C’est donc hier que se tient le petit conclave UMPiste sur la laïcité. Il devait ressembler à quelque chose d’intermédiaire entre le congrès du parti radical et la cabine téléphonique, si l’on en juge par le nombre de responsables de droite à s’être fait porter pâles. Quoiqu’il en soit, la chose semblait, la veille encore, assez mal engagée. Les « 26 propositions » de Jean-François Copé avaient en effet été en partie éclipsées par la dernière sortie de Claude Guéant, pour lequel l’accroissement du nombre de fidèles musulmans « pose problème ».
Il faut dire que le parti majoritaire a le don de générer, au sujet de la laïcité, d’inextricables confusions. Le grand écart est en effet devenu permanent entre les prêches en faveur d’une « laïcité toilettée », et les déclarations abruptes d’obédience « laïcardes ». Le président de la République se fait volontiers héraut de la première, tandis que Guéant frise le record de France de nigauderie dans ses tentatives de promouvoir la seconde, chacun des deux ayant en commun d’être un multirécidiviste.
A Saint-Jean de Latran, Nicolas Sarkozy avait estimé que « longtemps la République laïque (avait) sous-estimé l’importance de l’aspiration spirituelle », tout en se réjouissant qu’elle n’ait jamais eu « le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes ». Lesdites racines se portaient toujours bien lors de la visite présidentielle au Puy-en-Velay, même si le chef de l’Etat n’a pas manqué d’y saluer également « les racines juives ». Le pays enchanté de la « laïcité toilettée » jouxtant le royaume de la « diversité », il convient que tout le monde en ait pour ses « racines ».
Il faut dire que Sarkozy est un défenseur de la première heure de la laïcité « ouverte », également appelée laïcité « positive », ce qui permet de sous-entendre à peu de frais que la laïcité tout court est à la fois fermée et négative. On jette ainsi la suspicion sur un concept dont on laisse accroire qu’il serait l’ennemi numéro 1 des religions. Comme le dit la philosophe Catherine Kintztler, on « adjective » la laïcité pour préparer les esprits à son futur amendement.
A cet égard, l’intervention récente des six principales religions de France dans le débat public, même s’il s’agissait de demander l’annulation du débat Copé, n’a pu déplaire totalement au président Sarkozy. La belle unanimité affichée par les représentants des cultes, permet en effet de se féliciter du caractère « responsable » de ces derniers, qui plaident d’une seule voix en faveur de la laïcité. De plus, il accrédite l’idée de l'œcuménisme comme substitut raisonnable à l’idéal laïc. Enfin, dans leur tribune du 29 mars, les patrons des différentes religions affirmaient, au sujet de la loi de 1905, que « les modalités d’application de ses principes restent toujours perfectibles », tout en se réclamant du rapport MACHELON de 2006, qui préconisait le financement public de lieux de cultes. Aubaine, pour une droite adepte de la laïcité « toilettée », qui flatterait volontiers un électorat composé de fidèles en en tous genres, en leur concédant le financement public de lieux de prières. Aubaine également pour une droite libérale qui semble considérer la religion comme le dernier des « services publics » qui vaille la peine d’être financé, comme si elle avait vocation à prendre le relais d’un Etat providence moribond. S’achemine-t-on, comme le redoute Henri Pena-Ruiz, vers « un encouragement des confessions religieuses à prendre le relais de l’Etat social défaillant, et ce sur un mode caritatif » ?
Quant à l’idée du financement public des lieux de culte, elle ne doit pas déplaire non plus à ceux qui, à l’autre bout de la majorité présidentielle, ont été désignés pour séduire non plus les différents pasteurs et leurs ouailles, mais les électeurs de plus en plus nombreux d’un Front national désormais champion de France du combat laïc. Sans doute Claude Guéant ne renierait-il pas le financement public de quelques mosquées, que l’on présente de plus en plus fréquemment comme un antidote aux financements venus de l’étranger d’une part, et comme un moyen de contrôle des musulmans d’autre part. Comme s’il était acceptable que l’Etat achète un droit de regard sur l’exercice de cultes dont la loi de 1905 vise justement à garantir la parfaite liberté !
Mais Guéant s’est surtout illustré ces derniers temps en tant que porte-voix « laïcard » du parti présidentiel, via cette stupéfiante déclaration : « les agents des services publics ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les usagers du services publics ne le doivent pas non plus ». Devra-t-on désormais, ôter sa médaille de baptême dès lors qu’il s’agira d’aller acheter un timbre à la Poste ? Ou cette saillie, comme c’est le plus probable, ne s’adresse-t-elle qu’aux seuls musulmans, et notamment aux porteuses de voile ?
Si tel est le cas, il convient de rappeler d’urgence au Ministre que le régime de laïcité n’a jamais eu pour objet d’interdire aux croyants l’expression de leur foi dans « l’espace public ». Contrairement à une idée trop communément admise, l’idéal laïc ne repose pas sur séparation public / privé. Catherine Kintzler l’a bien compris, qui distingue quant à elle deux types d’espaces : d’une part, « l’espace de constitution des droits et libertés, c'est-à-dire le domaine de l’autorité publique », où la neutralité est de rigueur, et d’autre part « celui de l’exercice de ces libertés », autrement dit « l’espace civil », régi quant à lui par le principe de tolérance. Dans la rue, dans les commerces, mais également au bureau de Poste ou dans le métro dont on est usager, il est permis d’exprimer son appartenance et ses croyances dès lors qu’on ne trouble pas l’ordre public. Cette façon toute nouvelle de vouloir purger « l’espace public » de tout signe d’appartenance religieuse ne dénote en rien d’un attachement à la laïcité, mais au contraire d’une dérive « laïcarde », essentiellement dirigée contre l’Islam, et dont l’objectif à peine voilé est de courtiser les électeurs de Marine Le Pen. Pour imaginer où cela peut conduire, il suffit de se pencher sur la perte progressive du sens commun observable chez cette « extrême droite saucisson-pinard » constituée de Riposte laïque et du Bloc identitaire, qui entend désormais « interdire la religion musulmane » et favoriser le retour progressif des musulmans en terre d’Islam.
Laïcité « toilettée » d’une part, visant à saper progressivement les principes posés par la loi de séparation des églises et de l’Etat, dérive « laïcarde » d’autre part, prétendant bannir toute expression publique de l’appartenance religieuse, tels sont les récifs entre lesquels navigue (à vue) le parti majoritaire, dans une confusion spectaculaire. Entre les deux, une seule et unique constante : l’exaltation de plus en plus fréquente des « racines chrétiennes » de la France.
François Baroin, rapporteur peu enthousiaste du débat UMPiste sur la laïcité, affirmait hier matin espérer clore au plus vite ce chapitre pour investir à nouveau les problématiques « sociales ». Voici une espérance aux allures fort raisonnables.
J'ai lu votre article avec intérêt. Comme C.Kintzler et C.Ambourou le disent sur le site Mézétulle, la laïcité est NEUTRE. Elle n'est ni "positive", ni "ouverte", ni "plurielle", ni "raisonnée" (les Verts) ...
RépondreSupprimerSans laïcité, pas de liberté !
Une remarque : on peut admettre dans l'espace publique le voile, mais non la burqha, qui est une arme de combat.