« Agents de médiation », « aide éducateurs en temps péri-scolaire », « accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution » ou « promoteurs des ressources touristiques en direction des pays émergents », voici quelques-uns des nouveaux métiers décrits avec un mélange de malice et d’effroi par le visionnaire Philippe Muray.
A la « Job Pride » qu’il avait inventée, l’écrivain omettait toutefois de convier les représentants de deux professions tout juste importées de la Quatrième dimension : les « prescripteurs de comportement adapté aux nouvelles urbanités » et les « agents de facilitation d’une sociabilité pacifiée ». Car sous ces appellations absconses, se nichent des réalités tout à fait délicieuses : les Pierrots de la nuit et le Contrôleur de bonheur.
Avec ces mîmes, danseurs et acteurs quadrillant la capitale, le jour pour l’un, la nuit pour les autres, les journées et soirées des parisiens ne seront plus comme avant. Plus question pour l’habitant d’intra muros de faire la gueule à l’aurore et de pouffer au crépuscule: c’est l’inverse qu’il convient de faire. Et gare aux déviants, aux rétifs et aux récalcitrant : les « médiateurs de civisme émotionnel » peuvent vous tomber dessus à n’importe quel coin de rue.
En vertu du principe bien connu selon lequel « si ça existe ailleurs, c’est que c’est bien », les Pierrots de la nuit sont inspirés d’un dispositif déjà en place à Barcelone et à Vienne. Ils sont une réalisation de la Mairie de Paris, aidée dans cette œuvre par l’A.M.U.O.N (Association de Médiation pour un Usage Optimal de la Nuit ) dont l’intitulé prouve à lui tout seul que souvent, la réalité dépasse la fiction, et que Muray était encore très en deçà de la vérité.
Après les "Nuits blanches" et "Paris Plages", ce dispositif d’anti-conflictalité et de résolution des tensions urbaines par l’intermédiation pacifique des arts de la rue [1], repose sur l’idée originale de transformer une poignée d’intermittents du spectacle désargentés et faméliques en flics désarmées et ridicules, regroupés au sein de « brigades d’intervention artistiques nocturnes ».
La mission de Pierrots ? Investir les « quartiers à forte activité festive » déguisés en Jean-qui-pleure pour « appaiser » les fêtards avinés dont les hululements nocturnes incommodent le voisinage. Bref, faire comprendre aux gueulards bourrés qui brament le soir dans la rue combien il serait souhaitable qu’ils respectassent les règles élémentaires du vivre-ensemble en fermant leur claque-merde. Le tout avec la poésie qui sied à une volonté bien comprise de prouver que « le silence n’est pas une répression mais une forme de partage ».
Ainsi, si vous désirez être « sensibilisés aux nuisances sonores » vous croiserez les Pierrots du Marais à la Contrescarpe et d’Oberkampf à la Butte aux Cailles. Un peu moins souvent sur l’avenue de Clichy : là, la bonne vieille solution du triple-vitrage reste encore le meilleur remède.
Mais il n’y a pas que festoyer nuitamment qui soit devenu inconvenant. Omettre de se réjouir le jour l’est aussi, désormais. Jusqu’à présent, la morosité d’autrui n’indisposait personne, mais ça n’a pas empêché un créatif-culturel de proposer la solution à cette absence de problème. Selon la célèbre loi Say, « l’offre créée sa propre demande ». Cette loi, le « Contrôleur de bonheur » l’a bien comprise.
Ce dernier n’est pas une création de Bertrand Delanoë. Il est un self-made man qui a choisi d’agir de sa propre initiative. Regardant l’homo-parisianus d’un œil neuf alors qu’il rentrait d’une villégiature à New-York, Emmanuel Arno a décidé brutalement que non, ça ne pouvait plus durer ! Rendez-vous compte : les gens, dans le métro, n’osent pas se parler. Il y en a même qui font des choses aussi sottes qu’écouter de la musique, voire lire un ouvrage. Pourtant, comme chacun sait, « un bonjour, c’est gratuit » et « un sourire illumine votre journée ».
L’artiste arpente donc le métro sans relâche en braillant dans son « gueulophone » : « contrôleur du bonheur, présentez-moi vos sourires ! », ce qui doit faire quelque peu sursauter les malheureux passagers sommés de s’interrompre au beau milieu de l’agonie de Madame Bovary.
L’objectif d’Arno : générer du lien social, susciter de l’interaction, bref, « provider » du rapport humain. Saviez-vous que « le lieu de rencontre par excellence, plus que Meetic [c’est] le métro » [2] ? Et l’homme de le prouver en « gueulophonant » à l’oreille d’un monsieur qu’il est, sans le savoir, amoureux de sa voisine, et qu’il ferait bien de quitter prestement la rame pour aller lui acheter des fleurs.
Evidemment, les cibles privilégiées de l’humoriste sont les insoumis et autres indociles. Solitaires ténébreux, amoureux de la quiétude, amateurs de doux silence, vous n’avez qu’à vous adresser aux Pierrots de la nuit. Emmanuel Arno n’est là pour vous faire taire mais seulement pour vous faire rire. Et si vous ne riez pas, ne pouffez pas sur commande, ne roulez pas sur injonction un patin gluant à votre camarade de strapontin, c’est que vous êtes un « bougon ». Ce qui ne vaut pas encore une contravention, mais ne vous réjouissez pas trop vite : ça pourrait venir.
Ah ! que sont réjouissantes toutes ces manifestations de l’inextinguible créativité de l’homme et de son inaltérable capacité à pourrir la vie de son prochain !
Riez ! Pleurez ! Parlez ! Fermez-la ! Assis, debout, couché, au pied !
Pierrots de la nuit, Contrôleur de sourire et autres saltimbanques spécialisés dans le maintien de l’ordre, nous ne rêvons que de vous dire, comme Serge Karamazov dans La Cité de la Peur : « mais barrez-vous, cons de mîmes ! »
Billet tout à fait délicieux, pour reprendre un des adjectifs de l'article, et à la chute parfaite.
RépondreSupprimerJuste une mînime interrogation : pourquoi un accent circonflexe à mime ?
Les mimes sont effrayants , les petits enfants ont bien raison de pleurer à leur apparition.
RépondreSupprimerCette horreur va certainement arriver à Toulouse, ma ville, où nous avons déjà un Office de la tranquillité et régulièrement des articles dans la revue municipale sur le concept de soirées festives et citoyennes.
George Orwell était à Barcelone pendant les journées de mai 1937, il a vu la «gauche» PS-PC noyer dans le sang le peuple ouvrier. Il a ensuite entendu à Londres la cléricature communiste traiter de fasciste ce peuple courageux et révolutionnaire. Le «Novlangue» de 1984 doit beaucoup à cette expérience.
RépondreSupprimerC’est vrai qu’il peut aller se rhabiller le vieux George, il n’avait pas prévu que l’hégémonie du goupillon sans dieu qu’est le gauchisme culturel offrirait en guise de bedeaux à un bas clergé de «médiateurs» ces mimes aphones sonneurs de cloches.
Bravo pour ce texte somme toute anticlérical.
C'est vrai, beau texte, sur les choses étonnantes qui se passent à Paris. Mais l'accent circonflexe sur "mime" n'est pas la seulle fote, et c'est bien domaje.
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