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samedi 11 juillet 2015

Steve Ohana : "rien n'impose de faire payer le défaut grec aux contribuables"




Dessin de Soulcié



Steve Ohana est économiste. Il est l'auteur de Désobéir pour sauver l'Europe, un ouvrage très clair, très pédagogique sur l'Union européenne et sur la zone euro. 

Au soir des résultats du référendum en Grèce, il était invité sur i24news, une chaîne de télé israélienne en plusieurs langues, un peu l'équivalent de notre France24. 
Je mets un lien vers cette émission, qu'il faut voir absolument. Ça donne une idée de la manière dont peut être traitée la question dans un pays non européen. Il faut écouter tout ce qui s'y dit : sur la Grèce, sur l'Allemagne, sur l'Europe telle qu'elle évolue et sur les dangers dont elle est porteuse. Les trois intervenants sont sur la même ligne, mais leur unanimité est l'exact opposé de celle que l'on constate dans les médias français. C'est assez incroyable, et c'est au bout de ce lien : CLICK CLICK

***

A un moment de la vidéo, Steve Ohana explique qu'une restructuration de la dette grecque serait finalement tout à fait absorbable pour l'Europe. Je lui ai demandé de préciser ce point et je poste ici sa réponse. On le voit, si l'Allemagne refuse de céder sur ce point, ce sera uniquement pour des raisons idéologiques et/ou de politique intérieure, en aucun cas pour des raisons de rationalité économique. Voici donc quelques explications/rappels sur la dette grecque. 

Q : Vous avez dit dans une récente émission (i24) qu'un défaut de la Grèce ne serait finalement pas si grave étant donnés les montants en jeu. En cas de défaut, au bout du compte, qui paierait quoi ? Quel serait l'impact sur les différents pays de la zone euro ? 

R : Il y a plusieurs formes d'exposition à la Grèce: 

- la première, la plus simple, est celle qui découle des prêts bilatéraux faits en 2010 par les différents pays (53 milliards), 

- la seconde est celle qui découle des prêts du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) faits lors du deuxième sauvetage (un peu plus de 140 milliards). L'Allemagne et la France contribuent au FESF à hauteurs respectives de 27% et 20%.
On arrive à 195 milliards en agrégeant prêts bilatéraux et prêts du FESF: 42 milliards pour la France, 56 milliards pour l'Allemagne.

- la troisième est celle qui découle des dettes publiques grecques acquises par la BCE sur les marchés : elle détient aujourd'hui un montant estimé à un peu plus de 25 milliards d'obligations grecques. En cas de défaut, les banques centrales nationales (et donc finalement les gouvernements nationaux) prendraient les pertes à hauteur de leur poids dans le capital de la BCE (18% pour la Bundesbank, 14% pour la Banque de France etc.). Autour de 5 milliards de pertes pour la France et l'Allemagne.

- la quatrième est celle qui découle du système de prêts entre banques centrales appelé "TARGET2". Ces prêts sont destinés à compenser des transferts de dépôt d'un pays à un autre au sein de l'Union Monétaire (par exemple si un Grec transfert ses dépôts d'une banque grecque vers une banque allemande, il y aura un prêt du même montant de la Bundesbank à la Banque de Grèce). On estime l'exposition globale des banques nationales non grecques à un peu moins de 120 milliards d'euros. La perte pour l'Allemagne s'élèverait à environ 30 milliards d'euros en cas de défaut, celle pour la France à environ 25 milliards.

- la cinquième exposition découle des prêts du FMI, dont les Etats membres de l'euro sont actionnaires. Le FMI n'a prêté que 30 milliards environ à la Grèce donc ces expositions sont négligeables par rapport au reste.

Au final, on arrive à une exposition globale de 340 milliards d'euros du reste de la zone euro à la Grèce, dont un peu moins de la moitié est portée par la France et l'Allemagne (environ 90 milliards pour l'Allemagne et 75 milliards pour la France) plus 63 milliards pour l'Italie et 43 milliards pour l'Espagne.

Mais l'impact d'un Grexit (NB : dont la perspective semble aujourd'hui s'éloigner) ne se limite évidemment pas à ces montants. Le coût principal sera la perte du capital de confiance dont dispose la monnaie unique : le tabou de l'irréversibilité de la monnaie unique sera brisée, les déposants craindront de voir leurs dépôts convertis en monnaie domestique du jour au lendemain, les investissements dans les pays périphériques seront dissuadés, les partis eurosceptiques pourraient être galvanisés etc.

Un défaut grec à l'intérieur de l'euro serait beaucoup moins coûteux : il serait limité aux 200 milliards de prêts bilatéraux/FESF et pourrait être amorti sur une très longue période plutôt que pris sous la forme d'une perte sèche. La perte s'élèverait à un peu plus de 2% du PIB pour la France et l'Allemagne. Mais en fait, rien n'impose à ces pays de faire assumer cette perte aux contribuables immédiatement. Ils se financent aujourd'hui à moins de 1% par an. Ils peuvent donc offrir à la Grèce des prêts à taux 0 avec un coût extrêmement modeste pour le contribuable. Par exemple, pour la France, le coût est de 1% * 42 milliards, soit 420 millions d'euros (à peine plus de 6€ par an par Français).


mercredi 17 juin 2015

La bombe atomique grecque : combien de mégatonnes ?



- article invité -

par Jean-Claude Werrebrouck

 
Jean-Claude Werrebrouck est économiste. Il est notamment l'auteur d'un ouvrage intitulé Banques centrales : indépendance ou soumission ? Yves Michel, 2012. Le texte ci-dessous a été publié sur son site. Il est repris ici avec l'accord de l'auteur : merci à lui !
 
 
***
 
 
Au sujet d'un article paru dans Le Monde
 
David Amiel et Paul-Adrien Hyppolite publient, dans Le Monde du 9 juin dernier, un article qu’on peut qualifier de sérieux sur la Grèce. Ils soulignent que si la dette publique est largement maitrisée par des entités publiques sur lesquelles les effets d’un défaut seraient contrôlables, la situation se trouve être fondamentalement différente pour les agents privés : entreprises, institutions financières, voire ménages.
 
Revenant sur la Lex monetae, ils précisent que 99,6 % de la dette émise par les entreprises grecques à l’étranger est encadrée par le droit étranger notamment anglo-saxon. Une dette qui, par conséquent, ne serait pas protégée par la Lex monetae. C’est dire que pour ces entités la dette serait maintenue en euro alors même que les actifs seraient désormais libellés en Drachmes. Les auteurs qui font référence à leur étude présentée au colloque « A new Growth Model for the Greek Economy »  à Athènes le 3 juin dernier, ne précisent pas l’importance des actifs grecs à l’étranger ni le niveau des ressources en chiffres d’affaires réalisés à partir des territoires étrangers. On peut toutefois penser, qu’en dehors des armateurs, ces ressources sont limitées  en raison de la faible internationalisation des entreprises grecques.
 
 La sortie de l’euro serait donc à priori catastrophique pour les créanciers privés. Avec cette restriction que les capitaux grecs situés en territoire étranger pourraient connaitre une plus-value identique au taux de dévaluation de la Drachme par rapport à l’euro. De quoi contribuer, par leur retour, à une hausse de la formation de capital sur le territoire national. Globalement, beaucoup d’acteurs seraient en difficulté : des créanciers qui n’accepteraient pas de prendre leurs pertes, mais aussi des entités grecques débitrices dont les actifs à l’étranger pourraient être menacés.
 
Il en est de même pour les ménages endettés sur la base de contrats étrangers. La perte, à hauteur de la dévaluation, est contrariée par le gain de même niveau entrainé par la liquidation des actifs grecs à l’étranger et leur redéploiement sur le territoire national. Il est très difficile de connaitre le niveau exact de ce redéploiement et plus encore d’évaluer la redistribution des cartes entre agents.
 
La situation est à priori plus complexe  pour les banques grecques. Les banques étrangères, largement responsables du désastre ont aujourd’hui déserté le territoire et laissent dans la difficulté l’ensemble du système bancaire national.
 
N’appartenant plus à la zone euro, les banques grecques ne pourraient plus prétendre aux facilités offertes par la BCE et se trouveraient complètement déconnectées du marché monétaire de l’euro zone. Par contre, elles seraient probablement alimentées par le retour des capitaux issus du passif de leurs bilans. On sait, en effet, que les comptes des ménages se sont affaissés en conséquence de la fuite sur comptes bancaires étrangers, ou plus simplement, pour les classes moyennes, par la conversion en billets. Cette fuite est d’environ 35 milliards d’euros depuis février dernier. Le retour vers les banques grecques générerait une importante plus-value dont elles pourront bénéficier sous formes de comptes augmentés de la dévaluation. Il reste à déterminer quelle serait l’importance du retour, sachant que les actifs grecs apparaitraient particulièrement bon marché dans le cadre d’une fiscalité qui reste jusqu’à ce jour accommodante.
 
Contrairement à ce qu’affirment David Amiel et Paul Adrien Hyppolite, il n’y a aucune raison de considérer que la banque centrale serait victime des banques du second degré. Pour tout ce qui concerne le marché intérieur, le marché interbancaire fonctionnerait désormais en Drachmes comme il fonctionnait en euros. Par ailleurs, la fuite des capitaux – sauf anticipations inflationnistes difficiles à apprécier - doit logiquement cesser dès la réapparition de la monnaie nationale.
 
En particulier, dire avec l’ensemble des commentateurs de la crise que les actifs de la banque centrale se déprécieraient, n’a guère de sens puisqu’une banque centrale ne connait aucune contrainte de passif. Plus particulièrement encore, dire que la dette publique figurant aux bilans des banques et plus encore de la banque centrale qui les accepte en collatéral, serait, en raison d’un défaut du Trésor,   une catastrophe n’a strictement aucun sens. Encore une fois la Banque centrale est une institution qui ne peut elle-même faire défaut.
 
Sans doute pourrions-nous dire que la Banque centrale de Grèce serait encore redevable des sommes figurant sur les comptes TARGET 2 de la BCE, probablement plus de 100 milliards d’euros soit plus de la moitié du PIB grec. Mais précisément la fin de l’euro pour la Grèce serait aussi un défaut sur TARGET 2 derrière lesquels se cachent des créanciers privés notamment des banquiers allemands.
Au total, l’introduction des créanciers privés dans la question de la sortie de la Grèce de la zone euro ne peut en aucune façon être négligée. Ces créances privées seront sans doute une force de déstabilisation importante qui s’ajoutera aux autres. Mais il y a beaucoup plus sérieux….
 
 
Une BCE écartelée construisant sa tombe
 
Le plus grave serait selon Charles Gave la longueur des négociations - l' arme grecque - qui au final devrait détruire le système financier allemand. Point d'aboutissement, nous le verrons contestable.
La longueur des négociations est d’abord une arme qui, couplée au maintien de la libre circulation du capital, permet à une partie non négligeable de la population de ne pas souffrir de la fin de l’euro et à l’inverse d’aider le reste de la population à gérer des temps difficiles. Si l’on admet que 35 milliards d’euros ont quitté la Grèce depuis Février dernier et que la dévaluation serait d’environ 50%, le retour vers le pays de la Drachme dévaluée est très avantageux : 17 milliards de drachmes dont une partie pourrait être taxée par le gouvernement grec à des fins redistributives. Ce retour pourrait d’ailleurs être aussi le fait de capitaux qui ont fui la Grèce bien avant l’arrivée de Syriza au pouvoir. Selon Bloomberg, le Bank Run larvé avait déjà engendré une baisse de 80 milliards d’euros des dépôts privés entre 2009 et 2014. Le retour et le gain qui s’en suivrait, difficile à estimer, pourrait cependant être considérable.
 
Ce gain est d’autant plus important que les négociations sont longues, et elles sont longues car ce même gain est financé par la BCE… En effet, la fuite est compensée par l’appel à la Banque centrale grecque qui accepte, en collatéral, de la dette publique qui, elle-même, est rétrocédée à la BCE. C’est dire que plus les capitaux fuient, et plus ils enrichissent potentiellement une partie de la population grecque, enrichissement potentiel payé par la BCE. On peut donc penser que la longueur des négociations est une arme stratégique du pouvoir grec qui - tel un pêcheur prenant le temps d’épuiser le gros poisson qu’il vient de ferrer avant de le sortir hors de l’eau [1] - peut retarder les échéances en offrant de nouvelles propositions sur les diverses tables de négociation.
 
Car la véritable question est le système financier allemand avec sa banque centrale qui a partout imposé dans le monde l’ordo-libéralisme avec son arme première : l’indépendance des banques centrales.
 
La BCE ne peut arrêter de financer la fuite des capitaux en stoppant toute forme d’aide à la Grèce car, dans un même geste, elle entrainerait le défaut grec, en particulier un défaut complet sur TARGET 2. Bien évidemment, si la BCE n’était pas traitée comme n’importe quelle banque avec capitaux propres exigibles, le problème du défaut ne se poserait pas puisqu’une banque centrale classique est -répétons-le- intouchable. Hélas ce n’est pas le cas dans le cadre de l’ordo-libéralisme et juridiquement, la BCE doit prendre ses pertes (la Banque centrale de Grèce ne soldera jamais son déficit TARGET) en atteignant ses propriétaires dont le principal : la banque centrale allemande qui a elle-même pour propriétaire le Trésor allemand.
 
Charles Gave qui ne se préoccupe pas des banques centrales, consacre son raisonnement sur TARGET 2 dont le solde  n’est que la contrepartie d’actifs, eux-mêmes reflets du déficit de la balance courante grecque, figurant pour l’essentiel dans les banques allemandes.
 
Il s’agit là d’une grave erreur d’analyse. Contrairement à ce qu’il affirme, les Banques allemandes sont parfaitement irriguées par le déficit courant grec, et une irrigation sécurisée par le dispositif TARGET. Ce dispositif a été initié précisément pour évacuer toute contrainte sur la libre circulation, exactement comme si les échanges à l’intérieur de la zone n’étaient pas des échanges internationaux alors qu’ils continuent réellement de l’être. Ce sont donc les banques centrales qui enregistrent les soldes et sont amenées à les financer, sachant que ces banques centrales ne sont- en termes de bilans - que les éléments constitutifs de la BCE. Il est donc erroné de dire, comme le fait Charles Gave, qu’il faut comparer les 100 milliards du compte grec  TARGET 2 aux 350 milliards de fonds propres des banques allemandes : les dettes grecques et par contagion les autres dettes du sud de la zone (plus de 1000 milliards d’euro) ne viendront pas détruire le système bancaire allemand dans sa totalité.
 
Par contre, il est vrai que le compte grec TARGET 2 viendra « manger » le capital de la BCE, donc le capital des banques centrales et au-delà devrait logiquement imposer une recapitalisation généralisée par les contribuables européens et tout spécialement allemands.
 
Dans un tel contexte, les dettes du sud désormais « irradiées » emporteront très probablement l’ensemble des soldes TARGET et il est peu pensable que l’ordo-libéralisme qui présidait à l’architecture générale de l’euro-système puisse tenir : Espagnols, Portugais, Italiens, etc. rejoindront bien vite le camp de Syriza.
 
On comprend par conséquent que la BCE, devant une telle perspective, fait tout pour éviter la catastrophe : continuer à financer la fuite grecque… qui devient presque supportable pour la Grèce… et permet dans un même geste le « mirage » du sérieux de TARGET 2.
 
Tout sera donc entrepris pour empêcher un effondrement qui, au-delà de l’économie, serait aussi un effondrement des valeurs : l’empire ordo-libéral allemand serait détruit.
 
L’architecture organisationnelle de la BCE était une invention allemande chargée de la protéger contre ses partenaires européens jugés trop peu sérieux. Le bébé est devenu monstre, mais finalement monstre bienveillant qui tentera jusqu’au bout de  protéger son géniteur de ses propres bêtises. Mais le bout du bout est arrivé….
 
Après quoi, l’Allemagne, siégeant très difficilement au beau milieu d’une zone probablement dévastée,  pourra retrouver son mark [2].
 
 
Quelques conclusions

1) La BCE ne peut éviter temporairement le défaut grec qu’en ne respectant pas l’ordo-libéralisme. On comprend ainsi mieux l’absence de tout espace de négociation possible entre l’Allemagne et la Grèce.
 
2) La longueur des négociations est « l’investissement» des grecs qui disposent encore de liquidités et le drame de ceux qui n’ont rien, ou se trouvent au creux des échanges économiques réels : disparition de tout délai de paiement, de l’investissement, chute de la consommation, etc.
 
3) Le défaut et la sortie de la zone développe un espace de potentialités parmi lesquelles :
  •  Les conséquences du défaut et de la sortie sur les contrats de droit étranger auront des effets ravageurs. Mais au final, le défaut grec faisant basculer l’ensemble de la zone, des solutions innovantes devront être mises sur pieds parmi lesquelles celles déjà envisagées ici.
  •  
  • Le brutal arrêt de l’empire ordo-libéral : aucun Etat n’acceptera de partager plus de 1000 milliards d’euros de pertes sur le dispositif TARGET.
  •  
  • A l’inverse, parce qu’un système de valeurs est « l’invariant » d’une société, l’Allemagne restera la seule nation ordo-libérale, et ce quel qu’en soit le prix. D’où le retour du mark.
  •  
  •  La dévaluation lourde est porteuse d’un double effet contradictoire :
    •  elle se déroule dans un contexte de très faible élasticité-prix des importations et des exportations, d’où un coût de court terme très élevé et des conséquences positives plus lointaines ;
    • un retour massif des capitaux est probable avec de possibles effets positifs si de bonnes mesures sont prises : orientation, par incitations fiscales,  des capitaux vers les filières générant des substitutions d’importations, taxation redistributive sur les rapatriements au profit de ceux qui seront les premières victimes de la dévaluation massive, etc.

La bombe atomique grecque, c’est beaucoup de mégatonnes….on comprend la gêne des artificiers.
 
 
[1] Il faut bien souligner ici que cet enrichissement n’est pas le fait de tous et qu’une partie importante de la population, y compris des chefs d’entreprises, se trouve à l’inverse complètement pénalisée par une situation qui engendre un malaise dans les affaires courantes : disparition de tout paiement différé dans les importations, disparition de l’investissement, réduction de la consommation interne, etc…. d’où la disparition du timide retour à la croissance.
 
[2] Curieusement les esprits éclairés en Allemagne ne semblent pas encore avoir compris la réalité de la situation. Ainsi Un sondage auprès des membres du conseil économique de la CDU révèle que pour 76% d’entre-deux la sortie de la Grèce n’est pas un fait important.
 
 

lundi 15 juin 2015

Dette grecque : préparez vos oreilles, les révélations vont faire mal !



Individu lambda qui en apprend de bien bonnes sur la dette grecque



Alors que l’hypothèse d’un défaut grec se précise et que la plus grande confusion règne dans le camp des créanciers (le FMI et les « Européens » sont divisés, ce qui n’est pas nouveau) des langues commencent à se délier. Quand tout cela sera fini, on peut s’attendre à quelques aveux croquignolets qui risquent de décoiffer jusqu’aux mieux permanentés de nos européistes. Pour les plus impatients, voici déjà un avant-goût :

1) En mars dernier, un membre du FMI, le Brésilien Paolo Batista, déclarait sur une chaîne de télé grecque que la majeure partie de l’argent qui avait été prêté à Athènes l’avait été pour secourir des créanciers privés, en aucun cas pour aider le pays. « La Grèce a reçu des sommes énormes, mais cet argent a été principalement utilisé pour permettre le désengagement, par exemple, des banques françaises ou allemandes » affirme-t-il dans la vidéo ci-dessous :





2) Plus récemment c’est Philippe Legrain qui confirme la chose. L’ancien conseiller économique de José Manuel Barroso était auditionné jeudi dernier par la « Commission pour la vérité sur la dette grecque », mise sur pieds par la présidente du Parlement hellène Zoé Konstantopoulou. Il y a affirmé ceci : « en 2010, les grands dirigeants européens et le directeur du FMI de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, ont délibérément refusé de considérer la Grèce comme insolvable dans le but de protéger les intérêts des grandes banques européennes. En effet, selon les statuts du FMI, cette institution ne pouvait pas prêter à un État dont la dette était déjà insoutenable »

Pourtant, il était indispensable de prêter à la Grèce. Pour quelle raison ? Pour l’aider à sortir du marasme ? Pour le bien de son peuple ? Pour sauvegarder l’idéal européen ? Pas du tout ! Pour aider les banques françaises et allemandes, principales créancières d’Athènes et respectivement engagées à hauteur de 20 et 17,2 milliards d’euros, à retirer leurs billes sans une égratignure. Ce qui fut d'ailleurs grandement facilité par la Banque centrale européenne. En effet, Legrain révèle ceci : lorsque la BCE se décide, en 2010, à intervenir sur le marché secondaire et à y racheter de la dette souveraine dans le cadre du programme SMP (Securities Market Program), c’est pour partie aux banques françaises et allemandes détentrices d'obligations grecques qu'elle rachète des titres. A un bon prix d'ailleurs, toujours selon l'économiste. Ce qui non seulement permet à ces grandes banques de ne rien perdre mais qui leur permet aussi.... de gagner ! 

3) Enfin, peut-être finira-t-on par se souvenir, comme on avait déjà tenté de l’expliquer ici, que l’argent ne se prête pas gratuitement. Ainsi, certains des créanciers de la Grèce ont réalisé des profits en lui faisant crédit. Et oui : ils ont empoché le montant des intérêts correspondant aux prêts consentis.

Mais tout cela n’est rien pour l'heure. Pas de quoi s’affoler. En tout cas, il y en a qui restent sereins. Terminons donc sur une note d'optimisme printanier et de candeur sucrée :






jeudi 30 avril 2015

Après le « Grexit » et le « Grexident », voici venir le « Grimbo »....






Chouette : le champ lexical du désastre européen vient de s'enrichir d'un nouveau mot ! Une pierre dans le jardin des déclinistes, qui ne pourront plus dire que la langue s’appauvrit.  Quant aux amoureux des lettres classiques, qu'ils soient rassurés : la Grèce demeure l'inspiratrice des inventeurs de concepts. 

On connaissait le « Grexident », une formule belle comme l'antique que l'on doit à l'imaginatif ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble. Au mois de mars, ce dernier considérait en effet qu'en cas d'échec des négociations entre la Grèce et ses « partenaires », on ne pourrait exclure longtemps un « Grexident », c'est à dire une sortie d'Athènes de la monnaie unique par accident. Ceci, force est d'en convenir, est bien plus diplomatiquement correct que « Grexpulsion ». 

Bien sûr, on connaît également le Grexit, qui signifie simplement « sortie de la Grèce de l'euro », sans plus de précision. Ce qui rend infini le champ des possibles : sortie par mégarde, par erreur, par inadvertance, sur un malentendu, pour aller prendre l'air, pour faire une  blague trop rigolote, etc. L'avenir, de toute façon, livrera bientôt son verdict. 

Mais comme il prend tout son temps pour éclore, l'avenir, certains ont décidé de faire dans l'inventivité, afin de patienter en s'amusant. 

C'est ainsi qu'un économiste de Citigroup, Ebrahim Rahbari, à l'origine, déjà, de la contraction « Grexit », vient d'inventer le « Grimbo ». Il s'agit d'une contraction de « Grèce » et de « limbo ». Elle signifie qu'aucune solution ne serait trouvée prochainement, ni aucune option radicale décidée. Du coup, Athènes resterait « dans les limbes » pour un bon moment encore. 

Rahbari détermine ainsi plusieurs « scénarios gris » possibles, dont on peut trouver le détail sur Zero Hedge : 

1/ Un nouvel accord est trouvé, mais seulement après mise en œuvre d'un contrôle des capitaux ou après un défaut partiel. Cela se produirait après un choc du type suivant : décision de la BCE de limiter l'accès des banques grecques à la liquidité d'urgence (ELA), qui est désormais la seule manière pour ces banques de se refinancer, décision de Tsipras de convoquer un référendum ou, enfin, incapacité d'Athènes à honorer l'une de ses échéances.

2/ Incapacité des deux partis à aboutir à un accord. La Grèce est alors contrainte de faire partiellement défaut. Un contrôle des capitaux est instauré mais on ne se résout pas encore au Grexit. 

3/ Pas d'accord entre Athènes est ses créanciers. La Grèce se trouve à court de liquidités et se voit contrainte de mettre en circulation des IOU (I owe you), autrement dit une véritable double monnaie, à usage strictement interne et qui lui servirait à payer se fonctionnaires. Un scénario déjà évoqué ici, et qui ne suppose pas lui non plus - en tout cas pas immédiatement – une sortie de l'eurozone. 

Au bout du compte, le Grimbo se décline en plusieurs « non-solutions » provisoires, chacune permettant de faire traîner les choses indéfiniment, et pouvant aboutir aussi bien à un Grexit qu'à.... un « Grexin », si un accord est finalement trouvé sur le plus long terme (donc si les poules se mettent à avoir des dents).  

Il paraît que chacun peut ainsi jouer à enrichir le vocabulaire. Ici par exemple, un lecteur du Financial Times, probablement né bien avant l'avènement de Najat Vallaud-Belkacem, propose « Grexodus », au motif que « le mot exit est d'origine latine, alors que le mot exode est d'origine grecque ». 

En attendant, l'opinion hellène se prépare lentement mais sûrement. Comme expliqué , une étude d'opinion montre que près de 69 % des Grecs interrogés pensent désormais possible une sortie de la monnaie unique et que 20 % la souhaitent. Ils étaient moins de 10% avant les élections de janvier, et n'étaient encore que 16 % il y a une dizaine de jours.... 


Pour finir et même si ça n'a strictement rien à voir, voici une photo de François Grexamen.  




vendredi 24 avril 2015

Gabriel Colletis : «Les Grecs préféreront vivre libres et pauvres qu'asservis par la dette »





Gabriel Colletis est économiste. Il est l'auteur de plusieurs livres sur l'industrie dont L'urgence industrielle (Éditions Le Bord de l'eau, 2012). D'origine grecque, il a également publié à Athènes, en mai 2014, un livre sur la crise et ses issues « Exo apo tin Krisi : gia mia chora pou mas axizei ! » (Editions Livanis). Gabriel Colletis est sollicité par Syriza depuis 2012.


***

Il a beaucoup été dit, dans la presse française, que le gouvernement grec avait "capitulé". Pourtant, on en est très loin. Au contraire, il semble bien qu'il soit le premier gouvernement depuis longtemps à prendre des mesures visant à faire face à "l'urgence humanitaire" d'une part, à lutter contre la fraude fiscale et contre la corruption d'autre part. Quelles sont, concrètement, les mesures prises par le gouvernement Tsipras ?

Le programme de la Syriza prévoyait un paquet de mesures humanitaires d'urgence d'un montant d'environ 2 milliards d'euros en faveur des ménages les plus touchés par la crise. Une fois arrivé au pouvoir, le nouveau gouvernement a déclaré vouloir mettre en œuvre les mesures prévues.  Ces mesures ont, d’emblée, été vues d'un œil sceptique par les créanciers (UE, BCE, FMI) de la Grèce qui ont déclaré craindre qu'elles ne fassent dérailler le fragile budget de l'État…que leur politique avait, elle-même, mis à mal.

En dépit des difficultés financières qu’il savait qu’il aurait à affronter, le gouvernement de la gauche radicale, élu sur son programme anti-austérité, a ainsi voulu répondre aux besoins liés à la progression de la grande pauvreté. Parmi les mesures annoncées peu de jours après les élections figurent la fourniture de l'électricité gratuite à 300.000 familles dans le besoin, l'accès gratuit aux services de soins, la distribution de coupons d'aides alimentaires et de transport pour les plus modestes ainsi qu'un soutien financier spécifique aux retraités touchant de faibles pensions.

Ces mesures ont évidemment un coût. Comment sont-elles financées ?

Il faut savoir que ces politiques seront menées, d’après le gouvernement, « en veillant à ce qu’elles n’aient pas d’impact budgétaire négatif ». D’après un accord conclu le 20 février dernier au terme duquel la Grèce accepte de demander une extension de l’assistance financière auprès de ses créanciers en échange de la mise en œuvre d’un programme de réformes que ceux-ci auraient validé, il a été, en effet, prévu que, non seulement le gouvernement grec ne prenne aucune mesure unilatérale, mais encore qu’il n’engage aucune dépense nouvelle sans contrepartie en termes de recettes, ce afin de préserver un excédent budgétaire le plus élevé possible.

Le gouvernement semble compter sur de nouvelles rentrées fiscales...

Oui. Les mesures humanitaires annoncées seront en effet financées par de nouvelles recettes liées à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’au début de réforme de la fiscalité.

Gabriel Colletis
La lutte contre le trafic d'essence et de cigarettes doit permettre à l’État grec d'engranger respectivement 1,5 milliard et 800 millions d'euros. Près de 2,5 milliards supplémentaires pourraient être encaissés au travers du recouvrement des dettes fiscales des particuliers et des entreprises. Le cumul des arriérés d'impôts des contribuables grecs s'élève, en effet, à... 76 milliards d'euros et continue d'augmenter tous les mois, en raison des difficultés économiques des ménages. Le gouvernement estime ne pas pouvoir récupérer plus de 9 milliards d'euros, soit 11,6% du total de cette somme, en raison notamment des faillites d'entreprises ou des contribuables dont il a perdu la trace.

Enfin et peut-être surtout, l'exécutif de gauche radicale prévoit aussi de tirer 2,5 milliards d'euros de l'imposition des fortunes grecques et des oligarques.

Du coup, cela redonne-t-il au pays une petite marge de manœuvre ?

Un peu, oui. Mais la Grèce reste « plombée » par l’énormité de la dette et des intérêts. En 2015, l’État grec doit rembourser près de 17 milliards de prêts qui arrivent à échéance. Quant aux intérêts, ceux-ci représentent plus de 20% des dépenses de l’État.

Rappelons que depuis août 2014 et jusqu’à ce jour, l’État grec n’a rien reçu du programme dit « d’assistance financière », programme dont le nouveau gouvernement a pourtant demandé l’extension le 20 février dernier…

Au bout du compte, loin d'être révolutionnaires, les mesures envisagées par les Grecs semblent fort raisonnables. Toute l'Europe (Allemagne, Eurogroupe, BCE ) semble pourtant s'être mise d'accord pour ne pas leur accorder le temps nécessaire à leur mise en œuvre. Quel est, selon vous, l'enjeu de cette "guerre du temps" ? Pourquoi "les Européens" semblent-il à ce point désireux d'étrangler la Grèce ?

Décider d’un programme d’urgence pour venir en aides aux plus démunis dans un pays où sévit une véritable crise humanitaire ne me semble pas être, en effet, la marque d’un gouvernement extrémiste ! De même, vouloir réformer la fiscalité pour assurer le financement des mesures prévues dans le cadre ce programme et, au-delà, constituer un socle solide de financement des services publics comme l’envisage le programme de Syriza, ne paraît pas non plus être une orientation révolutionnaire....

On ne peut donc qu’être étonné que ces mesures, que le peuple grec a approuvées, puissent ne pas entraîner l’adhésion des partenaires institutionnels de la Grèce et des pays créanciers.

Comment comprendre une telle posture, réaffirmée ad nauseam depuis l’accord du 20 février ? Une explication réside dans la nature de l’orientation choisie : aider les démunis, reconnaître l’existence d’une crise humanitaire et la considérer comme inacceptable, vouloir financer des services publics, sont l’expression de choix qui s’opposent à la doxa libérale promue par les institutions internationales et les gouvernements des pays créanciers. D’après cette doxa, si les pauvres existent, c’est qu’ils n’ont pas su faire les bons choix, ne disposent pas des talents nécessaires (pour reprendre les termes d’Adam Smith). Si une aide doit être envisagée, c’est par la charité publique et non par l’impôt qu’elle doit être concédée. Quant aux services publics…

On est donc dans l'idéologie, pas seulement dans la rationalité économique...

Tout à fait. Tenter de faire échouer le nouveau gouvernement, c’est avoir pour objectif de montrer qu’il est utopiste ou insensé de penser et vouloir agir autrement que selon les dogmes de la pensée libérale. C’est vouloir prouver que les élections et les mouvements citoyens ne peuvent « changer les traités » et, surtout, l’ordre du monde établi, lequel aujourd’hui est synonyme partout d’une montée très forte des inégalités et des injustices.

Alexis Tsipras n'a pas cédé aux vœux des institutions et des pays créanciers, qui, à maintes reprises, ont déclaré qu’ils n'étaient guère satisfaits des réformes proposées par le gouvernement grec, réformes jugées « incomplètes et trop imprécises ».

Le refus par les créanciers de la Grèce des réformes proposées par le gouvernement grec repose sur l'absence de deux réformes qu’ils exigent de lui : celle des retraites et celle du marché du travail. 

Pourquoi spécifiquement ces deux réformes ?

La réponse nous est clairement donnée par le journal La Tribune : les dirigeants européens et leurs administrations sont persuadés que ces «réformes structurelles » sont des leviers de croissance potentielle qui, en favorisant la compétitivité coût du pays, lui permettront de mieux rembourser ses dettes. Sur le marché du travail, ce que veulent les Européens, c'est réduire encore la capacité de négociations collectives salariales des syndicats, déconstruire le droit du travail ou ce qui en reste.

Quant au système des retraites, l’objectif est le même que celui recherché partout : reporter l’âge légal du départ à la retraite. Mais, comme le rappelle aussi La Tribune, dans un pays comme la Grèce, prôner un tel allongement signifie refuser de voir le développement de la pauvreté dans le pays et l'importance qu'ont ces retraites pour soutenir le niveau de vie des plus jeunes. C'est aussi refuser de reconnaître que dans un pays où le taux de chômage est de 26 %, il n'y a pas de sens à reporter l'âge légal de départ à la retraite à 67 ans.

Plus haut, nous avons indiqué que la Grèce n’avait reçu aucun soutien financier depuis l’été 2014. Mieux ou pire, en dépit de l’accord du 20 février, aucun euro n’est entré dans les caisses de l’État grec alors que celui-ci a eu à faire face à de nombreux et importants débours tant sur le principal de sa dette que sur ses intérêts. On ne compte plus depuis le fameux accord de février les listes de réformes envoyées par le gouvernement grec à ses créanciers. A chaque fois, la réponse est identique : la liste ne convient pas…ce qui justifie que la dernière tranche du programme d’assistance financière ne soit toujours pas versée.

L’accord du 20 février apparaît désormais pour ce qu’il est : un marché de dupes. Alors que c’est l’état dégradé du système financier grec qui a poussé le gouvernement à se résigner à demander l’extension du programme d’assistance financière, à l’issue de moult réunions de l’Eurogroupe, toujours marquées par de grandes tensions, la Grèce n’aura rien touché et le gouvernement aura retardé ou édulcoré la mise en œuvre de son programme, voire accepté de poursuivre sur une voie qu’il condamnait au départ (les privatisations, notamment).

Ne pensez-vous pas que Tsipras, au départ, ait sous-estimé la rigidité de ses "partenaires" ?

La principale erreur de Tsipras aura été de ne pas décider d’un moratoire sur le paiement de la dette et des intérêts. Ayant accepté de les honorer, le nouveau gouvernement s’est mis lui-même dans une situation financière très difficile, bien sûr aggravée par les décisions de la Banque centrale européenne. Rappelons que celle-ci, le 4 février, a coupé un des canaux de financement du Trésor grec : les obligations émises par celui-ci ne seraient plus acceptées par la BCE comme garanties en échange de liquidités prêtées aux banques grecques par la même BCE. Dans le même temps un mouvement massif de retraits de liquidités s’opérait en Grèce. Calculé à environ 2 milliards d’euros par semaine, il aurait atteint 1,5 milliard par jour dans la dernière période (seconde moitié de février), chiffres confirmés par le président du conseil des gouverneurs de la BCE, M. Draghi, qui a indiqué que sur janvier et février environ 50 milliards d’euros avaient été transférés de Grèce vers d’autres pays de la zone euro.

Le 25 mars, enfin, jour de la fête nationale grecque, la même BCE enjoignait aux banques grecques de ne plus acheter des bons du Trésor grec afin de ne pas dégrader leurs structures de bilan.Bref, une véritable opération de strangulation financière dont les motifs et certaines illustrations ont été exposés plus haut.

Oui, la BCE joue un rôle très politique dans cette affaire. Mais l'Allemagne est aussi en première ligne. Les Allemands n'ont-ils pas, pour raisons de politique intérieure (montée de l'euroscepticisme notamment) intérêt à voir la Grèce quitter la zone euro ?

Il est possible en effet que certains Allemands voient d’un bon œil la sortie de la Grèce de la zone euro et, pour d’aucuns, d’après des motifs de politique intérieure. La position globale de l’Allemagne quant au devenir de la zone euro paraît ambiguë. On peut penser que certains milieux allemands ne seraient pas hostiles à une sortie de l’Allemagne de l’actuelle zone euro et à une reconfiguration de cette dernière qui serait alors composée d’un nombre restreint de pays dans la sphère d’influence directe de l’Allemagne. Ces milieux pourraient, dans cette perspective, rechercher un bouc émissaire à l’éclatement de l’actuelle zone euro. La Grèce serait toute désignée pour jouer ce rôle. La boîte de Pandore serait cependant alors ouverte…

Vous dites donc que le gouvernement grec aurait dû annoncer un moratoire sur le paiement de sa dette et des intérêts. Comment se scénario aurait-il pu se dérouler ? Est-il encore jouable ?

Le défaut sur la dette ou l’annulation partielle de celle-ci est une hypothèse que l’on ne doit surtout pas exclure. Avec, à la clé, une nationalisation vraisemblable du secteur bancaire. De solides arguments plaident en ce sens :
1/ la dette grecque est insoutenable, dépassant 120% du PIB (limite au-delà de laquelle même les économistes du FMI considèrent qu’une dette ne peut plus être remboursée),
2/ elle est en grande partie illégitime pour des raisons économiques selon l’audit réalisé récemment en Grèce et comme le montrera vraisemblablement la commission installée par le Parlement hellène,
3/ elle est illégitime en référence à la crise sociale et humanitaire au regard de laquelle le gouvernement grec serait parfaitement en droit d'invoquer l'argument juridique de l'"état de nécessité" pour suspendre les paiements.

Illégitime... mais cet argent a bien été emprunté par la Grèce...

Ce n'est pas si simple. Comme le rappellent régulièrement les membres du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), la possibilité de suspendre unilatéralement les paiements s'appuie également sur l'obligation de tous les États à faire primer le respect des droits humains sur tout autre engagement, comme ceux à l'égard des créanciers. Ce devoir est notamment rappelé par le Comité européen des droits sociaux. Dans sa décision du 7 décembre 2012, ce comité saisi d'une plainte de la Fédération des pensionnés grecs a condamné l'État grec pour avoir violé la Charte sociale européenne en appliquant les mesures contenues dans l'accord avec la Troïka. Affirmant que tous les États sont tenus de respecter la Charte sociale européenne en toute circonstance, le comité a rejeté l'argument du gouvernement grec selon lequel il ne faisait que mettre en œuvre l'accord avec la Troïka.

Les gouvernements sont donc tenus, rappelle le CADTM, de privilégier le respect des droits humains et de ne pas appliquer des accords qui conduisent à leur violation. Cette obligation est également inscrite à l'article 103 de la Charte de l'ONU. Le droit européen et international légitimerait ainsi des actes unilatéraux de la Grèce.

Rappelons enfin au cas où cela serait nécessaire que :
1/ l’Allemagne a obtenu en 1953 un allègement substantiel de sa dette (conférence de Londres)
2/ ce pays ne s’est acquitté que de manière très marginale de sa dette envers la Grèce.

Est-ce qu’un moratoire sur le paiement de la dette et/ou un défaut partiel sur celle-ci impliquent ipso facto l'expulsion de la zone euro ? Rappelons que la décision de sortie de la zone euro est une décision souveraine. En d’autres termes, seul un gouvernement peut prendre une telle décision. Ce qui signifie qu’aucun autre gouvernement, aucune institution internationale ne peut contraindre un gouvernement à quitter la zone euro.

Vous semblez défavorable à ce Grexit. Pourquoi ? 

La réponse est simple. Les importations de la Grèce sont très importantes, y compris sur des produits de première nécessité. La sortie de la Grèce de la zone euro serait donc un désastre pour les plus vulnérables.

Ceci étant, et même s’il n’y a aucune relation d’équivalence entre une annulation partielle de la dette et une sortie de la zone euro, il se peut que l’intransigeance et le manque absolu de coopération des institutions européennes finissent par exaspérer une majorité de Grecs, qui pourraient alors considérer qu’il vaut mieux vivre libres et pauvres que ployant sous le poids de la dette et la servitude.

La sortie de la zone euro serait un choc assourdissant pour la Grèce et son peuple. Mais ce choc toucherait tous les pays de la zone euro et sans doute bien au-delà.

Avec François Morin, nous avons, malgré tout, envisagé ce cas de figure. Le voici en résumé, sur la base d’une hypothèse qui n’est malheureusement pas improbable. Si la BCE, poursuivant son entreprise de strangulation, ne maintient pas ouvert le robinet des aides d'urgence (ELA) aux banques grecques, celles-ci n’auront plus la possibilité de recourir à la monnaie centrale de la BCE (billets). Le besoin de liquidité pour éviter un bankrun entraînera ipso facto le gouvernement grec à imprimer ses propres billets (drachme). Une dépréciation très forte et un moratoire sur tous les paiements d'intérêt et de remboursements des dettes arrivant à échéance s’en suivront. Ceci déclenchera instantanément une bataille juridique qui durera des années.

Mais ce scénario, très dur pour la Grèce, est aussi un scénario catastrophe pour l'Europe : déconstruction rapide de la zone euro, effet de domino de la faillite grecque et déclenchement de CDS (Credit Default Swap) sur plusieurs dettes européennes. Bref, la catastrophe deviendra assez vite mondiale et des systèmes bancaires entiers s’effondreront. Le risque majeur d’un échec total des négociations est bien là : un nouveau cataclysme financier planétaire et des populations entières plongées une nouvelle fois dans une crise redoutable. Beaucoup plus redoutable que la précédente, car cette fois-ci les États sont exsangues.

L’intérêt de tous et d’abord des peuples est d’éviter ce scénario et c’est l’honneur du gouvernement grec de refuser de toutes ses forces de s’y adonner, ce, contre les apprentis sorciers de tous bords.

Une chose est sûre cependant, que la Grèce sorte de la zone euro ou y reste : la dette grecque doit être allégée. Nous avons proposé une solution favorable à toutes les parties dans cette perspective : transformer une partie de la dette grecque en certificats d’investissements.


jeudi 16 avril 2015

La Grèce va-t-elle faire défaut le 24 avril ?




La Grèce va-t-elle finir par faire défaut ? C'est bien possible. Car le silence coupable de la France sur ce dossier et l'interlude marqué à l'occasion des fêtes de Pâques n'empêchent pas les choses de suivre leur cours et d'aller tranquillement.... dans le mur. 

Prochaine étape : l'Eurogroupe qui doit se tenir le 24 avril à Riga. Évidemment, les « partenaires » de la Grèce vont l'y sommer une fois de plus de franchir ce que son gouvernement considère comme des « lignes rouges » : baisse des retraites et nouvelles encoches dans le droit du travail essentiellement. Tsipras ne semble pas prêt à céder là-dessus. Et l'Allemagne ne paraît pas disposée à lui faire quelque cadeau sur le sujet. Du coup, la situation pourrait demeurer bloquée. Le très souple et très conciliant ministre allemand des Finances Wolfgang Schauble a d'ailleurs eu ces mots récents : « personne ne dispose du moindre indice laissant espérer que nous parviendrons à un accord sur un programme ambitieux ». Bref, la Grèce ne semble pas prête de recevoir la tranche d'aide de 7 milliards d'euros qu'elle espère...

En attendant : 

- Après la visite très commentée de Tsipras à Moscou, c'est au tour de Yanis Varoufakis de se rendre aux États-Unis. Il se dit qu'il y rencontrerait Barack Obama. Dans l'espoir que celui-ci mette un coup de pression amicale à son allié allemand ? On sait le Président américain est attentif à l'évolution de la situation depuis le début. « On ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression » avait-il affirmé dès le début du mois de février, faisant allusion à la Grèce. 

- Hier, Standard and Poor's a dégradé la Grèce. La note de sa dette a été abaissée d'un cran,  à CCC+ assortie d'une perspective négative.

- L'idée de mettre en circulation une « double monnaie » (voir explications ici) pour payer les traitements des fonctionnaires et les retraites, est de plus en plus souvent évoquée, que ce soit dans la presse grecque ou dans la presse britannique. 

- Celle qu'un défaut partiel de la Grèce pourrait intervenir immédiatement après l'échec - prévisible - des négociations de Riga, fait elle aussi son chemin, tant le pays commence à être à sec. Ce défaut, d'ailleurs, n’entraînerait pas forcément une expulsion de la zone euro. Et pour cause : rien, dans les traités, ne rend cette exclusion possible. Les créanciers du pays - essentiellement des acteurs publics depuis que l'UE, en 2010, a généreusement aidé les banques françaises et allemandes à se dégager du bourbier et que le risque a été transféré vers les États-membres, le MES et la BCE - en seraient alors pour leurs frais. Et une crise politique majeure s'ouvrirait en Europe. 

Bref, le calendrier est chargé. On attendant les prochaines péripéties, je mets à disposition ci-dessous la traduction d'un article de l'excellent Paul Mason, qui suit tout cela attentivement sur son blog de Channel 4. 

Dans cet article, le journaliste anglais développe deux idées particulièrement intéressantes : celle d'un éventuel défaut, donc. Mais aussi celle d'une possible scission de Syriza et d'un recentrage de Tsipras, qui s'allierait alors avec To Potami et le nouveau parti fondé par Papandréou sur les ruines du PASOK. Évidemment, ce ne sont-là qu'hypothèses et supputations. Mais c'est dense et informé ! 

***


Ce texte est la traduction d'un article initialement paru ici

J'ai reçu un mail cette semaine, où on me prédit que la Grèce va faire face à une « rapture » (à un enlèvement, en fait. C'est un jeu de mots en anglais) avec la BCE dès le 24 Avril. En fait, mon informateur voulait dire «rupture», mais plus nous approchons de l'événement, plus je pense que le mot « rapture » décrit mieux ce qui peut désormais se produire. 

Si le gouvernement de gauche radicale se retrouve effectivement dans une impasse avec ses créanciers à la fin du mois et que cela conduit à un défaut puis à une éjection éventuelle de la zone euro, alors la « rapture » telle que prévue par les fondamentalistes chrétiens - une journée apocalyptique durant laquelle la moitié du genre humain est brutalement propulsée vers les cieux - pourrait être une métaphore appropriée. 

Pour une partie de Syriza, cela apparaîtrait comme une validation. Pour les autres, comme une damnation. Pour le peuple grec, dont 80 % veut rester dans l'euro à tout prix, cela pourrait ressembler à quelque chose comme la fin du monde tel qu'ils le connaissent.

Mais après trois semaines d'intenses négociations, le 24 avril commence à ressembler à une date limite. Nikos Theocharakis, responsable de la politique fiscale au ministère des Finances grec, aurait dit aux négociateurs de l'Eurogroupe que la Grèce se trouverait à court de liquidités après cette date. 

Commençons par examiner les chiffres. La Grèce ne peut pas emprunter beaucoup d'argent sur les marchés, parce que sa dette de 320 M€ est considérée - à juste titre, je pense – comme insoutenable. Aucune politique d'austérité supportable par la société grecque ne suffirait à rembourser cette dette.

Donc, la Grèce essaie actuellement de survivre en dégageant un léger excédent budgétaire. Chaque année, le gouvernement tente d'être en excédent à hauteur de 1,5 % du PIB en dépensant moins qu'il ne perçoit en taxes. 

Le principal problème est que ce résultat a été obtenu juste avant les élections. Or les chiffres affiché par le gouvernement conservateur précédent se sont avérés être inexacts. 

Problème numéro deux : avec la fuite des capitaux générée par la fermeture de l'accès aux liquidités décidée par la BCE, l'activité économique est à l'arrêt, et le commerce extérieur s'effondre. Les recettes fiscales ont baissé en janvier-février, et bien qu'elles semblent être remontées en mars, cela tient principalement à un compromis : paiement rapide de traites sur les arriérés d'impôts et instauration d'une taxe forfaitaire par les banques. Mais semaine après semaine, l’État grec doit faire face au paiement des salaires et des pensions à partir d'un minuscule excédent de trésorerie. Il est contraint de faire main basse sur les réserves de trésorerie de divers organismes publics afin de se maintenir à flots.

Problème numéro trois : même s'il dégage un petit excédent chaque mois, l’État grec doit « faire rouler » près de 15 milliards de dette cette année, en grande partie sous la forme de bons à court terme que les banques du pays devraient en principe acheter. Mais leur capacité à le faire est plafonnée par la BCE . 

Un terrain d'entente ?

Depuis le début, le temps a travaille en faveur des créanciers de la Grèce et des adversaires de Syriza. 

Lorsque la BCE, en février, a fermé à la Grèce l'accès aux liquidités normales et plafonné celui aux liquidités d'urgence, il était évident que cela allait accélérer le bank run amorcé durant le dernier mois de règne du gouvernement précédent. Cela a en partie - mais en partie seulement - contraint le ministre des Finances Yanis Varoufakis à une reculade à l'occasion de l'Eurogroupe du 20 février. 

Depuis lors, le principal objectif de Varoufakis est d'essayer de prouver qu'il existe une version de gauche et anti-austéritaire des « réformes structurelles » qui soit acceptable par les créanciers, et les convaincrait d'accorder les 7 Mds d'aide qu'ils bloquent actuellement. Mais même un déblocage de cette aide ne constituerait qu'une prémisse à d'autres négociations, portant  sur la manière dont pourrait être rééchelonnée une dette de 320 milliards. La dernière mouture des propositions grecques - un document de 26 pages en anglais - a été considérée comme passible d'un tel accord. Mais la question va bien au-delà de la crédibilité budgétaire d'Athènes. 

La majorité pro-euro au sein de Syriza a, semble-t-il, mal calculé la force de l'opposition à laquelle elle serait confrontée au sein de la zone euro. Certes, elle a l'appui des États-Unis. Et la France et l'Italie émettent de petits gazouillis sympathiques. Mais tout cela est contrebalancé par une coalition de pays pro-austérité rangés derrière l'Allemagne, qui bloquent toute tentative de la Commission européenne de négocier un compromis. Dès lors, chaque fois qu'un accord semble se dessiner, l'Allemagne et un groupe d'alliés qui lui sont proches depuis la seconde guerre mondiale, bloquent toute avancée, que ce soit au sein de la BCE ou de l'Eurogroupe.

Impasse

La profondeur de l'attachement de Syriza à l'euro a été démontrée lorsque l'économiste-gourou du parti, Euclid Tsakalotos, s'est adressé aux députés à Westminster le mois dernier. Face aux encouragements à quitter l'euro venus de députés travaillistes de l'aile gauche, Tsakalotos est revenu sur les expériences tentées par les gauches britannique et française dans les années 1980, soldées par ce qu'il appelle « l'impasse » de solutions économiques nationales. 

Ainsi, la direction de Syriza est marié à la zone euro, mais la zone euro est actuellement formatée pour écraser Syriza. Avec le ralentissement de la croissance et des recettes fiscales artificiellement soutenues par des taxes exceptionnelles, cela ne peut durer éternellement.

Les grandes entreprises, en Grèce, sont loin d'être aussi hostiles à Syriza qu'on pourrait le penser. Beaucoup d'hommes d'affaire voient ce parti aux « mains propres » comme le seul capable de s'attaquer au népotisme et à la corruption qui ont ruiné l'économie grecque pendant des décennies. Ajouté à cela, il y existe une frange de conservateurs grecs réunis autour de la dynastie Karamanlis qui serait, m'a assuré un ex-député proche d'eux, « prête à aider » Syriza.

Si vous ajoutez à cela le petit parti de centre-gauche Potami  et le nouveau parti formé par l'ancien Premier ministre George Papandreou, il y existe incontestablement une base pour un « gouvernement de centre-gauche » dirigé par Syriza, qui agirait comme un « gouvernement d'unité nationale », appliquerait un programme essentiellement dictée par Berlin, mais avec certains aménagements pour apaiser les membres et les électeurs de Syriza. 

Ceci, en tout cas, constitue la nouvelle stratégie des milieux d'affaires vaguement de centre gauche - et leur souhait de la voir mettre en œuvre a été aiguisé par le fait que Syriza semble poussé vers une collaboration économique avec la Russie, l'Iran, l'Azerbaïdjan et la Chine.

Encourager une scission 

Mais la gauche de Syriza est forte. La Plateforme de gauche, dirigée par le ministre de l'énergie Lafazanis, est fortement anti-euro et se sent légitimée par les événements. Elle se compose essentiellement d'anciens du communisme traditionnel et constitue l'extrême-gauche à l'intérieur de Syriza. Mais elle a été rejointe lors du dernier vote interne au parti par une franche plus moderniste et par les tenants d'une gauche plus « horizontale », jusqu'à atteindre 41% des voix contre l'accord conclu par Varoufakis le 20 février.

Il existe donc une pression croissante, exercée de l'intérieur et de l'extérieur du parti, qui pousse vers une scission au sein Syriza et un départ de la Plateforme de gauche du groupe parlementaire. Tsipras serait alors contraint de s'appuyer sur de le centre-gauche et sur les conservateurs de l'aile Karamanlis au sein du Parlement grec. Toutefois, il y existe une troisième force que les éditorialistes des journaux financiers ont tendance à oublier cependant qu'ils contemplent une Grèce ballottée entre Berlin et Moscou : le peuple grec lui-même.

Jusqu'à présent, il a été très calme. Les « mouvements sociaux » - les syndicats, les groupes anti-fascistes, les banques alimentaires, les assemblées locales et autres - étaient, ainsi qu'un vieux militant me l'a expliqué, « épuisés » au moment où Syriza est arrivée au pouvoir. Ensuite, ils ont été comme fascinés par l'apparition soudaine d'une nouvelle pratique de la politique au sein du Parlement : la mise au jour de plus de 100 cas de corruption, la mise en place d'un comité chargé d'apprécier la légalité du plan de sauvetage de 2011, la disparition soudaine des gaz lacrymogènes de la panoplie de la police anti-émeutes, la libération progressive de migrants qui étaient retenus dans des camps de l'armée.

Frustration croissante

Les personnes auxquelles j'ai parlé ce mois-ci évoquent une frustration croissante des militants et sympathisants de Syriza face au le drame feutré qui se joue à Bruxelles. Pendant ce temps-là, dans les différents ministères, les dirigeants de Syriza ont encore du mal à asseoir leur autorité et même obtenir des informations précises. 

Dans ces moments historiques, le choses se cristallisent parfois sur des individus. Varoufakis – orienté US, formés à l'ouest et même pas membre de Syriza - sera, comme son bras-droit me l'a dit en février, le « dernier à quitter l'euro ». Si arrive le moment où il doit passer de la conciliation à la simple survie, vous pouvez être sûrs que tous les moyens auront été épuisés. Cependant, ainsi qu'il me l'a dit juste avant les élections, il considère qu'un euro non réformé ne peut que s'effondrer dans les deux ans.

Publiquement, vis-à-vis de la zone euro, Varoufakis a adopté le ton non seulement de la conciliation, mais aussi de la reconstruction. En privé toutefois, ses conseillers - ce sont pourtant quelques-unes des personnes les plus centristes dans l'entourage de Syriza – se disent choqués par le niveau d'hostilité auquel ils se sont trouvés confrontés au sein de la zone euro. 

Cette aile de Syriza, qui est essentiellement social-démocrate, était pourtant très fortement attachée à l'euro. Du coup, leur foi dans l'euro est ébranlée. Et le danger, pour la zone euro est évidemment qu'une telle évolution des mentalités puisse gagner le peuple entier si la preuve est administrée qu'on ne peut rien faire à l'intérieur de l'euro. 

Poussé au bord du précipice - soit par l'échec d'un placement de dette à court terme soit par une simple pénurie recettes - Varoufakis n'aura aucun mal à justifier la mise en place d'un contrôle des capitaux, d'une fiscalité d'urgence sur les grandes entreprises, et l'inauguration d'une double monnaie.

Une économie dans la tourmente

À ce stade, il ne tient qu'à la zone euro de réagir. Mais si elle fait monter les enchères, il reste des armes puissantes dans l'arsenal de la Grèce : les 80 milliards qu'elle doit la zone euro via le système Target 2 qui, comme le souligne Ambrose Evans-Pritchard, ne sont pas protégés. Ensuite, les sommes qu'elle doit la BCE.

La Grèce tenterait, au début, de faire défaut sur sa dette sans avoir à quitter la zone euro. Mais le défaut plongerait l'Europe dans le chaos, politiquement et économiquement. La zone euro, déjà semi-stagnante, ferait face à une période de 12 à 18 mois  d'arrêt complet de son économie jusqu'à ce que son système bancaire ait absorbé le défaut grec. 

Ainsi, au cours des deux prochaines semaines il y a un risque accru de « Grexident » - de défaut partiel causé non par calcul de la part de Syriza, mais par une mauvaise estimation, par la BCE du débit du filet d'oxygène financière indispensable aux banques grecques pour survivre, ou par une semaine de recettes trop faibles. 

Les Grecs, ce week-end, ont afflué vers leurs églises pour célébrer la Pâques orthodoxe. Alexis Tsipras, dont la côte de popularité est toujours de 71 %, a saisi l'occasion pour parler de renaissance et de renouveau. Certains, en réponse à l'exclamation traditionnelle « le Christ est ressuscité », ont alors plaisanté : « Envoyez-le à Bruxelles pour négocier ! ». 

Après la pause pour les fêtes de Pâques, pourtant, les négociations s'approchent d'un moment critique. Si la Grèce est contrainte à un défaut accidentel, le dommage causé au projet de l'euro et à l'image de l'UE sera profond. Surprise à contribuer à la faillite des banques qu'elle est censée superviser, suspecte de travailler à briser une union monétaire supposée être sa raison d'être, la BCE verrait sa réputation ternie pour une décennie.



jeudi 2 avril 2015

« Sortons de la BCE sans sortir de l'euro ! » - entretien avec Guillaume Sarlat





Guillaume Sarlat est inspecteur des Finances et conseil de grandes entreprises, européennes et des pays émergents. Il publie aujourd'hui-même En finir avec le libéralisme à la Française (Albin Michel). Il a accepté de dévoiler quelques-unes de ses propositions sur L'arène nue. Une occasion de reparler de la Grèce et de certaines propositions qui ont été faites par ce pays à ses partenaires européens sur la question de la dette. Des propositions que Guillaume Sarlat soutient.

***

On entend que la Grèce est désormais gouvernée par la « gauche radicale ». Pourtant, les propositions du pays n'ont rien de subversif. Par exemple, quant à la dette, il ne propose pas d'annulation pure et simple, de défaut partiel. En revanche, le ministre des finances Yanis Varoufakis évoque l'idée assez neuve de convertir une partie de cette dette en « dette perpétuelle ». Une idée que vous-même défendez dans votre livre. En quoi cela consiste-t-il ?

Une précision d’abord. Lorsque je défends dans mon livre la mise en place d’une dette publique perpétuelle, c’est dans le cas de la France. L’explosion en France de la dette publique ces trente dernières années est hélas venue principalement des dépenses courantes (administrations, services publics, dépenses sociales). Pour limiter les dégâts sociaux du libéralisme économique, l’État s’est en effet positionné en SAMU social, prenant en charge les laissés-pour-compte, toujours plus nombreux, du libéralisme. Dans ce contexte, une dette publique perpétuelle, dédiée aux investissements de long terme, permettrait de redonner des marges de manœuvre pour les dépenses d’avenir.

La situation de la Grèce est donc différente. Là, on ne cherche pas à proprement parler des solutions de long terme...

Non, au contraire : il s’agit de trouver dans l'urgence une solution pour les remboursements de dette très importants auxquels le gouvernement grec doit faire face à court terme. La dette publique perpétuelle peut apparaître ici comme une solution élégante pour diminuer la charge pour le gouvernement grec, sans formellement faire défaut ni annuler une partie de la dette. Il faudra toutefois s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une fuite en avant et que cette dette perpétuelle viendra bien financer, au moins dans un second temps, essentiellement des investissements de long terme. En outre, une conversion en dette perpétuelle n’évitera pas que les créanciers constatent une perte sur la dette qu’ils détiennent.

Ceci étant précisé, en pratique, une dette perpétuelle est une dette dont le débiteur paye les intérêts, comme pour toute dette, mais dont il ne rembourse a priori jamais le capital. Alors qu’une dette à échéance fixe, par exemple à sept ans ou à dix ans, implique que le débiteur ait remboursé le capital emprunté à l’issue de cette période.

Beaucoup de grandes entreprises européennes, notamment dans le secteur de l’énergie et des services financiers, ont émis de la dette perpétuelle ou quasi perpétuelle (100 ans), au cours des dernières années.

L’État français a également émis à de nombreuses reprises des dettes perpétuelles dans son histoire. C’est ce que l’on appelait autrefois la « rente », qui permettait aux épargnants créanciers de l’État de financer leur retraite, et pouvait ensuite être transmise aux enfants. C’est en fait l’ancêtre de l’assurance-vie !

La première dette publique émise par l’État français, en l’espèce par François Ier en 1535, était une dette perpétuelle. Au XIXe siècle, l’essentiel de la dette publique était perpétuelle, et il y a eu des émissions de ce type de dette jusqu’à l’immédiat après-guerre. Toutes ont été rachetées par l’État, soit parce qu’il s’est désendetté, soit parce qu’il a voulu les refinancer à des taux plus faibles.

Au Royaume-Uni en revanche, il reste aujourd’hui plus de 2 milliards de livres de dette perpétuelle émise pour financer l’effort de guerre durant la Première Guerre Mondiale, et qui continuent à payer des intérêts à leurs porteurs. Le gouvernement britannique en a d’ailleurs repayé une partie en novembre 2014.

Mais.... quelle est la différence avec la situation actuelle où les États réempruntent sans cesse pour rembourser leurs titres de dette arrivés à échéance ? Les dettes publiques, finalement, ne sont-elles pas déjà perpétuelles ?

Effectivement, aujourd’hui, en pratique, les obligations souveraines sont déjà des dettes perpétuelles, au sens où les États, et notamment la France, réempruntent pour rembourser le capital à échéance.

Mais juridiquement, la dette publique n’est pas de la dette perpétuelle. Les États doivent donc revenir très régulièrement devant les marchés pour refinancer leur dette, sans garantie certaine qu’ils vont trouver un refinancement. Ceci les fragilise et les rend très sensibles à l’évolution des taux d’intérêt et de la liquidité.

Guillaume Sarlat
Par ailleurs, les investisseurs qui ont des engagements à très long terme, comme les assureurs vie ou les fonds de pension, recherchent des placements qui soient juridiquement de très long terme pour y investir leurs primes. Ils seront donc intéressés par une dette perpétuelle, beaucoup plus que par une dette à court terme, même si celle-ci est renouvelée régulièrement.

Une remarque en passant : en remboursant leurs dettes par de nouvelles dettes, les États brouillent les messages adressés aux acteurs économiques.

Sur la maturité de leur dette : dans le cas de l’État français, cette dette est-elle en moyenne à 7 ans, comme le prétend l’Agence France Trésor, sur la base du droit, ou est-elle de fait perpétuelle, comme vous le faites justement remarquer ? 

Les États, par ce comportement, perturbent également la courbe des taux. Les taux des obligations d’État, aux différentes maturités, constituent la « courbe des taux sans risques », qui sert ensuite de référence pour toute l’analyse financière et notamment pour les calculs de coût du capital et de rentabilité du secteur privé. Mais si toute la dette de l’État est en fait une dette perpétuelle, que faut-il penser ? C’est donc l’ensemble des décisions d’investissement de l’économie qui sont perturbées par cette gestion de sa dette par l’État.

Pourquoi les titres de dette publique ne peuvent-ils plus, aujourd'hui, être acquis par des particuliers ? Pourquoi s'en remet-on totalement aux marchés financiers, les laissant ainsi totalement libres de fixer des taux d'intérêt prohibitifs et, in fine, de dicter pour ainsi dire la politique économique des États ?

A ma connaissance, en France tout au moins, les titres de dette publique peuvent être acquis directement par des particuliers, comme toute valeur mobilière. Par ailleurs, les Français détiennent beaucoup de dette publique indirectement, au travers de leur assurance-vie.

Ceci étant dit, il est clair qu’une dette perpétuelle cessible serait beaucoup plus intéressante pour les particuliers. Ce serait un bon moyen de renouveler l’éternel débat sur la retraite par capitalisation ou par répartition… Mais ce ne serait pas très bon pour les banques et les assureurs, qui trouveraient plus difficilement de raison de faire payer des commissions !

Et comme vous le soulignez, cela rendrait les États beaucoup moins sensibles aux taux d’intérêt de court terme. Cette sensibilité n’est pas absurde pour ce qui est du financement des dépenses publiques de court terme ; en revanche, elle est très contre-productive pour les investissements de long terme, qui ont besoin de visibilité sur leurs moyens de financement.

Une dette perpétuelle laisserait-elle malgré tout à la Grèce quelque possibilité de se désendetter si elle renoue avec la croissance ? Comment se débarrasse-t-on d'une dette perpétuelle ?

Bien sûr, la Grèce le pourrait. Dans une dette perpétuelle, le débiteur dispose en général d’une option de rachat, c’est-à-dire qu’il peut rembourser sa dette au moment où il le souhaite, ce qui peut être très utile lorsque les taux d’intérêt baissent.

Par ailleurs, ce que propose le gouvernement grec, et ce que je propose également pour la France dans mon livre, c’est d’indexer le paiement des intérêts sur la croissance économique du pays.

Cela rend d’abord la charge de la dette beaucoup plus soutenable pour le débiteur. Par ailleurs, cela change la relation entre l’État et l’investisseur : une dette dont les intérêts sont indexés sur la croissance peut en effet être assimilée à une action et à des dividendes. L’investisseur se retrouve en quelque sorte actionnaire de l’État, et donc intéressé à se réussite.

A votre avis, pourquoi « les Européens », comme on dit pour désigner les créanciers, ne s'emparent-ils pas de ces proposions innovantes et raisonnables faites par par Athènes ?

Dette perpétuelle, indexation des intérêts sur la croissance : en effet, il s’agit de propositions raisonnables, innovantes certes mais qui ont déjà été mises en œuvre par le passé pour des États ainsi que pour des entreprises, et qui sont aujourd’hui soutenues par des économistes de renommée internationale.

Le problème aujourd’hui, c’est que le débat n’est pas structuré de cette manière, malgré les efforts du gouvernement grec. Les Européens et les institutions internationales sont dans une négociation « aide financière contre réformes », dans laquelle seules comptent le contenu des réformes, et le montant des aides.

Dans ce cadre, pas de place pour des mesures qui sont vues comme des outils techniques, des modalités pratiques, comme la dette perpétuelle et l’indexation des intérêts sur la croissance économique. Au surplus ces mesures doivent faire face à un préjugé négatif car elles sont souvent interprétées comme des échappatoires pour le gouvernement grec, pour alléger le fardeau.

Pourtant, à mon sens, il ne s’agit pas de modalités techniques mais de mesures extrêmement structurantes qui peuvent changer le rapport de l’État grec à ses créanciers et à ses contribuables, et le conduire à modifier en profondeur la façon dont il gère son budget, tout en lui donnant du temps pour agir.

Cela peut-il finir par conduire la Grèce à quitter la zone euro ? Dans votre livre, vous jugez que le démontage de l'euro n'est pas souhaitable, quand bien même celui-ci n'a pas concouru à faire converger les économies de la zone. Des pays aux structures économiques fondamentalement différentes peuvent-ils raisonnablement s’accommoder d'une même devise ? Vous proposez pour votre part de conserver la monnaie unique tout en renationalisant une partie de la politique monétaire, et de « sortir de la BCE » sans sortir de l'euro. En quoi cela consisterait-il ?

Je ne pense pas que la Grèce sorte de l’euro. Personne n’y a intérêt. Pour la Grèce, quitter l’euro en pleine crise de confiance avec ses créanciers, et au moment où son gouvernement tente de mettre en place une autre politique, serait catastrophique : ses taux d’intérêt augmenteraient très fortement, elle aurait de grande difficulté à stabiliser son taux de change, les fuites de capitaux seraient massives. Et pour le reste de la zone euro, ce serait prendre la responsabilité de créer en Grèce une grande instabilité économique et politique, sans doute pour de nombreuses années.

Donc sortir la Grèce de l’euro, ou même seulement la laisser sortir, est une très mauvaise idée. Après, fallait-il intégrer la Grèce à la zone euro ? C’est une autre question, mais qui pour moi est désormais derrière nous.

Je pense que le débat sur l’euro est victime d’une grande confusion : entre monnaie unique et politique monétaire unique.

Avoir une monnaie unique est une chose. Qui produit des avantages certains : taux de change fixes entre les pays favorisant les échanges, meilleur accès aux marchés financiers, taux d’intérêt plus faibles pour les petits pays.

Avoir une politique monétaire commune, c’est autre chose. Qui, elle, n’est pas sans inconvénients : comme vous le faites remarquer, comment avoir une même politique monétaire, c’est-à-dire les mêmes modalités de refinancement bancaire, les mêmes politiques sur le crédit, les même normes prudentielles de contrôle des banques, dans des pays où les structures économiques et les situations conjoncturelles n’ont rien à voir ? Comment la même politique monétaire par exemple aujourd’hui dans deux pays, l’Espagne et l’Allemagne, où l’industrie, la consommation ou encore le marché immobilier sont dans des situations diamétralement opposées ?

C’est pourquoi je propose de rester dans l’euro, mais de sortir de la BCE, c’est-à-dire de renationaliser au maximum les politiques monétaires, notamment la politique de crédit et le contrôle des banques. Le fait d’avoir une monnaie unique n’empêche pas les banques centrales nationales de piloter activement le crédit pour l’orienter plus ou moins vers certains actifs (immobilier, grandes entreprises, PME, particuliers, crédit à la consommation, etc.).

Si elle assumait cette responsabilité, la France éviterait la formulation de nouvelles bulles financières, et retrouverait un levier de politique économique majeur qu’elle a complètement perdu. Malheureusement, c’est l’inverse qui est fait aujourd’hui, avec les pouvoirs accrus qui sont donnés à la BCE et notamment l’Union bancaire, qui est une absurdité.

Renationaliser les politiques monétaires serait un virage politique majeur, qui permettrait de sortir du corner dans lequel nous sommes, entre ceux qui proposent de sortir de l’euro, ce qui n’est pas réaliste, et ceux qui ne veulent rien changer, ce qui n’est pas souhaitable. Et en plus, il n’y aurait sans doute pas besoin de renégocier les Traités européens…!


Pour moi, il n’est pas besoin d’aller aussi loin. C’est la politique monétaire menée par la BCE, uniforme et donc inadaptée à la plupart des États membres, qui ose problème. C’est pourquoi je propose de renationaliser la politique monétaire.

Pourquoi en plus revenir à des monnaies nationales pour les échanges internes, et ainsi réintroduire du risque de change entre les pays, et sans doute également de la spéculation de la part de tous ceux qui voudront tester la volonté de chaque banque centrale de maintenir la parité fixée, comme cela a été le cas à plusieurs reprises dans les années 1990 ? C’est inutile.

En pilotant le crédit et les banques sur une base nationale, de fait vous pilotez la compétitivité de vos entreprises et le pouvoir d’achat de vos consommateurs vis-à-vis de l’extérieur, de la même manière que si vous avez une monnaie nationale que vous pouvez dévaluer ou réévaluer.


Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que la création de l’euro était, au moment où elle a été prise, une décision excellente. Je dis simplement que maintenant que cette décision a été prise, il faut en tirer le meilleur parti, en fonction des avantages, certains, qu’elle procure, en utilisant les souplesses qu’elle permet, souplesses nombreuses mais que nous n’utilisons par aujourd’hui, et en tenant compte également du coût prohibitif de revenir à la situation antérieure.