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mardi 29 novembre 2011

La gauche retrouvera-t-elle la voi(x)e du peuple ?

Plaidoyer pour une gauche populaire


La gauche peut-elle renouer avec l’électorat populaire, ou est-elle vouée à « rechercher le peuple désespérément », comme l’ont craint un moment Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin ? Le Parti socialiste, considéré comme la principale formation de gauche,  retrouvera-t-il sa vocation originelle, ou laissera-t-il ouvriers et employés dériver vers les « populismes », pour demeurer ce qu’il est devenu : un parti de bobos ? C’est une question que l’on commence à se poser au PS. Certains ont même fait mieux, en s’efforçant d’y répondre. S’arrachant aux « impensés de la gauche », un groupe d’intellectuels [1], réunis autour de deux élus socialistes [2], nous livrent, à quelques mois du scrutin présidentiel, un véritable « Plaidoyer pour une gauche populaire » [3].

L’alarme fut donnée, au mois de mai dernier, par un rapport désormais célèbre de la Fondation Terra Nova [4]. Celui-ci, semblant prendre acte d’une inexorable droitisation des couches populaires, prônait la construction artificielle d’une sorte de « peuple de substitution ». Naturellement acquis à la gauche, celui-ci serait constitué des jeunes, des diplômés, des femmes et des personnes « issues de la diversité ». Oublié, cet ouvrier blanc sans âge et sans diplôme supposé obtus, frileux, intolérant, et définitivement « lepenisé ».

Surréaliste ? Pas tant que ça. Pour Laurent Bouvet, la gauche est finalement très imprégnée de « cet idéal trentenaire en forme d’illusion, qu’est le multiculturalisme » et par le « libéralisme culturel et moral » qui va avec. Or cela n’est pas anodin. Outre qu’il semble difficile de gagner une élection présidentielle sans le peuple, même en agrégeant tous les particularismes à la mode, ce phénomène constitue un véritable renoncement de la gauche à sa vocation originelle. Car, si l’on en croit Jean-Claude Michéa, le libéralisme « de gauche » n’est pas meilleur que celui « de droite », chacun n’étant que l’une des faces – politique et culturelle pour l’un, économique pour l’autre – d’une funeste réalité.

Au bout du compte, le rapport de Terra Nova aura au moins permis de forcer l’émergence d’un débat, là où régnait depuis longtemps un consensus tacite. Il n’est plus tabou de vouloir reconquérir les « couches populaires et moyennes intégrées ». Car, entre le bourgeois urbain soucieux de sortir du nucléaire et de s’alimenter bio, et un lumpenprolétariat banlieusard sur lequel la gauche a pris l’habitude de se focaliser, il existe une France périphérique, rurale et périurbaine, décrite avec talent par Christophe Guilluy, qui demeure en quête de représentants. Alors qu’elle ignore depuis longtemps cette « cohorte de salariés déclassés qui, sans dépendre de l’assistance, se débattent dans l’univers quotidien des CDD, de l’intérim et des petits boulots », la gauche a en partie trahi sa raison d’être. Si elle remporte nombre de scrutins locaux, elle a aussi perdu beaucoup d’élections nationales. Doit-on rappeler qu’en 2002, seuls 13% des ouvriers ont voté pour Lionel Jospin ?

Les avocats de la gauche populaire ont en tout cas le mérite d’ouvrir les yeux sur l’insécurité macroéconomique qui tenaille cette France oubliée. Ils en avouent même l’une des principales causes : « l’incursion répétée de la globalisation dans (son) quotidien » (Philippe Guibert). S’il est vrai que la mondialisation fut parfois considérée comme heureuse, et qu’elle l’est peut-être encore pour « les élites mondialisées » décrites par Zygmunt Bauman, elle l’est moins pour les sédentaires involontaires, qui ne peuvent ni en bénéficier, ni la fuir. L’érosion rapide du pouvoir d’achat, l’épouvante générée par la financiarisation de l’économie et la concurrence d’immigrés tirant bien malgré eux le coût du travail vers le bas ne sont plus niées. Certes, on ne va pas jusqu’à proposer la « démondialisation », et l’on prend soin de rappeler que « la protection n’est pas le protectionnisme ». Pourtant, Alain Mergier en convient : une forme tenace d’insécurité « se rapporte aux rapports que la France entretient avec son extériorité, dominée par deux termes, l’Europe et la mondialisation ». La première est d’ailleurs perçue par les classes populaires - à juste raison - comme le cheval de Troie de la seconde.

Mais au-delà du discours sur les peurs économiques, qui, par chance, n’avait pas encore totalement déserté la pensée de gauche, apparaît une réflexion plus audacieuse encore. L’ouvrage s’attaque en effet sans tabou, et avec une lucidité qui rassérène, à ce phénomène nié plus encore qu’ignoré : le sentiment d’insécurité culturelle. Oui, il existe « une ouverture des frontières destructrices de l’identité nationale » (Bouvet). Oui, il existe une « déstabilisation des habitudes de vie quotidienne » (Mergier). Et oui, les couches populaires portent le deuil d’une l’époque où elles jouaient encore le rôle de « référent culturel » (Guilluy) au profit des nouveaux venus. On a beaucoup tu ces évidences par crainte d’être  suspecté de populisme. Comme s’en désole Alain Finkielkraut, nous avons tant voulu respecter « toutes les cultures », que nous avons a oublié de défendre la nôtre : celle de la République, qui autorise le « vivre ensemble ». Faut-il continuer à camper sur des postures morales stériles pour s’éviter les foudres de professeurs de philosophie qui, tels un Raphaël Enthoven, traquent sans relâche un « discours sécuritaire » derrière chaque tentative de réflexion égalitaire ? Les chantres de la gauche populaire ont opté quant à eux pour l’abandon de la langue de bois. On préfèrera ici saluer leur démarche.

Il manquera peut-être à cet ouvrage une dimension économique. Si l’on choisit de renouer enfin avec le peuple, il ne suffit pas de se montrer ouvert à ses préoccupations. Il faut aussi lui proposer une alternative, pas seulement une alternance. Or comment envisager de guérir cette France malade sans se donner d’abord les moyens d’une politique économique volontariste ? Comment mettre en oeuvre une politique industrielle ambitieuse sans remettre en cause les dogmes libéraux qui l’asphyxient depuis trente ans ? Et sans croissance, comment envisager, enfin, de répartir plus équitablement les fruits de celle-ci ?

Il conviendra également de ne pas céder au syndrome de la « coalition victorieuse », qui frappe, justement, Terra Nova. Il ne s’agit pas seulement d’opposer le « vrai peuple » à celui de substitution, dans une simple optique de victoire électorale. Un candidat à l’élection présidentielle doit en effet s’adresser à la nation toute entière, qui est bien plus qu’une simple juxtaposition de cibles et de catégories.

Espérons en tout cas que le Plaidoyer pour une gauche populaire rencontrera l’écho qu’il mérite auprès du candidat qu’il cherche à convaincre. Car c’est bien à François Hollande que ce texte est adressé. Celui-ci saura-t-il s’en saisir pour gagner l’élection ? Surtout, s’il l’emporte, saura-t-il le faire vraiment sien, afin de n’avoir pas gagné pour rien ?


[1] Laurent BOUVET, Philippe GUIBERT, Christophe GUILLUY, Rémi LEFEBVRE, Alain MERGIER et Camille PEUGNY.
[2] Laurent BAUMEL et François KALFON.
[3] Plaidoyer pour une gauche populaire, Le bord de l’eau, novembre 2011
[4] Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?

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13 commentaires:

  1. Le problème, justement, c'est qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, chère Coralie.
    Parce que sinon, une gauche populaire, moi, j'en connais une. Elle a un joli programme, L'humain d'abord (Librio 2 euros) et le joli nom de Front de Gauche. La dernière fois, aux Cantonales, et malgré une petite manip de Guéant qui a empêché de le comptabiliser comme tel, le FDG a recueilli 10% des voix. Pas si mal, et ce n'est qu'un début. Mes camarades sur le terrain reprennent les voix égarées au FN une par une avec les dents. Et sans moraline antifasciste.

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  2. Bonsoir, Jérôme
    Je connais vos préférences, mais, de manière assez confuse et sans savoir l'expliquer, Mélenchon, je n'y crois pas.
    Sur l'Europe, sur l'idée de nation, des choses qui me semblent primordiales, je ne parviens pas à entendre son discours.
    C'est que...je suis un peu gaulliste tout de même (même si je ne l'aurais jamais formulé ainsi avant que vous ne me l'annonciez vous même!)
    Vous me direz, Hollande n'est pas gaulliste... Mais relayer cet ouvrage ne me semble pas revenir à militer pour lui.

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  3. Bien sûr, mais ce qui est amusant, c'est quand même qu'il y a un "cartel des gauches" qui existe depuis 2009, le FDG, qui fait de bons scores à toutes les élections parce qu'il renoue justement avec une partie de l'électorat populaire et que j'entends dire à longueur d'éditoriaux, et ce depuis les excellents livres d'halimi et de conan, que le problème de la gauche, c'est le peuple. Disons que c'est le problème des Verts (tous) et des Socialistes (presque tous), pas le nôtre. Ou plus exactement, que nous faisons tout pour retrouver cet électorat naturel.
    Quant à Melenchon, je ne pense pas vous convaincre mais écoutez tout de même, au-delà du bonhomme qui a les défauts de ses qualités, le programme qui est mis en avant. Sur la Nation, l'Europe, justement, enfin ces choses qui sont primordiales pour vous comme pour moi puisqu'il me semble à vous lire que nous sommes d'accord sur l'essentiel, chère Coralie.

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  4. Jérôme :

    Pour l'avoir lu, je n'ai pu que constater que le programme du Front de Gauche reprend sans le dire explicitement les thèses de Terra Nova... l'idée est de s'adresser à chaque petit bout de l'électorat, qu'on a au préalable soigneusement découpé en tranches : régularisation de tous les sans-papiers, soutien inconditionnel aux mouvements féministes (il est même question de lutter contre la pornographie), grande importance accordée aux sujets sociétaux, etc. Ce n'est pas une vision très républicaine de l'avenir de notre pays.

    En fait, le Front de Gauche c'est un peu le PS sous LSD. Ils sont moins naïfs mais le logiciel qu'ils utilisent reste globalement le même (fédéralisme, dénigrement de la nation, défense acharnée de l'euro, sociétalisme, différentialisme). Ce n'est pas pour rien que le FdG refuse que le M'PEP rejoigne ses rangs. Dommage car ce qu'écrit Aurélien Bernier est parfois très intéressant.

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  5. C'est l'amour de l'étranger qui permet de se débarrasser de l'ignoble ouvrier en toute bonne conscience. La séquence est inverse, on veut balayer le bachelier et le bac moins trois, donc on les abandonne avec sa bonne conscience d'antiraciste à vraiment peu de frais puisque le racisme de l'Allemagne ne dérange pas nos gauchistes bac plus trois à cinq.
    L'inégalité étant puissamment incrite dans la mentalité de l'espace girondin, le seul moyen, pour le PS, de revenir à l'égalité, serait de proclamer l'égalité de tous à l'intérieur de la Nation en méprisant plus ou moins les autres pays. Je ne sais pas si c'est recommandable. Le PS me semble plutôt prêt à détruire les classes populaires et moyennes dans une soumission aux puissances extérieures. Dans le passé, la SFIO n'a pas vraiment bien réagi aux crises en tous genres.

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  6. Excellente. Une gauche je comme la votre, madame, je serais tenté. Finalement, un Chevènement moderne ferait l'affaire. Ou le lion de Belfort lui-même. Au pire, vu son âge, on en a pour 5 ans.

    @ M.Leroy: comme tout front, le front de gauche abrite une profondeur stratégique. Celle-ci est emplie de ces réflexes déconstructeurs qui obsèdent la gauche française toujours affairée à s'assurer que le Père est bien mort et ne remue pas dans son cercueil. Toujours occupée à tondre toute pousse qu'elle juge réactionnaire. Drôles d'athées qui croient à la résurrection des temps qui furent. Ceci explique peut-être cela: Mélenchon le latiniste ne perce pas d'un iota chez le populo, et en pleine crise grecque

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  7. Votre analyse est très intéressante. Poser les questions culturelles est toutefois très délicat ; comment trouver un compromis entre la classe ouvrière et les migrants sachant qu'ils se repoussent autant qu'ils se recoupent selon que l'on considère l'identité ou le niveau de vie. Quelle politique d'accueil des étrangers? j'avoue ne pas arriver à prendre parti, et je reste dans l'entre deux. Quant à la discussion sur Mélenchon, il me semble que, bien qu'il soit le candidat le plus proche de la rupture avec Le libéralisme économique,(en ce sens je rejoindrai J. Leroy), il reste prisonnier de l'Europe (pourtant associée à un grand amour de la patrie) et d'un idéal qui confond l'ouverture culturelle et géographique avec le BIEN. Je pense néanmoins qu'il évoluera, ce qui est beaucoup moins probable chez Hollande.
    Cordialement.

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  8. En terme économiques, justement, les immigrés ne tirent pas les salaires vers le bas.
    Mais pour le savoir, il faut diversifier ses sources de lecture. Et apprendre l'anglais.
    (je suis une VRAIE méchante bobo)

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  9. @Ema : non, je le lirai PAS du Laurence Parisot, même en anglais.

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  10. si nous diversifions nos sources de lecture nous nous apercevons dans toutes les langues que les immigrés ne viennent pas pour travailler mais pour bénéficier de la politique sociale

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  11. @Patrice : oui, bien sûr. Et notamment les Pakistanais qui migrent en Arabie Saoudite, où la politique sociale leur est super favorable.
    Au fait, comment dit-on "billevesée", en langue ourdou ?

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  12. nous disons comme ceci cela : billevesée بیکار کی باتیں

    j'attendais cette réponse pour sortir mon pack delivery a voir sur www.senegalaisement.com ; il y en a d'autres

    Accouchement en France (le pack DELIVERY) :

    Seules vous, chanceuses Sénégalaises, peuvent le faire (forcément !). La France pratique le droit du sol. En effet, si vous accouchez en France, même par hasard ou par erreur, votre enfant sera français ! Même si vous ne parlez pas un mot de Français et que vous êtiez juste en transit à l'aéroport Charles de Gaulle !

    Votre enfant étant français, vous êtes donc inexpulsable. Vous êtes désormais "à la maison" et l'obtention de papiers voir de la "nationalité" n'est qu'une question de patience. >>> C'EST GAGNE ! Taux de réussite : 100% !

    Comparatif : LONASE/PMU : 1 chance sur 2 869 320 - Accouchement en Europe : 100% réussite

    Avantages >>>
    - L'adhésion aux principes de base de la France et la maîtrise de la langue ne sont pas obligatoires
    - Technique sûre et rapide
    - Technique peu coûteuse
    - Prestations et protection sociale instantanées (CMU, allocations etc..)
    - Possibilité de faire venir rapidement des autres enfants mineurs restés au Sénégal
    - Confort du voyage en avion

    Inconvénients >>>
    - Nécéssité d'être enceinte
    - Obtention d'un visa tourisme parfois un peu compliquée
    - Solution impossible pour les femmes ménopausée ou pour les hommes

    ESTIMATION DU COÛT DU PACK DELIVERY : 610€ (billet charter + visa + passeport)

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  13. Croire en Mélanchon, ce corrompu allié au grand capital... Il faut vraiment être abruti !

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