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dimanche 17 avril 2016

La revue de presse de L'arène nue - du 11 au 17 avril 2016







Quelques articles qu'on pourra lire / vidéos que l'on pourra écouter pour faire le tour de l'actualité européenne de la semaine. 
Les passages les plus alléchants sont mis en exergue. C'est pour faire saliver : miam, miam, miam. 


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1 / L’Autriche inaugure le premier “bail-in” européen d’une banque en faillite, Express.be11 avril 2016. 


Depuis le 1er janvier de cette année, en effet, le sauvetage des banques avec l’argent des contribuables (“bail-out”) est donc – en théorie – proscrit. Désormais, il est prévu d’effectuer un “bail-in”, c’est à dire de mettre à contribution les actionnaires, puis les détenteurs d’obligations, et enfin, les déposants qui détiennent au moins 100.000 euros (le montant du dépôt garanti) sur des comptes ouverts auprès de l’institution en faillite. C’est la Heta Asset Résolution AG, la structure de defaisance (“bad bank”) issue de la faillite d’Hypo Alpe Adria, qui inaugure donc le recours à cette réglementation. Cette banque est confrontée à un déficit de 7,5 milliards d’euros (...) Ce “bail-in” autrichien est une première, et dans un contexte de secteur bancaire européen sous-capitalisé et vulnérable en raison de son exposition à des produits dérivés et des problèmes de liquidité, il ne devrait pas rester un cas isolé. 

= => Plus de détails ici

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2 / L’Italie met en place un Fonds pour sauver ses banques, Les Echos, 12 avril 2016.

Mieux vaut un bon fonds d’investissement qu’une bad bank refusée par Bruxelles pour améliorer l’état de santé du système bancaire italien. Le gouvernement a donc mis sur pied un Fonds d’Investissement Alternatif (FIA) baptisé Atlante, en référence à Atlas, le Titan grec portant sur ses épaules la voûte céleste. Il devra dans les faits aider les instituts de crédit à ne pas ployer sous les 200 milliards d’euros brut de créances douteuses qui grèvent leur bilan et contribuer à la recapitalisation de ceux qui sont en difficulté.

= => Pour en savoir plus sur cette solution miracle : 


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3 / Dialogue de sourds entre la Grèce et ses créanciers, Le Monde11 avril 2016.


C’est un scénario mille fois éprouvé depuis le début de la crise qui se joue de nouveau en Grèce, ces dernières semaines. Avec, d’un côté, le gouvernement grec qui souhaite boucler au plus vite la mission visant à juger de l’état d’avancement des réformes menée par des représentants de ses créanciers, et ces mêmes créanciers (Banque centrale européenne , Mécanisme européen de stabilité, Fonds monétaire international ), qui repoussent de mois en mois l’échéance. Lundi 11 avril, les négociations continuaient après un week-end interminable de rencontres à l’Hôtel Hilton d’Athènes (…). Athènes redoute de devoir accepter des mesures plus dures si elle se retrouve dos au mur en juillet. Car elle aura alors 3,5 milliards d’euros à rembourser à la Banque centrale Européenne et au Fonds Monétaire International, paiements qu’elle ne peut honorer sans avoir touché auparavant une nouvelle tranche (un peu plus de 5 milliards d’euros attendus) des 86 milliards de prêts prévus dans le cadre du troisième plan d’aide au pays signé à l’été 2015. 

= => pour conforter l'impression qu'on n'est pas sorti des ronces, c'est là


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4 / Grèce : le retour de la crise ? La Tribune, 13 avril 2016.

Le temps joue donc contre le gouvernement grec. Plus on se rapproche de l'été, plus le besoin d'argent va se faire sentir pour Athènes qui a des échéances importantes de 4 milliards d'euros à honorer en juillet. Là aussi, les fuites de Wikileaks ont révélé une potentielle stratégie du FMI visant à exercer la pression sur la Grèce et les créanciers européens en faisant traîner la revue du programme. Or, après deux semaines de pause pour Pâques, les discussions ont encore été suspendues mardi 12 avril pour permettre aux représentants du FMI de tenir conseil avec leurs supérieurs en fin de semaine à Washington. Comme rien ne semble devoir avancer, le risque de voir les créanciers jouer la montre était donc patent. D'où la décision grecque de passer en force pour contraindre les créanciers de la zone euro à prendre une décision.

= => Pour découvrir ébahis qu'il y a encore une crise en Grèce, cliquez


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5 / Les Balkans, thermomètre de l'Europe, France Inter, 13 avril 2016.




Les Balkans, souvent méprisés par l'Europe, sont pourtant le véritable thermomètre du continent. Analyse avec Amaël Cattaruzza, expert en géopolitique balkanique.

= => Pour écouter la douce voix de l'expert, c'est au bout de ce lien
= => Et pour en savoir plus sur la région, le livre de référence, c'est celui-ci



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6 / Pourquoi l'Ukraine s'éloigne un peu plus de l'Union européenne, Figarovox, 12 avril 2016.


A force de s'élargir, l'Union européenne est devenue obèse et n'arrive plus à avancer, même vers l'Est. A 28, l'Europe est paralysée, il n'est plus question d'aller plus loin. Même l'OTAN l'a compris. L'ironie de l'Histoire veut que plus de deux ans après Maïdan, l'accord d'association qui a déclenché la révolte est rejeté par un référendum d'initiative populaire aux Pays-Bas. Jean-Claude Juncker et Donald Tusk font discrètement pression sur Mark Rutte afin qu'il ne suive pas cet avis consultatif. Au risque d'aggraver l'euroscepticisme de la population néerlandaise mais aussi la défiance face à la coalition libérale au pouvoir. On voudrait que Geert Wilders arrive aux manettes qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Onze ans après le refus franco-néerlandais à la Constitution Giscard, et sa ratification à Lisbonne en 2009, on a le sentiment que les institutions européennes veulent s'imposer contre la volonté des peuples.Au risque d'aggraver l'euroscepticisme de la population néerlandaise mais aussi la défiance face à la coalition libérale au pouvoir. On voudrait que Geert Wilders arrive aux manettes qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

= => Ça c'est la fin du texte. Le début est à un click de là


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7 / Whole of Europe risks spinning into crisis if leaders mishandle Brexit, The Telegraph, mars 2016.


"A UK departure would have repercussions for the whole continent," says Professor Otmar Issing, the founding chief economist of the European Central Bank.  He dismisses the analogy with Norway and Switzerland as "misguided". They do not shape EU affairs in any meaningful way. Britain most certainly does. The eye-opener of my five years at the coal face in Brussels was to discover the pivotal role played by the UK in the EU machinery.

= = > follow the link
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8 / La Grande-Bretagne peut-elle être européenne ? La vie des idées, article de 2015.


La Grande-Bretagne se trouve aujourd’hui dans une crise politique aiguë qui pourrait entraîner la désintégration du pays et sa sortie de l’Union européenne. Après la parution d’un manifeste célébrant l’exceptionnalisme britannique, le débat s’enflamme parmi les historiens, dans la bataille pour ou contre l’Europe.

= => querelle d'historiens à découvrir ici


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9 / Humour allemand : la chanson par laquelle le scandale est arrivé. 






lundi 4 avril 2016

Clément Fontan : «L'extension inédite des pouvoirs de la BCE est un problème démocratique et éthique».







Clément Fontan est docteur en sciences politiques. Sa thèse analyse la manière dont la BCE a étendu son influence politique et ses compétences pendant la crise de la zone euro. Aujourd’hui en post-doctorat à l’Université de Montréal et au Centre de Recherche en Éthique, ses projets de recherche portent sur les inégalités générées par les banques centrales et sur les crises du capitalisme financier. On peut lire certains de ses articles sur La Vie des idées.


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La BCE a récemment prix de nouvelles mesures pour tenter de faire repartir l'économie européenne : baisse de ses trois taux directeurs, accroissement du montant de son quantitative easing, nouveau « LTRO ». On parle même depuis quelques temps de « monnaie hélicoptère ». La BCE est-elle en train d'abattre ses dernières cartes ? Quel est son objectif avec ces annonces ? Peut-elle réussir ?

Les mesures annoncées par la BCE lors de la dernière conférence de presse de Mario Draghi se situent dans la lignée des instruments monétaires mis en place par l’ensemble des grandes banques centrales depuis le début des perturbations financières à l’été 2007. L’ensemble de ces instruments partage deux caractéristiques communes : ils essayent d’atteindre des objectifs très conventionnels au moyen de mesures non-conventionnelles. Avant de les expliquer en détail revenons rapidement sur l’évolution des instruments monétaires depuis la crise.

Tout d’abord, comme toute entreprise ou ménage, les banques centrales ont un bilan comptable composés d’une colonne d’actifs ; (les titres financiers détenus par la banque centrale) et de passifs (les liquidités prêtées aux banques commerciales). Quant la taille du bilan par rapport au PIB est bas, cela signifie que les banques centrales se contentent d’orienter l’activité des banques, et par là l’économie, « du siège arrière ». Les taux d’intérêt étaient alors les principaux instruments des banques centrales. Quant la taille du bilan est élevée, les banques centrales interviennent plus massivement et directement sur les marchés en remplissant le rôle d’intermédiation joué habituellement par les banques. 

Avant la crise, les banques centrales étaient des institutions peu observées qui influençaient à petites touches les dynamiques bancaires et financières dans le but d’atteindre leur objectif de stabilité des prix. Ce rôle d’ajustement se reflétait dans la taille des bilans comptables des banques centrales qui fluctuaient entre 5 et 10% du PIB de leurs zones monétaires respectives.

Mais ça a beaucoup évolué depuis le début de la crise. On n'est plus du tout dans un « rôle d'ajustement »...

En effet, le bilan de la BCE a évolué progressivement jusquà atteindre la marque de 30% du PIB, ce qui veut donc dire qu’elle intervient massivement et directement sur les marchés européens. Elle déploie cette intervention de deux manières : soit en proposant des prêts à très long terme aux banques commerciales (les LTRO), soit en achetant des titres financiers détenus par les banques (le SMP, puis l’OMT, et, depuis janvier 2015 le « quantitative easing »). 


                                         C'est un peu technique tout ça, alors voici une petite vidéo
                                                              qui explique tout : SMP, LTRO, OMT....
                                            

Ces interventions ont des objectifs conventionnels car elles cherchent à atteindre un certain niveau d’inflation (près de 2%) en agissant sur les bilans des banques commerciales. L’ampleur et la durée des prêts et des achats effectués par la BCE n’ont par contre rien de conventionnel car ces instruments ont été improvisés au début de la crise et que l’on ne connaît toujours pas l’ensemble des effets provoqués sur l’économie réelle. Les taux négatifs sont aussi situés dans cette terra incognita.

Justement, avec l'annonce des nouvelles mesures de mars, ne s'enfonce-t-on pas de plus en plus dans l'inconnu ?

Ces nouvelles mesures doivent donc être lues comme un approfondissement des mesures existantes, voire comme une remise en cause de ceux-ci. D’abord, contrairement à ce qu’annonce M.Draghi, les nouvelles mesures de LTRO abandonnent l’objectif de contrôler l’utilisation faite par les banques de la liquidité fournie par la BCE. En effet, les anciennes mesures datant de septembre 2015 (T-LTRO) forçaient les banques à retourner les fonds mis à disposition par la BCE si celles-ci n’atteignaient pas un certain niveau de prêts à l’économie réelle. Les T-LTRO ont eu peu de succès car les banques cherchant à éviter cette contrainte qui les empêchaient de s’engager dans des opérations purement financières davantage lucratives que des prêts à l’économie réelle. En abandonnant cette contrainte, la BCE dévoile quelle n’arrive pas à remplir les besoins de liquidité des banques tout en contrôlant leur utilisation de ces liquidités. Cela pourrait mener à la résurgence d’effets problématiques observés dans les premières opérations de LTRO (sans contrainte) tels que le carry-trade (qui consiste pour les banques commerciales à emprunter à la banque centrale à 1%, acheter des bons du trésor à 3% et empocher la différence).

Ensuite, l’accroissement du montant du quantitative easing (QE) combinée à l’élargissement des titres achetés (la BCE achète dorénavant les titres de compagnie comme Volkswagen qui sont cotés en bourse à un grade « investissement ») sont dans le prolongement des opérations de QE précédentes. Il s’agit, par ces achats, d’augmenter la valeur des titres financiers détenus par les banques pour les inciter à prêter davantage à l’économie réelle. En effet, selon les banquiers centraux, l’augmentation de la valeur de titres financiers « surs » (comme les bons du trésor ou les actions des grandes entreprises) sont censés pousser les investisseurs à acheter des titres moins chers et moins surs (et donc à prêter davantage aux PME par exemple). Il faut souligner que le QE a des conséquences distributives importantes : en augmentant la valeur des titres financiers, ce sont les agents économiques qui les possèdent déjà qui vont d’abord en profiter. Par exemple, les ménages les plus aisés qui ont investi une partie de leur épargne sur les marchés financiers vont se retrouver encore plus riches grâce au QE sans avoir rien eu à faire pour cela.

Enfin, il n’est pas possible pour le moment d’évaluer le rôle joué par les taux d’intérêt négatifs. Les agents de la BCE estiment que cette mesure a permis d’améliorer les conditions de prêts. D’autres observateurs soulignent que les banques n’appliquent pas cette mesure à leurs clients, par peur de les perdre, ce qui la rend inutile. L’option de l’hélicoptère de monnaie a été évoquée par les journalistes dans leurs questions mais la position de la BCE reste similaire depuis un an : cette option n’est pas discutée ni envisagée.

D'après-vous, quel peut être l'impact de cet impressionnant catalogue de mesures ?

Bien qu’il n’appartienne pas aux sciences sociales de prédire le futur, mon opinion personnelle est qu’elles seront inefficaces car elles vont se heurter aux deux mêmes obstacles qui ont mitigé l’impact des précédentes : l’impossibilité pour les banquiers centraux de penser en dehors de la boite des marchés et la combinaison désastreuse avec les politiques d’austérité.

D’abord, la mise en œuvre des mesures de la BCE repose sur une croyance fondamentale : en inondant de liquidités les investisseurs financiers, ceux-ci vont chercher à obtenir des rendements en faisant des prêts plus risqués à l’économie réelle. En d’autres mots, les banquiers centraux continuent à croire à l’efficacité allocative des marchés et au principe du ruissellement (l’enrichissement des plus fortunés bénéficie aux plus pauvres). Cependant, il suffit de regarder deux indicateurs pour observer les limites de ces principes : tandis que les cours boursiers européens continuent de montrer une progression soutenue grâce aux offres de liquidité des banquiers centraux, la croissance du PIB européen continue de stagner. En d’autres mots, les liquidités émises en abondance par les banquiers centraux n’atteignent pas l’économie réelle, les conduits bancaires sont percés.

Et donc.... où va se nicher toute cette liquidité ?

Les plus optimistes diront que les banques commerciales profitent de cette liquidité pour renforcer les positions financières de leurs banques afin de s’adapter aux contraintes réglementaires de Bale III qui seront effectives en 2019. Les plus pessimistes, ou peut être les plus réalistes, notent que les salaires versés aux opérateurs financiers ne cessent d’augmenter depuis 2009, ainsi que les prix de l’immobilier autour des plus grandes places financières et le marché du luxe en général (vente de jets privés et de yachts en augmentation depuis 2009). En d’autres mots, la liquidité crée par la BCE est « capturée » par les opérateurs financiers qui se trouvent les plus proches de sa création, pour augmenter leur richesse personnelle.

Ensuite, rappelons que la BCE est un des acteurs centraux dans la diffusion des politiques d’austérité en Europe. Ma recherche a montré que, bien qu’ils n’aient pas de compétences en la matière, les banquiers centraux exercent une forte influence sur la définition des politiques économiques en Europe. Or, il ne faut pas forcément être un disciple de Keynes pour remarquer que le continent européen souffre des problèmes de demande, et par là, d’investissement. Par conséquent, les banquiers commerciaux sont davantage frileux à prêter à des agents économiques sans perspective de croissance et sont donc davantage incités à ne pas recycler les liquidités de la BCE dans l’économie réelle mais plutôt dans d’autres activités financières car, après tout, les marchés financiers se portent, eux, très bien.

_____ « la liquidité crée par la BCE est  capturée  par les opérateurs financiers qui se trouvent les plus proches de sa création, pour augmenter leur richesse personnelle ». 

Dans un article publié en 2014 , vous expliquiez que la BCE avait été grandement renforcée par la crise. Ne sommes-nous pas à un moment de bascule où le pouvoir de la BCE est justement en train de se rétracter en raison de l'inefficacité relative des mesures qu'elle prend ?

Non, je ne pense pas. De manière schématique, le pouvoir de la BCE a deux visages. D’abord, ce pouvoir est structurel en ce quil est lié à sa capacité à définir les termes généraux d’un débat et, par là, les solutions politiques acceptables. De ce point de vue, le pouvoir de la BCE reste fort : elle est encore vue comme « le seul adulte » dans la pièce pour reprendre l’expression malvenue de Barry Eichengreen et elle tire encore du prestige de ses positions passées. Par exemple, les dirigeants européens continuent de croire, à tort, que les politiques de la BCE n’ont pas été un des facteurs de la crise. Cependant, les excellents travaux de recherche menés par Daniela Gabor montrent bien que les mesures préconisées par la BCE en faveur de l’intégration financière de la zone euro ont permis aux banques de doubler de volume en moins de 10 ans, sans que leurs activités bénéficient à l’économie réelle.

Ensuite, le pouvoir de la BCE est relationnel et ainsi lié à sa capacité d’influencer les politiques des états-membres de la zone euro de manière coercitive. Étant donné que les états européens avancent de manière toujours aussi désordonnés et qu’ils ne sont pas parvenus à mutualiser leur puissance financière, ils restent dépendants de la seule BCE en cas de perturbations financières. Celle-ci se retrouve alors en position d’imposer ses demandes en échange de son aide financière comme les épisodes des « lettres » envoyées aux gouvernements italiens, espagnols et irlandais le prouvent. De ce point de vue, rien n’a changé.

Mais vous avez raison de souligner que nous sommes peut-être dans un moment de bascule. Si une grande banque européenne s’effondre (pensons à Deutsche Bank par exemple) ou si les taux d’intérêt liés au refinancement des dettes souveraines deviennent trop élevés, alors le pouvoir de la BCE risque de s’effriter. Pour l’instant, ce n’est pas encore le cas.

Des économistes comme, par exemple, Patrick Artus expliquent que l'objectif de stabilité des prix recherché par les différentes banques centrales est désormais déconnecté des nécessités de l'époque puisqu'il n'y a plus d'inflation – c'est même plutôt le contraire. L'objectif prioritaire de la BCE tel que défini dans son mandat est pourtant cette fameuse lutte contre l'inflation. N'est-il pas temps de modifier ce mandat, d'autant qu'aucune des mesures hétérodoxes prises depuis 2012 n'a généré de poussée inflationniste ?

Oui, vous avez raison de souligner que ce mandat, défini au début des années 1990 sur le modèle de la Bundesbank, n’est plus adapté à notre environnement de faible croissance à moyen et long terme. En fait, le rôle joué par les banques centrales dans l’économie a bien changé depuis le début de la crise, comme je l’ai expliqué. Un ancien membre de la Banque d’Angleterre, Charles Goodhart, parle même de quatrième âge des banques centrales. S’il semble impossible de modifier son mandat du fait de l’unanimité requise pour changer les traités européens, il faudrait repenser au moins les formes de contrôle politique sur la BCE . Au sein du Centre de Recherche en Éthique de l’Université de Montréal, nous avons mené une recherche d’envergure sur les conséquences distributives des nouveaux instruments monétaires mises en place par les banques centrales.

Comme je l’ai expliqué plus haut, les mesures prises pour relancer l’économie et renflouer les banques ont eu comme conséquence de renforcer les inégalités économiques. En fait, sans que l’objectif de stabilité des prix ne soit forcement abandonné, il faudrait que la désirabilité des actions de la BCE ne soit pas jugée qu’en fonction de ses résultats à court-terme (sauvetage du système bancaire, stabilisation des cours de dette souveraine) mais aussi en fonction des effets inattendus qui risquent de se manifester à moyen et long terme (fragilisation de certaines pans du secteur financier comme les fonds de pension, renforcement des inégalités économiques). A la vue de ces critères, l’option de l’hélicoptère de monnaie serait désirable car cet instrument remplirait les mêmes objectifs que le QE (soutien à la croissance économique) tout en ayant des conséquences distributives bien plus positives (on pourrait imaginer que la BCE finance un organisme public qui aurait pour charge de construire des logements sociaux par exemple).

Pendant la « crise grecque », autrement dit pendant la durée des négociations entre entre Alexis Tsipras et les créanciers de la Grèce, certains spécialistes ( ici l'économiste britannique Philippe Legrain ) ont affirmé que la BCE sortait de son rôle et faisait de la politique. Cela rejoint vos propres observations. La BCE vous semble-t-elle avoir eu un rôle décisif dans la capitulation de Tsipras en juillet 2015 et dans sa décision finale de signer le troisième mémorandum ?

Oui, la BCE a agi comme le « bras armé » de l’Eurogroupe et a progressivement resserré l’étau financier sur la Grèce de deux manières : en diminuant progressivement les offres de liquidités d’urgence au système bancaire grec (ce qui a conduit à la fermeture des banques pendant 3 semaines) et, en tant que membre de la Troïka, en restant inflexible sur la mise en œuvre des mesures d’austérité.

En fait, le problème n’est pas tant qu’elle joue un rôle politique car les décisions de politique monétaire sont par définition politiques. Il suffit de s’imaginer à la place d’un banquier central qui doit répondre sans cesse à ces questions suivantes : faut il venir à la rescousse du secteur bancaire ? Si oui, jusqu'à quel degré ? Faut-il intervenir sur les marchés de dette souveraine, etc. Toutes ces décisions sont politiques. Selon moi, le problème est davantage éthique : est-il juste de contraindre un gouvernement élu sur une plateforme électorale claire à continuer à mettre en œuvre des politiques d’austérité mortifères ? Est-il juste de continuer à fournir autant de liquidités au secteur bancaire sans que l’économie réelle n’en profite ?

_______ « Est-il juste de continuer à fournir autant de liquidités au secteur bancaire sans que l’économie réelle n’en profite ? »


Justement ! Le fait qu'une institution technique puisse avoir raison des projets d'un gouvernement élu ne constitue bien une atteinte à la démocratie....

Vous avez raison dans le fond, mais je tiens à souligner un point important : la démocratie, ce n’est pas que la règle de la majorité mais aussi celle de l’État de droit. Par exemple, personne ne remet en question le fait que les cours de justice sanctionnent certaines décisions de gouvernements élus.

Faisons une expérience de pensée, imaginons que le Front National parvienne au pouvoir en France et se décide à expulser ou emprisonner tous les étrangers sur le territoire national. Les autorités européennes, dont la BCE, pourraient prendre des sanctions contre le France afin de protéger l’État de droit. Je ne trouverais rien à redire par rapport à ce dépassement de pouvoir de la BCE car il serait effectué au nom de valeurs essentielles (respect des droits des minorités).

Maintenant, dans le cas de la participation de la BCE à la Troïka, il est évident que cette extension de pouvoirs, inédite pour une banque centrale, constitue un grave problème démocratique et éthique. En effet, sans exclure les problèmes graves de gestion des affaires publiques et de gouvernance de l’État grec depuis son accession à la zone euro, la crise de la zone euro est d’abord et avant tout une crise financière causée par les activités financières risquées des grandes banques européennes, comme le démontre Mark Blyth dans son ouvrage de 2013, élu livre de l’année par la Financial Times.

Le problème démocratique et éthique est le suivant : bien que les banques aient été la cause des problèmes, ce sont les populations européennes qui en ont payé le prix de leurs excès par l’imposition de mesures d’austérité. L’austérité est un discours politique très efficace pour cacher la dimension financière de la crise (« les grecs ont trop dépensés, ils doivent en payer les conséquences ») mais elle a un coût humain important : l’austérité tue comme l’ont montré deux chercheurs du MIT dans un ouvrage éponyme paru en 2014. De plus, dans le cas de la Grèce, l’austérité et les privatisations ont profité aux oligarques dont le poids politique excessif sclérose l’État grec depuis des années. Le problème vient donc du fait que la contrainte exercée par la BCE a renforcé l’injustice subie par le peuple grec qui paie les problèmes causés par les banques.

________« bien que les banques aient été la cause des problèmes, ce sont les populations européennes qui en ont payé le prix de leurs excès par l’imposition de mesures d’austérité ».  


Pour finir, existe-t-il, selon vous, des solutions pour démocratiser le fonctionnement de la zone euro ? Le problème n'est-il pas l'existence de l'euro lui-même, qui a conduit à la création d'une Banque centrale fédérale sans adossement à un État fédéral, donc sans soumission à aucune autorité politique ?

On peut être sceptique sur la possibilité d’une démocratisation de la conduite des affaires économiques et financières. De plus, pour reprendre l’exemple grec, l’Eurogroupe était très unifié en juillet 2015 et tous les États partageaient le même désir de « faire payer les grecs ».

En l’état actuel des choses, un État fédéral européen conduirait davantage à un renforcement des mesures d’austérité et ne résoudrait donc en rien les problèmes démocratiques de la zone euro : il ne suffit pas d’être élu pour prendre des mesures en faveur des citoyens. Selon moi, une démocratisation de la zone euro consisterait à réduire le poids joué par les institutions financières dans les décisions politiques, que ce soit à un échelon national ou européen. Une régulation bancaire efficace, une volonté de lutter contre les inégalités, un combat plus soutenu contre les paradis fiscaux seraient autant de décisions qui contribueraient à rendre la zone euro plus juste, et par là, à renforcer l’adhésion des citoyens à celle-ci.

Quant à la politique monétaire, il est urgent de repenser les formes de contrôle politique des banques centrales et de ramener les enjeux distributifs des décisions monétaires au cœur des débats et de l’évaluation des décisions prises par les banquiers centraux.

Au final, c’est davantage la teneur des décisions prises (et surtout les pans de la population qu’elles favorisent) qui permet de définir que le fonctionnement d’un système politique est démocratique ou non, plutôt que de se demander si les décisions devraient être davantage prises au niveau fédéral ou national. De ce point de vue, je suis plutôt pessimiste sur le futur de la zone euro : bien peu de décisions ont été prises pour protéger ceux qui sont les plus désavantagés dans nos sociétés. 


lundi 15 juin 2015

Dette grecque : préparez vos oreilles, les révélations vont faire mal !



Individu lambda qui en apprend de bien bonnes sur la dette grecque



Alors que l’hypothèse d’un défaut grec se précise et que la plus grande confusion règne dans le camp des créanciers (le FMI et les « Européens » sont divisés, ce qui n’est pas nouveau) des langues commencent à se délier. Quand tout cela sera fini, on peut s’attendre à quelques aveux croquignolets qui risquent de décoiffer jusqu’aux mieux permanentés de nos européistes. Pour les plus impatients, voici déjà un avant-goût :

1) En mars dernier, un membre du FMI, le Brésilien Paolo Batista, déclarait sur une chaîne de télé grecque que la majeure partie de l’argent qui avait été prêté à Athènes l’avait été pour secourir des créanciers privés, en aucun cas pour aider le pays. « La Grèce a reçu des sommes énormes, mais cet argent a été principalement utilisé pour permettre le désengagement, par exemple, des banques françaises ou allemandes » affirme-t-il dans la vidéo ci-dessous :





2) Plus récemment c’est Philippe Legrain qui confirme la chose. L’ancien conseiller économique de José Manuel Barroso était auditionné jeudi dernier par la « Commission pour la vérité sur la dette grecque », mise sur pieds par la présidente du Parlement hellène Zoé Konstantopoulou. Il y a affirmé ceci : « en 2010, les grands dirigeants européens et le directeur du FMI de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, ont délibérément refusé de considérer la Grèce comme insolvable dans le but de protéger les intérêts des grandes banques européennes. En effet, selon les statuts du FMI, cette institution ne pouvait pas prêter à un État dont la dette était déjà insoutenable »

Pourtant, il était indispensable de prêter à la Grèce. Pour quelle raison ? Pour l’aider à sortir du marasme ? Pour le bien de son peuple ? Pour sauvegarder l’idéal européen ? Pas du tout ! Pour aider les banques françaises et allemandes, principales créancières d’Athènes et respectivement engagées à hauteur de 20 et 17,2 milliards d’euros, à retirer leurs billes sans une égratignure. Ce qui fut d'ailleurs grandement facilité par la Banque centrale européenne. En effet, Legrain révèle ceci : lorsque la BCE se décide, en 2010, à intervenir sur le marché secondaire et à y racheter de la dette souveraine dans le cadre du programme SMP (Securities Market Program), c’est pour partie aux banques françaises et allemandes détentrices d'obligations grecques qu'elle rachète des titres. A un bon prix d'ailleurs, toujours selon l'économiste. Ce qui non seulement permet à ces grandes banques de ne rien perdre mais qui leur permet aussi.... de gagner ! 

3) Enfin, peut-être finira-t-on par se souvenir, comme on avait déjà tenté de l’expliquer ici, que l’argent ne se prête pas gratuitement. Ainsi, certains des créanciers de la Grèce ont réalisé des profits en lui faisant crédit. Et oui : ils ont empoché le montant des intérêts correspondant aux prêts consentis.

Mais tout cela n’est rien pour l'heure. Pas de quoi s’affoler. En tout cas, il y en a qui restent sereins. Terminons donc sur une note d'optimisme printanier et de candeur sucrée :






vendredi 13 mars 2015

Comment la BCE et la Commission Européenne ont acheté la France







[Article initialement publié sur Figarovox]


Le «bon flic» et le «méchant flic» : voilà à quel jeu de rôle semblent s'adonner deux de ces institutions européennes qu'Antoine Vauchez nomme «les indépendantes1 ». 

La Banque centrale européenne endosse l'habit du « mauvais flic », et c'est bien sûr la Grèce qu'elle met dans son viseur. Il est plus simple en effet de s'acharner toujours sur le même: ça fait moins de mécontents. Depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza et d'Alexis Tsipras, la BCE accable donc Athènes avec constance et détermination, utilisant pour ce faire tous les moyens de pression imaginables.

Dans un premier temps, on se souvient que l'institution de Francfort avait brutalement décidé de ne plus accepter les titres de dette hellène comme collatéraux. Autrement dit, les banques grecques ne pouvaient plus se refinancer auprès de la BCE en lui laissant des obligations du pays en contrepartie. Certes, cette possibilité relevait jusque-là d'une exception puisqu'en principe, la Banque centrale européenne n'accepte comme collatéraux que les actifs « bien notés » (de AAA à BBB-), ce qui n'est pas le cas des actifs grecs. Mais cette dérogation tenait tant que la Grèce demeurait « sous programme » et acceptait les incursions de la Troïka sur son sol.

Or dans la nuit du 4 février, Francfort a levé la dérogation sans crier gare. Pour quelle raison ? Parce que la Banque s'est cache à peine : elle fait de la politique. Et elle n'hésite pas, dans ce cadre, à instaurer des rapports de force. Ici, il s'agissait rien moins que de contraindre le gouvernement grec « à trouver un accord avec ses partenaires » (ou, en français ordinaire, « à capituler en rase campagne face à ses créanciers » ).

Accord il y eut donc le 20 février, comprenant des concessions non négligeables de la part de Syriza. Ce qui aurait dû suffire. Et qui ne suffit pas ! A ce stade, la BCE refuse de rouvrir aux banques grecques la possibilité de se refinancer auprès d'elle, au motif que les conditions ne sont pas encore réunies. Mario Draghi tient à s'assurer que la Grèce mettra effectivement en œuvre les réformes qu'il juge opportunes. Bref, Athènes a concédé mais ne s'est pas aplatie. Il est donc trop tôt pour lui tendre la main.

On ne la lui tend donc pas. On ne lui lance même pas une bouée de sauvetage. Non seulement, donc, on étrangle les banques grecques, mais on asphyxie aussi l’État. Celui-ci n'a plus la possibilité de se financer sur les marchés depuis la crise de 2010. Tout juste peut-il émettre des bons à très court terme appelés T-Bills, grâce auxquels Alexis Tsipras envisageait de financer a minima les dépenses de l’État jusqu'à ce qu'un accord pérenne soit trouvé sur la question de la dette. C'est pourquoi il avait demandé que le plafond pour l’émission de ces T-Bills soit relevé de 15 à 25 milliards d'euros. Évidemment, il enregistre un refus.

Ce n'est pas tout. La Banque centrale européenne, qui avait pourtant accepté de le faire pour l'Irlande en février 2013, refuse toute restructuration de la portion de dette hellène qu'elle détient. Surtout, elle ne se décide pas à reverser au pays le montant des intérêts qu'elle a perçus sur cette dette. Contrairement à d'autres créanciers, l'institution est en effet supposée ne faire aucun bénéfice sur les prêts qu'elle octroie à Athènes. Elle l'a accepté lors du défaut grec de 2012. Il était convenu que la BCE n'encaisserait aucune perte lors dudit défaut, en échange de quoi elle restituerait le montant des intérêts perçus. Une somme due, donc. Qui s'élèverait à 1,9 milliards d'euros, et qu'Athènes réclame depuis plusieurs semaines en vain.

Enfin, on fait beaucoup de cas du « pragmatisme » de Mario Draghi. On loue la souplesse dont il se montre capable lorsqu'il entreprend, au prix d'une interprétation contestable des traités européens, de financer les États-membres. Pourtant, ce pragmatisme est à géométrie variable. Lorsqu'il est question de la Grèce, l'audacieux banquier se souvient brutalement que « la BCE est une institution fondée sur la règle », ainsi qu'il l'a exprimé à Nicosie le 5 mars.

C'est donc de cela, d'un mélange d'adaptabilité et de rigorisme dont chaque ingrédient est dosé à la tête du client, dont la BCE vient récemment de faire preuve en lançant une opération inédite en zone euro de Quantitative easing (QE), pour un montant prévisionnel de plus de 1000 milliards . Malheureusement pour la Grèce, pays qui en a pourtant le plus besoin, elle ne pourra bénéficier de l'opération. La Banque centrale européenne ne rachètera pas ses obligations car les pays sous « aide » financière (Grèce, Portugal, Chypre) ne sont pas éligibles au programme. Ainsi va la logique européenne : quand on est trop malade, on cesse d'avoir accès aux soins.

Il est un pays, en revanche, qui en bénéficiera pleinement. Ce pays, c'est la France, qui réalise un « super combo » en se voyant couvrir de bienfaits à la fois par la BCE et par la Commission européenne.

Par la Banque centrale européenne, donc, dans le cadre du Quantitative easing. En effet, les rachats de dette souveraine seront réalisés au prorata de la part du capital de la BCE détenue par chaque État-membre. Sur cette opération, le trio gagnant se compose donc l'Allemagne (non, ceci n'est pas une blague) de la France et de l'Italie. Encore une mesure frappée du sceau de la justice, à n'en pas douter ! En tout cas, on voit qu'avec notre pays, Mario Draghi sait se transformer en « bon flic ».

Mais la palme du « gentil flic » revient incontestablement à la Commission européenne. Car celle-ci, après de longues et ennuyeuses tergiversations, a définitivement entériné cette semaine le délai de deux années supplémentaires offert à Paris pour revenir sous la barre des 3 % de déficit public. Non sans assortir cet élan de bienveillance d'une petite bordée d'injures, dont celles de Pierre Moscovici pour lequel « les réformes en France sont insuffisantes » . Par chance, dans nos contrées, on est peu susceptible.

On n'a pas tellement intérêt à l'être, d'ailleurs, dès lors que l'on accepte de se laisser acheter. Car il ne faut pas s'y méprendre. Ce n'est pas un complet hasard si « les indépendantes » se partagent la tâche et si la Banque centrale maltraite la Grèce (un pays gouverné à gauche) cependant que la Commission cajole la France (un autre pays gouverné à gauche). Cela s'appelle « diviser pour mieux régner ». En agissant ainsi, on s'assure que Paris ne se rangera pas aux côtés de l'Europe du Sud, et restera coûte que coûte arrimée à l'Allemagne.

Dans cette Europe à deux vitesses où il est admis que les vainqueurs châtient les vaincus, la France, toute honte bue, accepte donc d'être stipendiée pour demeurer dans le camp des bourreaux.

1 Antoine Vauchez, Démocratiser l'Europe, Seuil 2014

lundi 3 février 2014

L’Europe est-elle plus « à gauche » que ses États membres ?





A l’approche des élections européennes de mai 2014 et de la « déferlante eurosceptique » qu’on nous promet, il semble que l’Europe et ses institutions, soient devenue diablement prudentes. Pour un peu, elle passerait pour moins libérale voire pour plus « à gauche » que les différents États membres.
 
Pas très difficile me direz-vous, puisque nombre desdits États sont gouvernés par des conservateurs. Certainement vous répondrais-je, un peu vexée. Mais ils ne le sont pas tous. En tout cas pas la France, qui est dirigée par des socialistes paraît-il, même s’il faut le dire vite.
 
Quelques éléments témoignent de la prudence de sioux dont font actuellement preuve nos technocrates préférés. C’est qu’ils ont l’instinct de survie, les bougres. Ils le savent pertinemment : plus d’Europe supranationale, plus de technocrates. Il faut leur faut donc éviter que le bazar ne s’autodétruise complètement. Or pour l’éviter, il faut agir. Il faut « faire des trucs  ». Illustration.
 
La politique monétaire et la gestion de la crise de l’euro1
 
Mario Draghi, est un pragmatique, comme on dit pour faire l’éloge d’un homme dont on veut souligner qu’il n’est pas un idéologue, tant il est vrai qu’avoir des idées, c’est mal. Or comme tous les pragmatiques, le banquier central européen est très fort pour« faire des trucs ». Et aussi pour en dire.
 
A l’été 2012, alors que l’eurozone n’allait pas bien tout, Draghi a donc eu des mots très forts. Il s’est dit déterminé à faire « tout ce qui serait nécessaire » pour sauver l’euro. Puis il a lancé un programme qualifié « d’arme atomique » par la presse économique : le programme OMT (opérations monétaires sur titres). Ce programme vise à racheter, en cas d’extrême urgence, des titres de dettes de pays en grande difficulté pour faire baisser rapidement les taux auxquels ils empruntent. Problème : ceci est absolument proscrit par les traités européens. Du coup, le programme OMT n’a jamais été mis en œuvre, sa principale vertu ayant résidé dans l’effet d’annonce produit.
 
Mais au-delà des traités, il y a surtout l’opposition forte d’un État membre. L’Allemagne, en effet, est hermétique à toute souplesse en matière de politique monétaire et n’envisage pas un instant de se montrer « pragmatique ». Horrifiée par la perspective d’une entorse à la droiture monétaire, le patron de sa Bundesbank, Jens Weidmann, a même fait déférer le programme OMT devant le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, histoire de voir s’il ne serait pas un tantinet inconstitutionnel, pour la République fédérale, de prendre part à de telles horreurs hétérodoxes. Le jugement de Karlsruhe doit intervenir dans le courant de cette année.
 
Mieux : alors que la relative souplesse et l’adaptabilité de Mario Draghi étaient jusque-là soutenues par le membre allemand du directoire de la BCE Jörg Asmussen, le gouvernement Merkel III a brusquement décidé d’exfiltrer ce dernier de l’institution francfortoise pour le remplacer par une « faucon », Sabine Lautenschläger. Comme l’explique ici Romaric Godin, il s’agit là d’un « choix étrange » sans doute destiné à « montrer les muscles allemands à l’Europe » et à contrer les velléités draghistes de passer outre la lettre des traités.
 
En matière de politique monétaire, un État membre, l’Allemagne, campe donc clairement sur une ligne plus dure que celle prônée par une institution européenne, la BCE.
 
La question du protectionnisme
 
C’est loin d’être le seul domaine. On se souvient par exemple de l’affaire des panneaux solaires chinois. Ce n’est plus la BCE, cette fois, qui est à la manœuvre, mais une autre institution de l’Union : la Commission européenne.
 
Car la Commission elle aussi « fait des trucs ». Et des trucs qu’on n’attend pas forcément de la part d’une structure pour laquelle la concurrence libre et non faussée et la libre circulation des marchandises font office depuis toujours de tables de la loi.
 
Ainsi la Commission entreprend-elle, au printemps 2013, de taxer le matériel photovoltaïque en provenance de l’Empire du milieu, soupçonné de faire l’objet de dumping. Avant qu’un accord ne soit finalement trouvé entre Pékin et Bruxelles en juillet, un nombre significatif de pays dont la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et surtout l’Allemagne, combattent vigoureusement la mesure.
 
Ainsi donc, dès avant que la Commission européenne ne finisse par se déballonner et par céder aux Chinois, de nombreux États défendaient pour leur part une ligne plus libérale, hostile à toute initiative protectionniste.
 
Le grand marché transatlantique
 
Depuis le printemps dernier, discrètement mais sûrement, la Commission européenne négocie avec les États-Unis les modalités d’un vaste traité de libre échange, le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), dont Jean-Michel Quatrepoint explique fort bien ici tout le mal qu’il convient de penser.
 
Hélas la discrétion ne suffit pas toujours à décourager les curieux et il semble que les opinions publiques européennes se soient malgré tout emparées de la question. Du coup, comme celles-ci se montrent fort rétives, la Commission a décidé de suspendre les pourparlers jusqu’en juin 2014. D’ici là, elle va lancer une « large consultation publique» sur la disposition la plus critiquée du futur accord : la mise en place d’un tribunal arbitral devant lequel les grandes entreprises pourraient poursuivre les États qui auraient l’insigne audace de prendre des mesures – environnementales, sanitaires, sociales – susceptibles de menacer les perspectives de profit privé.
 
Qu’on se rassure. Comme expliqué sur le blog Contre la cour, la discussion euro-américaine est loin d’être totalement gelée. Seules les dispositions relatives au tribunal arbitral sont concernées. La Commission est d’ailleurs formelle : « aucune autre partie des négociations n’est affectée par la consultation publique et les négociations continueront comme prévu »,
 
En outre, on l’aura compris, le gel est très temporaire. Juin 2014 se situe précisément situé après…mai 2014, mois durant lesquelles se tiendront les élections européennes. Il s’agit donc bien sûr, comme en convient Jean Quatremer, « de ne pas donner davantage de grain à moudre aux eurosceptiques ».
 
Toutefois, on ne peut manquer de le noter : si Bruxelles recourt ici à un procédé dilatoire, les États membres n’ont pour leur part jamais songé à ralentir le processus et encore moins à l’arrêter. Pas même lorsque le scandale Prism et la révélation des écoutes américaines pratiquées en Europe leur en offrait l’occasion sur un plateau. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et la France, firent semblant de tancer Washington. Mais on en resta là.
 
La régulation bancaire
 
La France et l’Allemagne : parlons-en. Elles sont actuellement vent debout contre le projet de réforme bancaire proposé par Michel Barnier, candidat à la présidence de la Commission européenne mais néanmoins guérillero avide de botter le train au Grand Capital, comme chacun sait.
 
Il faut dire que le commissaire au marché intérieur « fait des trucs » tout à fait scandaleux. Il a récemment présenté un projet comprenant deux volets  : d’une part l'interdiction aux grandes banques européennes de certaines activités spéculatives réalisées pour leur compte propre. D'autre part l'obligation de cantonner dans des filiales spécifiques les activités de marché à haut risque. L’horreur bolchevique, en somme.
 
N'écoutant que leur courage et manifestant leur claire détermination à faire barrage au léninisme, plusieurs pays dont, une nouvelle fois, l'Allemagne et la France, se sont vigoureusement opposés au projet. Il faut dire que ces États ont déjà fait leurs propres réformes bancaires. Mais des réformes « raisonnables » qui évitent soigneusement « d'inquiéter les banques ». Le ministre Pierre Moscovici a donc fait connaître à Michel Barnier toute l'ampleur de son courroux. On en attendait pas moins du socialisme à la française...
 
Et donc ?
 
Comme on le voit, certaines institutions communautaires consentent actuellement à mettre de modestes coups de canif dans l'épais tissu des dogmes européens. Sans doute faut-il y voir le souci de garantir la pérennité d'un édifice qui, si bancal soit-il, demeure leur unique raison d'être. Mais plusieurs États, tranquilles et autosatisfaits, se montrent plus royalistes que le roi. Que faut-il en conclure ?
 
Si l'Europe confisque aux gouvernements nationaux de larges pans de leurs prérogatives, ceux-ci en sont très largement coresponsables. Ils s'appliquent à créer, avec constance et détermination, les conditions de leur impuissance et de leur déprise sur le cours des événements. C'est d'ailleurs singulier. De quel droit se démet-on d'un pouvoir qu'on ne détient que parce qu'on est mandaté par des électeurs pour l'exercer ?
 
Il est temps d'ouvrir un calepin et et de noter tout cela dans un coin. Car il faudra s'en souvenir lorsque le moment viendra de démêler l'écheveau des manquements et des responsabilités.
 
1 La crise de l’euro est derrière nous, tout le monde le dit. Néanmoins, pour les nécessités de la narration, pour la tonicité du discours et pour maintenir le suspense, on fera comme si ce n’était pas vrai du tout.