« L’Allemagne souffre d’une peur historique de l’inflation, qui amena Hitler au pouvoir », nous dit-on depuis longtemps. Ces jours-ci, l’antienne connaît d’ailleurs un vif surcroît de succès.
C’est en son nom que l’on justifie en effet un alignement mécanique de la politique monétaire française sur les choix allemands. Il ne faudrait point contredire lesdits choix, sous peine d’éveiller chez nos cousins germains le souvenir douloureux de leurs « heures les plus sombres ». Qui furent aussi un peu les nôtres, mais passons. L’Allemagne, lorsqu’elle plaide pour une « monnaie stable », un « euro fort » ou une « Banque centrale indépendante », ne défend pas du tout ses intérêts de puissance - ce qu’on ne saurait, au demeurant, lui reprocher - mais lutte contre une « phobie atavique ». Voilà qui nous oblige à un silence grave, voire au renoncement pur et simple à la défense de nos intérêts propres. Préservons sans ciller un « euromark » surévalué, quitte à aligner comme des perles les plans de rigueur. D’ailleurs, opposer une résistance, ce serait être « germanophobe », et ça, c’est vraiment très mal.
Pourtant, à réécouter Jacques Sapir, invité de Ce soir ou jamais le 15 novembre dernier, on peut concevoir quelques doutes. L’homme semble en effet se souvenir que l’hyperinflation allemande fut observée non au début des 1930, mais dix ans plus tôt, et que le mark fut stabilisé dès 1924. Quant à la situation allemande de 1930 à 1932, il nous la rappelle en ces termes « un gouvernement dirigé par un économiste de centre-droit, Heinrich Brüning (…) a essayé de sauver la situation par des plans d’austérité qui sont grosso modo ceux qu’on impose à nos pays. Certes, il a sauvé les banques, mais le taux de chômage en Allemagne est passé de 12% à 37%, la demande intérieure s’est contractée de 44%, et quand Brüning est tombé en 1932, la voie était libre pour l’arrivée au pouvoir de von Papen, et après, d’Adolf Hitler ».
Un gouvernement dirigé par un « expert », une vaste entreprise de recapitalisation des banques, une politique déflationniste sans cesse plus rigoureuse, cela ne vous rappelle rien ? Une demande intérieure atone, un chômage qui explose sur fond de montée inexorable des « populismes », cela ne vous rappelle rien ?
Le taux d’inflation moyen dans la zone euro est actuellement de 3%, mais le taux de chômage lui, y dépasse 10%. Il existe donc, si l’on y tient absolument, d’excellentes raisons d’éprouver des « peurs historiques ».
En revanche, rien ne nous oblige à continuer systématiquement à nous tromper de « phobie ».
Lire et relire
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Bien vu. Bravo et merci. Momo.
RépondreSupprimerBravo, Coralie! et il y aurait encore pas mal à ajouter sur les origines du nazisme et de la seconde guerre mondiale. Mais il est de bon ton de n'évoquer que des raisons économiques,d'ailleurs en partie fausses.
RépondreSupprimerP.A
Nickel!
RépondreSupprimerEmmanuel B
Bonsoir,
RépondreSupprimerTout à fait d'accord sur la supercherie consistant à dire inflation mène au nazisme.
Néanmoins, pour me faire l'avocat de l'Allemagne: son modèle industriel a besoin d'une inflation faible pour modérer la pression salariale, et rester compétitif. Aussi, les entreprises allemandes ont plus recours qu'ailleurs aux fonds propres pour mener leurs investissements, gardant des trésoreries qui seraient menacées par une forte inflation.
Si on utilise le cache-sexe du sombre leg historique de l'inflation, le fond de l'affaire est un peu ailleurs...
Bonne soirée.
@LAAlciator :
RépondreSupprimerBonsoir. Je pense qu'il n'y a pas à défendre l'Allemagne, parce qu'il n'y a pas à la condamner.
Elle défend ses intérêts, ce que font toutes les nations, en principe. Il est juste dommage que nous ayons renoncé à défendre les nôtres...Bonne soirée à vous.
Bonsoir,
RépondreSupprimerJ'arrive ici un peu par hasard. Je voudrais quand même faire quelques corrections sur les réactions allemandes. Le traumatisme de l'inflation n'est pas directement lié au nazisme mais à l'expérience d'une monnaie qui s'est effondrée deux fois en un siècle avec ce que cela suppose de ruine pour les particuliers. Une monnaie dont la valeur est divisée par 10 tous les 15 jours pendant deux mois (octobre et novembre 1923), cela marque et reste dans les mémoires avec les histoires de salaires réévalués pendant la journée, de prix qui fluctuent toutes les heures... Et quand moins de 25 ans plus tard la monnaie est à nouveau réduite à rien après des crimes sans nom (1948), le citoyen de base a le droit d'être particulièrement méfiant avec les tripatouillages monétaires.
Il est vrai qu'en France plus personne ne se rappelle des assignats, mais cela explique un bon siècle d'attachement au franc Napoléon et à sa stabilité.
Maintenir la valeur de la monnaie (déflation si vous voulez), c'est sûrement douloureux immédiatement, mais cela a aussi l'avantage de limiter les possibilités de spéculation parce que la valeur des choses ne s'en trouve pas faussée.
Cordialement.
@Naif:
RépondreSupprimerFort juste, en économie fermée, une monnaie stablée donne du sens aux valeurs.
Mais dans la situation actuelle, elle fausse complètement la valeur de nos produits par rapport aux produits importés. Ou plutôt: elle reflète la valeur relative, soit. Mais pas le travail fourni.
Je suis tout à fait favorable à ce que l'on se sacrifie pour nos amis Européens du centre et du sud-est. Un peu aussi pour les pays au développement encore lointain. Beaucoup moins pour d'autres.
-ce faisant, je me fais l'avocat de l'autre partie-
@Tenancière inspirée:
Quand Jospin passe aux 35 heures alors que les Allemands portent Schröder avec son Agenda 2010, nous avons mis un terme à toute possibilité de convergence volontaire. C'était ou leur modèle qui s'imposait, ou le "notre".
L'Allemagne a gagné, on a perdu.
@ Naïf.
RépondreSupprimerL'inflation de 1923 fut en effet un véritable traumatisme pour les Allemands.
Inflation folle (des produits de première nécessité payés en milliard de marks).
Cela explique sans doute la mauvaise politique menée par Brüning 7 ans plus tard. Il était obsédé par un seul objectif : défendre la monnaie.
Stabiliser les finances, défendre sa monnaie, c'est une bonne chose. C'est ce que fit De Gaulle en 1958 (courte politique de rigueur mais avec une dévaluation). Puis, une fois réglé ce problème, c'est à "l'économie réelle" qu'il donna la priorité ("la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille").
Mais, la déflation, ce n'est pas seulement "douloureux immédiatement".
C'est calamiteux pour l'économie.
Car, le résultat est le suivant :
- Un ilot : la monnaie sauvée.
- Un océan : une économie totalement en ruine.
La politique des monétaristes, des déflationnistes, c'est sauver ce qui ne devrait être qu'un outil (la monnaie) au détriment de l'essentiel (la production).
Pepe a soulevé un problème de fond,qui se pose en économie mais pas seulement:
RépondreSupprimerquandon confond les fins et les moyens,on se casse forcément la figure.
« Excellent rappel historique.
RépondreSupprimerNous fonçons vers l'abime, les yeux ouverts, mais sans voir ce qui est sous nos yeux !
Le projet de construire des Etats-Unis d'Europe est devenu obsolète le jour où le Royaume Uni est entré dans l'Europe. Mais le rêve continue à motiver nos dirigeants, comme si de rien n'était !
Une monnaie ayant besoin d'un Etat pour exister, ils se sont dit que l'existence de l'euro ferait advenir un Etat européen. Comme si mettre une charrue au début d'un sillon pouvait faire apparaitre un bœuf devant elle pour la tirer...
Aujourd'hui ils s'obstine à y croire : "ce qu'il faut, c'est plus d'intégration européenne".
C'est d'une absurdité sans nom.
L'échec de l'euro est patent. Jamais la Grèce ne remboursera ses dettes. Et, tant qu'est maintenu l'euro, mark déguisé qui convient à l'Allemagne mais pas aux pays moins compétitifs qu'elle, ni l'Italie, ni l'Espagne, ni sans doute la France ne pourront jamais rembourser leurs dettes. Mais on continue à faire "comme si".
Assister ainsi à une catastrophe inéluctable et annoncée est désespérant »
Dès lors que défendre ses intérêts consiste à marcher ouvertement sur les autres, si, c'est moralement condamnable.
RépondreSupprimerJ'aimerais bien évoquer ici l'exemple de l'hyperinflation en Pologne entre 1922 et 1924 ! Il est à noter que, si l'utilisation de la planche à billets a initié l'hyperinflation polonaise, elle n'en a pas été la seule cause. Comme bien souvent, elle a été accélérée par la très rapide circulation de la monnaie et la thésaurisation de l'or et de l'argent, éternels refuges des épargnants inquiets.
RépondreSupprimerL'hyperinflation en Pologne entre 1922 et 1924
Un des derniers articles de Michael Krieger, de Kam LP, compare les banques et les institutions financières à des vampires. Et le parallèle est très bien trouvé… COMBATTRE LES VAMPIRES DE L’ÉCONOMIE AVEC DE L’ARGENT MÉTAL
RépondreSupprimerOulà on se calme... Adosser une monnaie sur un métal c'est mettre en comparaison la représentation de la production (la monnaie) avec une richesse (l'or, l'argent, le bois ou meme les fraises tagadas si vous voulez). La production d'une économie est faite de valeur ajoutée, pas d'intrants.
RépondreSupprimerEn effet, la quantité d'or et sa vitesse de circulation dans une économie évolue en fonction du stock et des nouveaux gisements. Or, la production ne se suffit pas à ce simple bien (d'ailleurs 70% des économies occidentales correspondent au secteur des services)
Comment l'évolution de la demande et de l'offre de l'or pourraient etre les memes que les variations de la valeur ajoutée dans l'économie.
C'est pourquoi aujourd'hui, la monnaie est déconnectée de tout objet matériel car elle ne représente pas une richesse mais une valeur ajoutée (PIB = somme des valeurs ajoutées).