondant à une question sur son vote en faveur du traité de Maastricht, le leader au Parti de gauche a en effet affirmé sans ambages « je suis un opposant absolu à cette Europe là (…) c'est un échec absolu. Tous ceux qui, comme moi, [y] ont cru à l'époque (…) se sont fait rouler. C'est Chevènement qui avait raison ! C'est le contraire qui s'est passé. On a ouvert, en grand, le pouvoir absolu à la finance ».


Manœuvre politicienne ? Désir de séduire les proches du sénateur de Belfort ? C’est possible. Quoiqu’il en soit, Jean-Luc Mélenchon fait preuve ici d’une humilité peu habituelle en politique. Ce faisant, il fait d’ailleurs mentir Chevènement, qui affirme parfois, un rien désabusé que « les élites n’admettent jamais leurs erreurs ».

« Méluche » vient d’avouer la sienne vingt ans après l’avoir commise. Ce faisant, il n’est pas sans rappeler ici l’attitude d’un certain…Chevènement. Celui-ci, dans son bel ouvrage La France est-elle finie ? se livre à un mea culpa en règles, pour avoir entériné l’Acte unique en 1986 : « je fus moi-même dupe (…) je ne me doutais pas que plus de 300 directives seraient prises (…) afin de déréglementer complètement l’économie ».

Alors que l’émission se poursuit sur BFM TV, le summum de la cocasserie est par ailleurs atteint au moment d’un face à face dans lequel Mélenchon, se trouve aux prises avec Christian Estrosi. Car l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy affirme alors, l’air de rien : « toutes les erreurs sont parties du même point (…) c’est Maastricht. Les autres traités ont découlé de Maastricht ». Il faut dire que le maire de Nice, alors proche de Philippe Séguin et de Charles Pasqua avait voté « non » en 1992. Ce qui ne l’avait pas empêcher par la suite de se renier mille fois.

Nous voici donc face à un numéro de duettistes dans lequel chacun excipe du (ou des) mauvais mauvais traité européen qu’il n’a pas voté, comme s’ils admettaient tous deux que chacun de ces textes fut une erreur, et que le salut reviendra à celui qui en aura voté le moins....

On ne sait plus, par les temps qui courent, à quel moment se produira le grand « renversement des alliances » qui semble désormais nous pendre au nez, ni ce qui en résultera. Une vaste union des communistes aux gaullistes façon « Conseil national de la Résistance » ? Une recomposition de la gauche sous l’impulsion de Chevènement, de Montebourg, et à présent de Mélenchon ? Tout est infiniment plus désirable, quoiqu’il arrive, que la reconduction, en mai 2012, du pareil au même.

Une seule chose, en tout cas, demeure certaine : le 1er janvier prochain, à 0h00, nous entrerons de plain-pied dans une année qui pourrait bien être l’une des plus surprenantes de l’histoire politique récente. Cela vaudra bien d’aller assister à quelque feu d’artifice, quand bien même la nuit serait fort froide.

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vendredi 16 décembre 2011

"Crise", "dette" : vrais maux ou vains mots ? -- article invité --

Par Gérard Molines, invité de l'arène nue

Gérard Molines est enseignant. Il mène depuis quelques temps une réflexion sur la transformation insidieuse du sens des mots, ou sur la duplicité qui conduit à abuser de certains vocables. Il livre ici quelques clés pour comprendre de quoi "la crise" ou "la dette" sont le nom. Car pour Gérard Molines, il ne fait pas de doute que l'emploi ad nauseam de ces concepts sert à entretenir la peur sociale. CD


Vous avez remarqué, sans doute, que les propos quotidiens des uns et des autres privilégiaient les mots « CRISE » et « DETTE ». Deux notions bien confuses et combien étrangères aux préoccupations journalières du citoyen lambda.

Mais deux notions qui encombrent sans ménagement les trompes d’Eustache du citoyen lambda. Puis qui s’insinuent dans les ramifications neuroniques de son cerveau pour finalement choquer (voire brutaliser) son entendement. A force de répétitions visuelles et auditives, les systèmes neuroniques de nos citoyens sont encombrés de ces certitudes : « le monde est en crise ; la dette (laquelle ?) en est la cause » !

Et que le citoyen lambda ne s’aventure pas à contester cette vérité première ! Je m’en suis avisé il y a quelques semaines, en regardant Barack Obama ferrailler avec son opposition autour de la question du plafond de la dette américaine. Il se fit l’obligé des sénateurs et des représentants républicains aux Etats-Unis. Son combat contre la dette et la crise (car on a désormais lié les deux pour « expliquer » aux populations les dysfonctionnements du monde) consista à persuader ses alliés démocrates d’accepter la voie des coupes drastiques dans les dépenses fédérales et d’accélérer la restructuration des rapports Etat-populations. « Moins de services publics » proposa-t-il alors, car ce sont des dépenses lourdes. « Mieux d’Etat » dit-il encore en répétant une formule éculée des années 1970.

On dira qu’Obama n’est pas un modèle pour la France. Bien sûr que si ! J’écoutais récemment, sur une radio - encore - publique notre Ministre des finances et de l’économie, François Baroin, affirmer péremptoirement : « il faut diminuer toutes ces dépenses inutiles de l’Etat, celles qui prolongent les mauvaises habitudes et gênent la modernisation de notre pays ; la solution ce n’est pas l’augmentation des impôts (pour qui ?), c’est la meilleure gestion  des finances publiques ». C’est tout juste s’il nous dispensa du terme « gouvernance », préférant cette fois le laisser à Monsieur Barroso, le président de la Commission européenne.

En clair, et si l’on entend rester un citoyen lambda, la dette qui occupe tous les grands esprits - et à laquelle on ne comprend rien, nous, les gens de la base, c’est bien connu -, est génératrice de la crise. Il faut donc la combattre. Les instruments de cette lutte - toujours des mots de guerre ! - sont simples : on a trop dépensé ; on vit au-dessus de nos moyens, il faut économiser. Ainsi réduction des dépenses publiques et individualisation des dépenses privées (pour les ménages qui le peuvent) seront désormais les « deux mamelles de la France ». Il faut donc « responsabiliser » le citoyen ! D’ailleurs, il sait  bien, ce citoyen qu’un budget sain doit être en équilibre. C’est pourquoi on lui demande de cautionner la fameuse « règle d’or » (encore un concept nouveau, bien parti pour faire florès) dont la légitimation par un traité permettrait de constitutionnaliser « l’équilibre budgétaire » (3% du P.I.B). Au fait, si le P.I.B augmente (oh, si peu certes), les sommes à restreindre dans les dépenses (puisque les recettes seront plafonnées par la stabilisation de l’impôt) vont augmenter, non ?

A aucun moment la question de la nature perverse du capitalisme financier, celui qui fait de l’argent sur le dos de la communauté en spéculant sans cesse, ne sera posée. Car à aucun moment l’origine véritable de la dette et donc de la crise ne sera soulevée par les faiseurs d’opinion. De là à penser que ces deux vocables sont surexposés médiatiquement pour entretenir la peur sociale, il n’y a qu’un pas. Car, qui n’a pas peur du mot « crise » ? Qui ne redoute pas la dette et l’endettement, surtout par les temps difficiles qui fragilisent les pouvoirs d’achat ? Or, maintenir les hommes dans un état d’insécurité absolue n’est-il pas le meilleur moyen d’obtenir qu’ils redoutent de revendiquer, et qu’ils restent à chaque instant disponibles pour accepter n’importe quels emplois, à n’importe quel salaire ?

Qui dira enfin que LA CRISE est celle d’un système dont les excès improductifs et immatériels mènent les sociétés tout droit dans le mur ? Et qui osera enfin se demander pourquoi ceux-là même qui ont produit cette crise voient actuellement leur mission reconduite avec les louanges appuyés des toute la classe dominante ? Qui rappellera que si LA DETTE PUBLIQUE augmente depuis les années 1980, 75% du montant de cette dette est constitué par des intérêts cumulés qui enrichissent les investisseurs institutionnels - dont les banques d’affaires ! Et si LA DETTE PRIVEE, notamment celle des ménages, augmente depuis les années 1980, cela reste le signe d’une amélioration générale du niveau de vie des français. Pourquoi alors diaboliser l’endettement privé si ce n’est pour entretenir de la peur sociale ? Ne faudrait-il pas plutôt rappeler que tout est fait pour favoriser cette forme d’endettement, à commencer par l’acceptation (au nom de la liberté sans doute) de la multiplication d’officines de prêts à taux quasi usuraires ?

La peur telle que l’analysa Corey Robin [1], la peur toujours recommencée, telle est la nouvelle donne des temps modernes que nous imposent les édiles du XXI° siècle. Car avoir peur, c’est toujours manquer de sens critique et donc s’habituer à subir.


[1] Corey Robin, La peur, histoire d’une idée politique, Armand Colin, Paris, 2006.

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