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lundi 11 mars 2013

Pourquoi les Femen françaises sont-elles déjà démodées ?



Décidément, on parle beaucoup du mouvement Femen. Diffusion, sur France 2, de « Nos seins, nos armes », le reportage hagiographique de Caroline Fourest et Nadia El Fani, sortie du livre écrit avec Galia Ackerman : ce début mars semble s’y prêter.

Pourtant, si les « sextrémistes » venues de l’Est intéressent depuis quelques temps et si leur audace, décoiffante dans un pays comme l’Ukraine, peut susciter quelque respect, leurs homologues françaises, pour leur part, n’ont réussi à émerger dans le débat public qu’en une seule occasion : leur happening raté à la cathédrale Notre-Dame. Décidée juste après que le pape Benoist XVI eût annoncé sa démission, cette action incompréhensible, qui semblait n’avoir pour objet que de célébrer le renoncement d’un très vieil homme sentant venir la fin, a surtout suscité de la réprobation.

Tout a été dit, ou presque, sur la différence de contexte entre la France et l’Ukraine : République laïque ici, régime autoritaire lié à l’Église orthodoxe là-bas. Bruno Roger-Petit l’explique dans ce texte. Pour lui, les Femen n’ont « rien à faire en France ». On est tenté d’approuver et de ne pas insister davantage puisque tout le monde en convient : la situation des femmes n’est pas la même à Paris, à Kiev, au Caire ou à Kaboul. L’idée d’une « internationale féministe » apparaît donc farfelue.

On peut en revanche relever cette étrangeté : c’est au moment précis où les Femen parisiennes parvenaient à défrayer la chronique qu’elles torpillaient, dans le même temps, l’intégralité de leur capital sympathie.

Avant de faire irruption à Notre-Dame, elles avaient certes tenté une façon plus consensuelle d’attirer à elles les caméras, en se heurtant aux militants de Civitas lors des manifestations contre le « mariage pour tous ». En allant houspiller « des fachos », on risque certes de ramasser quelques coups, mais le bilan coûts/avantages de ce type d’opérations reste en général positif. Hélas, pas cette fois. Les Femen ont eu les coups, pas la reconnaissance. Car tout le monde avait compris dès le début ce qu’était Civitas : un groupuscule folklorique sans conséquence, une sorte de négatif photographique de l’outrance des Femen elles-mêmes. Bref, une expression, tout comme elles, de la banalisation et de l’omniprésence de ce que Mikhaïl Bakhtine appelait les « événements de carnaval ».

Après cet échec, donc, cap sur Notre-Dame. Pourquoi ? Sur France Culture, Brice Couturier donne un début d’explication, notamment lorsqu’il il s’interroge : « couronnes de fleurs et seins nus, à force de jouer avec les poncifs de l’éternel féminin, avec les mythologies croisées de la vierge slave de village et de la gogo girl [les Femen] servent-elles vraiment la cause des femmes ou plutôt celle de la société du spectacle ? ».

C’est une bonne question. Et, si l’on admet que la bonne réponse est « la société du spectacle », les choses s’éclairent en partie. Car cette société du spectacle a ses exigences. N’y devient pas vedette qui veut. Pour émerger, encore faut-il parvenir à créer une couche supplémentaire de buzz par-dessus le buzz préexistant, à ajouter du bruit au bruit et du scandale au scandale. L’espace étant saturé d’images, il faut en créer de plus originales, de plus frappantes, de plus imaginatives pour parvenir à se tailler une part de « l’attention du public », ce bien devenu si rare.

Le « féminisme nunuche » de groupes comme La Barbe ou Osez le féminisme y était arrivé en son temps, créant la surprise par le truchement d’actions incongrues comme « Osez le clitoris ». Ces associations sont aujourd’hui dépassées et le pressentent. De fait, les modes d'action des Femen ne font pas l'unanimité dans leurs rangs. Elles sont désormais coiffées au poteau par un « féminisme trash » plus habile dans l’art de la mise en scène, plus inventif, plus culotté. Un article très bien informé du Monde explique d'ailleurs combien est grande l'attention portée par les Femen à la production et la diffusion d'images1.

Tout porte pourtant à croire que l’aventure médiatique des sextrémistes aux seins nus – en tout cas de leur branche française – touche déjà à sa fin. A Notre-Dame, l’outrance a payé, et les micros se sont tendus. Mais pour parvenir à ce résultat, les militantes ont été contraintes d’aller trop loin. Elles n’ont pas seulement choqué, ce qui était leur but. Elles ont aussi déplu. Pire, elles ont lassé… déjà. D’ailleurs le groupe connaît des tensions et des défections, notamment parmi les recrues issues des Insoumises, comme l’explique encore Le Monde.

Les Femen sont parfaitement adaptées à la société du spectacle: elles ne conçoivent pas de doctrine, elles n’élaborent pas de plan : elles produisent du show et des produits dérivés. Elles en sont récompensées. Mais cela ne peut durer qu’une seconde. Car, comme le dit George Steiner, pour gagner à ce jeu-là, tout doit être calculé pour avoir « un impact maximal et une obsolescence instantanée ».

L’impact maximal a été atteint. Vient maintenant l’obsolescence.

1 Et accessoirement la manière dont elles se financent...
 
Lire et relire sur l'arène nue : 
Que nous apprend le sondage sur les femmes politique préférées de Française ?  CLICK
"Féminisme" con, infidèles castreuses CLACK
Politique : les "femmes de", alliées objectives du machisme ordinaire ? CLICK
Les mioches de l'UMP dans les jupes de Duflot CLACK
Bruxelles voit la science en rose pour les filles  CLOUCK
 

10 commentaires:

  1. Y en a qui font mieux : elles les traitent de trolls...
    http://angrywomenymous.blogspot.de/2013/03/la-femen-est-elle-une-bestiole-utile-ou.html

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  2. Les Femen sont une création publicitaire sexiste, rien de plus. Une machine à occuper les médias et à flatter le reptilien des mâles.
    http://www.psyops.fr/2013/03/05/femen-creation-publicitaire-sexiste/

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  3. Ce qui est intéressant, et même important, c'est de savoir qui finance ce mouvement. Des bruits circulent mais rien de sûr et définitif. Tant que cela n'est pas éclairci j'aurais plutot tendance à les ignorer.

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  4. Excellent article, comme toujours ;)
    En plus "virulent", il y a aussi : http://chroniquesdhugues.wordpress.com/2013/03/14/mes-pensees-aux-femen/

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  5. Bonjour, revenons dans cinq ans pour vérifier votre prédiction finale. Avez-vous des pouvoirs de divination? Avez-vous lu un jour une quelconque histoire du féminisme? Avez-vous un quelconque rapport même lointain avec les luttes qui sont engagées? Une accointance avec autre chose que des cancans sordides?
    Non?
    Documentez-vous en première main pour le moins, par pitié.
    Vous pouvez aussi lire un peu de René Girard sur la construction des boucs émissaires, ça ferait du bien à votre journalisme.

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    1. Bonjour,

      Vous savez, c'est un peu une tarte à la crème de dire à quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord "vous n'avez jamais rien lu sur le sujet".

      L'autre tarte à la crème est "vous êtes lepéniste" ou "vous êtes facho".

      Est-ce que ça vaut vraiment la peine de répondre à l'un ou l'autre de ces arguments ? Vous voulez quoi ? Que je vous dresse une liste de ce que j'ai lu depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours ?

      Bref...

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  6. Bonjour, je suis également d'accord avec le post anonyme, les Femen deviennent un bouc émissaire facile, c'est si confortable de taper à plusieurs. Pourtant, elles luttent, et on voudrait les réduire à des seins nus qui font le spectacle? pas mal de misogynie là-dedans. Quant au fait que vous approuviez quelqu'un qui ose affirmer qu'elles n'ont rien à faire en France, ça laisse songeur...
    Ajouté à cela que personne ne vous a traité de facho ou de réac, mais que vous devancez la chose en le faisant vous-même, vous pensez donc que vos propos peuvent être qualifiés de la sorte, et ça ne vous pose aucun problème?

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    1. Bonjour,

      Si je devance les accusations, c'est parce que je connais par coeur les différentes techniques qui permettent de disqualifier autrui sans avoir pris la peine d'amorcer un débat. Si l'adversaire 1) est inculte ou 2) est facho, il est discrédité en amont. Plus besoin de trop se fatiguer à argumenter, donc.

      Le fait que je fasse mien un texte de Bruno Roger-Petit devrait vous rassurer plus que vous inquiéter. C'est un social-démocrate hyper orthodoxe. Il a son carnet de vaccination à jour, qui prouve qu'il n'a jamais pensé brun.

      Dire que les Femen son en train de devenir des boucs émissaires me semble un comble. Il y a des tas de gens qui aimeraient être aussi maltraîtées qu'elles, et faire (au mon Dieu, quel triste sort) la Une de Libération ou des Inrockuptibles.

      Alons, soyons raisonnables. De l'instit' au quasi-Smic à la caissière à temps partiel en passant par l'agricultrice fauchée, je pense que beaucoup de femmes aimeraient être à leur place : jeunes, belles, et photographiées pour des revues en papier glacé.

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  7. En parlant de la phrase de B. Roger-Petit, je ne parlais pas de résonance "brune", simplement du fait qu'en France aussi il y a de quoi faire en matière de sexisme.
    Dire que les Femen sont bien traitées me semble par ailleurs témoigner d'un manque de connaissances alarmant alors que vous écrivez à leur sujet. Je vous conseille de lire cet article: http://www.lesinrocks.com/2013/01/01/actualite/une-femen-ou-sont-passees-les-feministes-francaises-11334015/
    Vous pensez toujours que beaucoup de femmes aimeraient être à leur place?
    Vous disiez quoi déjà, soyons raisonnables, c'est ça?...
    On peut ne pas être d'accord avec certains aspects de leurs actions, moi-même je ne comprend pas forcément leur nudité par exemple, mais ce que vous écrivez résonne seulement comme un cri aigri envers un groupe de femmes médiatisé, refusant d'admettre la lutte qu'il y a derrière.

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  8. "Aigri" : là, vous êtes très loin du compte. Etre médiatisée de cette manière-là, c'est à dire n'avoir rien d'autre à offrir que ma seule image... j'aurais l'impression de déchoir.

    A vrai dire, le principal truc que les Femen m'inspirent, c'est de l'angoisse. Leur extrême violence et le caractère quasi sectaire du mouvement (avec un presque culte de la personnalité autour de leur leader et des hurlements en anglais pour tout corpus doctrinal) m'effraie.

    Quant à l'écho qu'elles rencontrent, il ne m'effraie plus. Il me désole. Comme il convient d'être désolé de voir des gens confondre un phénomène de mode avec les prodromes d'une révolution.

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