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lundi 4 avril 2016

Nuits debout - les Indignés : points communs et différences.






Christophe Barret est historien et spécialiste de l'Espagne. Il est l'auteur de Podemos, pour une autre Europe aux éditions du Cerf. En novembre dernier, il avait accordé une interview à L'arène nue à ce sujet. On peut la découvrir ici. Il revient ici brièvement sur les points communs et les différences entre le mouvement Nuit debout et celui des Indignés espagnols de 2011. Il en profite aussi pour évoquer la création de Podemos. 


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Vous êtes l'auteur d'un livre sur le parti espagnol Podemos, dont on sait qu'il est né pour partie des aspirations exprimées par le mouvement des Indignés. Le mouvement « Nuit debout », qui s'installe à son tour en France ressemble-t-il à celui des Indignés ?

Oui, à plusieurs points de vue. L'indignation qui s'exprime place de la République est du même type que celle qui a jeté les Espagnols dans la rue il y aura tout juste cinq ans d'ici quelques semaines. Nous assistons à une révolte des classes moyennes menacées par la précarisation - qui se cristallise aujourd'hui autour du projet de loi El Khomri. Il s'agit d'un mouvement social, qui cherche à s'exprimer en dehors des cadres politiques et militants traditionnels. Sans être autant inspiré par les mouvements altermondialistes qu'il y a cinq ans cinq ans en Espagne, dans le sillage des printemps arabes. On y voit surtout se distinguer un intellectuel comme Frédéric Lordon par exemple... Avec peut-être une ébauche de logique européenne, avec l'ouverture d'un espace politique authentiquement continental, animé par des gens veulent se réapproprier la démocratie.

Vous parlez de classes moyennes menacées de précarisation. Ne s'agit-il pas aussi - et surtout - de personnes très jeunes ayant l'impression de manquer de perspectives ?

On y voit ces jeunes-là, mais aussi des personne plus âgées - qui certes sont souvent leurs proches. Elles viennent « faire un tour », comme on dit, après le travail. Beaucoup d'entre elles, effectivement, s'inquiètent pour le sort de leurs enfants, jeunes adultes à qui il faut désormais payer des études très chères ou aider à trouver du travail.

Le mouvement est en train de se propager dans de nombreuses villes de France. Cela ne reste-t-il pas, à ce stade, un phénomène très urbain ?

Tout à fait. Mais les Indignés étaient aussi un phénomène urbain ! La différence, peut-être, avec la France, c'est qu'un Pablo Iglesias, par exemple, ne prend pas cela pour un handicap. Car, dans l'histoire de l'Espagne, les grands changements politiques se sont toujours imposés en commençant par les villes. Il suffit, par exemple, de penser au renversement de la monarchie survenu en 1931 suite à des élections municipales.

La situation sociale de la France n'est pas encore, heureusement, celle de l'Espagne. N'y a-t-il pas dans « Nuit debout », avant des revendications sociales stricto sensu, l'expression d'un ras le bol, d'une souffrance civique dans un pays très politique comme la France ?

Effectivement. La souffrance - si on peut utiliser ce terme - est politique. La France n'a pas, contrairement à l'Espagne, plus de 50% de ses jeunes actifs au chômage. Mais il ne faut pas oublier que Podemos doit aussi son succès à une revendication très politique, celui de l'instauration d'une démocratie réelle. Avec bien sûr, l'un n'empêche pas l'autre, un discours très social.

Mais... l'horizontalité politique peut-elle séduire autant en France qu'en Espagne, un pays beaucoup plus décentralisé ?

Je ne suis pas sûr que l'horizontalité ait tant inspiré que cela Pablo Iglesias et les autres fondateurs du mouvement Podemos. On le sait peu mais Podemos n'est pas une extraction brute du mouvement des Indignés. C'est un mouvement patiemment construit, dont les bases ont été jetées avant même 2011. A l'époque, il s'agissait avant tout de redonner des couleurs à la gauche radicale. La fabrication puis l'émergence de la figure du leader y ont été fondamentales. Aujourd'hui, les deux cultures, verticalité et horizontalité, cohabitent toujours, au sein du mouvement.

Je ne suis pas sûre de comprendre : à quel point Podemos est-il issu du mouvement des Indignés ? Cela ne se recoupe pas tout à fait....

Non justement. De nombreux Indignés ont rejoint Podemos. Mais l'idée de créer un parti - le futur Podemos - n'a pas été arrêtée sur les places espagnoles. Elle a été élaborée au sein du groupe d'universitaires et de militants de la gauche radicale. Pablo Iglesias a créé son émission de télé, La Tuerka, dès 2010. Il en a fait une sorte d'école des cadres du nouveau parti qu'il appelait de ses vœux.
A vous entendre, il semble que pour trouver un éventuel débouché politique, « Nuit debout » ait besoin de rencontrer son leader ?

Je le crois, au risque de déplaire. Il ne s'agit pas d'avoir un chef parce qu'on aime l'autorité. Simplement, il faut quelqu'un pour « agréger », et pour servir de porte-parole.

Juste une anecdote pour illustrer cela : un petit parti politique, le Parti X, né lui aussi du mouvement des Indignés, a été incapable de s'imposer aux élections européennes de 2014, contrairement à Podemos. Son leader, Hervé Falcini, était peu connu des Espagnols, et il n'a pas réussi à faire émerger une nouvelle force. Iglésias, lui, était connu grâce à ses émissions de télé. Ça lui a permis de se faire inviter ensuite sur les plateaux de plus grandes chaînes. Il a aussi pris des cours de théâtre !

Imaginons que la « Nuit debout » souhaite avoir un véritable destin politique. Elle devra alors faire un choix. Soit celui qu'a fait Podemos de d'inscrire dans jeu des institutions représentatives et de s'y faire une place. Soit celui d'entamer un « processus constituant », de bien plus longue haleine. 


3 commentaires:

  1. Oui, oui, oui la démocratie c'est lent. Si le critère en politique c'est la vitesse alors la dictature est la plus efficace. Nous voulons un processus constituant, c'est long mais ce sera plus juste et plus solide sur le long terme. La démocratie ce n'est pas les élections et la liberté de la presse. La démocratie c'est tout autre chose, nous sommes actuellement en aristocratie élective sans "roi" mais encore en démocratie... Voir le livre de Francis Dupuy-Déri Démocratie : histoire politique d'un mot ou même Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif.

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  2. Vendredi 12 décembre 2014 :

    Frédéric Oudéa, patron de la banque Société Générale, nous le jure, la main sur le cœur :

    « Nous ne sommes dans aucun soi-disant paradis fiscal. »

    http://www.franceinter.fr/video-f-oudea-nous-ne-sommes-dans-aucun-soi-disant-paradis-fiscal

    Les banquiers sont des menteurs.

    Les banquiers nous prennent pour des cons.

    Devant les caméras de télévision, les banquiers jurent, font des serments, font des promesses, alors qu'ils savent qu'ils mentent effrontément.

    Les banquiers sont les plus grands menteurs de la planète.

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  3. Merci pour cet entretien très intéressant. Il me semble montrer à la fois :
    - le désir et le besoin de politique qui agitent de plus en plus les citoyens ;
    - les difficultés à construire une cohérence idéologique pour mener la bataille culturelle : en dehors de l'opposition à la loi "El Khomri" et le "ras-le-bol" soulignés, quel corpus idéologique commun, quel projet collectif ? ;
    - la nécessité d'une cristallisation autour d'une figure capable de rassembler ces voix.

    Cincinnatus
    https://cincivox.wordpress.com/

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