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dimanche 5 mai 2013

Marche pour la « VI° République » : Mélenchon a-t-il brouillé son message ?



Photo prise par le blogueur Politeeks ( politeeks.info)


Difficile de savoir combien ils étaient vraiment, entre les 180 000 manifestants annoncés par les organisateurs et les 30 000 décomptés par la préfecture de Police (qui, initialement, ne devait pas s'exprimer). Ils étaient en tout cas nombreux à la « marche citoyenne » initiée par Jean-Luc Mélenchon et à exiger « d’en finir avec ces institutions issues d’une époque révolue ». C'est donc un succès pour le leader du Front de gauche.

Ce qui peut surprendre, en revanche, c'est le mot d'ordre. Il était certes question, en ce 5 mai, de dénoncer la crise et de combattre  la finance. Mais il s'agissait plus encore  de congédier « ces institutions soi-disant stables qui permettent des circulations intolérables entre la finance et la haute administration », puis de mettre en place une  « sixième République ».

On peut certes interpréter cela comme une volonté de dénoncer de manière large et exhaustive la politique menée par François Hollande. Pourtant, on aurait mieux compris une manifestation dirigée contre la seule austérité. Un mot d’ordre à caractère exclusivement économique et social aurait davantage collé au contexte. Alors même que de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui, jusqu’au sein de la commission européenne, pour mettre en doute la politique de rigueur menée jusque-là, on aurait compris que le Parti de gauche souhaite enfoncer le clou.

De plus, nombre de caciques du PS ont fait savoir, au sortir de la séquence sociétale du « mariage pour tous », qu’on entrait à présent dans une « deuxième phase du quinquennat », centrée sur l’emploi. Car il est évident que la priorité du moment est de redresser la situation économique. Ce n’est pas faire preuve d’un « économisme » marxisant que de dire cela. Au-delà de cinq millions de chômeurs, il ne faut pas moins d’économie, il en faut davantage.
 
Ce n’est donc pas le moment d’imaginer de nouvelles étapes dilatoires telles qu’un bouleversement institutionnel que pas grand monde, aujourd’hui, ne réclame.  Au contraire, même. Lorsque les Français se déclarent favorables, dans un sondage, à la « valeur d’autorité », ils ne se défient pas de « la construction pyramidale de la Vème République » vilipendée par Mélenchon. A l’inverse, ils la plébiscitent. Et lorsque 87% d’entre eux éprouvent le besoin de se doter d’« un vrai chef », ce n’est pas à un changement de régime qu’ils aspirent, mais au retour du fonctionnement normal de notre « monarchie élective ».
 
Le sentiment que la République dysfonctionne est certes partagé. Mais envisager en priorité des réponses institutionnelles n’est pas forcément la bonne approche. Evidemment, des erreurs ont été faites sur la question des institutions. Mélenchon dénonce avec raison, sur son blog « l’inversion des scrutins et le raccourcissement du temps des mandats (qui ont) produit des effets destructeurs de grande ampleur ». Mais c’est en 2000 que fut réduit le mandat présidentiel de cinq à sept ans, non en 1958. Et c’est à Lionel Jospin que l’on doit l’inversion du calendrier entre présidentielle et législatives, non au général de Gaulle.

Quant aux solutions que Mélenchon souhaite importer d’Amérique latine, on peut s’interroger sur leur efficacité potentielle. Si cette possibilité existait en France, quelles conséquences aurait un « référendum révocatoire », hormis le retour au pouvoir anticipé d’une UMP qui, en plus d’être plus radicalisée que jamais sur la question des valeurs, ne sait jouer d’autre partition économique que l’alignement sur la droite allemande ?

Or c’est bien cela - et non la question du régime - qui donne aujourd’hui le sentiment d’un blocage de la République : l’impression que l’offre politique s’est rétrécie et que l’alternance ne se réduit qu’à une succession du pareil et du même. Que, si le clivage droite/gauche demeure pertinent sur les questions de société, il a cessé de l’être sur celles de l’économie et du social, celles justement qui préoccupent le plus la population. Ou, pour l’exprimer comme René Rémond, que « la plupart des repères qui ont successivement dessiné les figures opposées de la droite et de la gauche et configuré leurs personnalités contraires ont singulièrement perdu de leur pertinence, pour ne pas dire entièrement ».

Davantage qu’une « sixième République, on s’attend donc à ce qu’un programme alternatif de gauche propose une rupture sur l’économie et le social, sur la lutte contre le chômage, mais aussi sur l’Europe. Sans doute Mélenchon en est-il conscient. Et il se prête volontiers à l’exercice, comme le montre sa récente interview par Jean-Jacques Bourdin. S’il y rappelle brièvement son attachement au démantèlement du « pouvoir monarchique », la majeure partie de ses propositions – quelqu’opinion qu’on en ait– vise bien à remplacer une politique de l’offre par une politique économique qui favorise la demande : titularisation des précaires de la fonction publique, interdiction des contrats précaires dans le privé, des licenciements boursiers, réorientation de l’Europe via une opposition à la politique de la CDU allemande. Ainsi, sur RMC, la question des institutions est-elle rapidement évacuée pour faire place à au déroulé d’un programme économique.
 
C’est qu’encore une fois, la « sixième République » ne présente aucun caractère d’urgence. Davantage que la rupture du cadre institutionnel, c’est le rétablissement de son fonctionnement normal qui est souhaitable, avec le retour à une véritable alternance gauche/droite. Dès lors, on est tenté d’acquiescer lorsque Bertrand Renouvin explique sur son blog : « si Jean-Luc Mélenchon avait appelé à manifester contre les oligarques, je me serais mêlé au cortège pour marcher avec des Français qui sont en colère pour de bonnes et simples raisons. L’appel à la « sixième République » m’en écarte. L’objectif est illusoire et la marche protestataire va se réduire à une opération de diversion ».

Une diversion, ou peut-être un mot d’ordre facile, que l’on retient, qui marque les esprits. Un slogan court et percutant que l’on scande aisément dans une manifestation. Presque une « une » de quotidien en soi. Mais qui présente un inconvénient essentiel : il brouille en partie le message.
 
 
Lire et relire sur L'arène nue:
Politique économie : après TINA est-ce que TINS ?  CLICK
Europe : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ?  CLACK
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12 commentaires:

  1. L’ambiguïté du programme du Front de Gauche ne fait que se révéler au grand jour. De plus en plus de monde comprend que ce parti n'a pas d'analyse cohérente, pas de projet réaliste, pas de solution acceptable. Ceci devient évident lorsqu'on observe son louvoiement sur la question économique et monétaire. La dernière tribune sur le sujet jette quiconque s'y penche dans un océan de perplexité. Sous la rubrique "argument de la semaine" et le titre "Résolution du Parti de gauche sur l'euro", le document (http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/resolution-du-parti-de-gauche-sur-l%E2%80%99euro/) nous apprend que les caciques de cette organisation considèrent l'Euro comme un des "acquis" de la construction européenne et que s'ils conspuent abondamment le traité de Lisbonne (2008), la critique du traité de Maastricht (1993) instituant la monnaie unique - ils sont pourtant nombreux à avoir regretté son adoption - n'est plus à l'ordre du jour.
    Ce qui est flagrant c'est que l'on personnalise le débat sur l'austérité en critiquant vertement Hollande ou en s'ingérant dans les affaires allemandes en visant Merkel alors qu'on feint d'ignorer que cette politique de réduction des dépenses publiques, de lutte contre l'inflation par la réduction des salaires, la mise en concurrence des économies et des travailleurs dans la Zone euro est inscrite noir sur blanc dans le traité de Maastricht au nom de la convergence économique et monétaire.
    Mélenchon et le parti de Gauche se sont donc alignés sur la même volonté de "sauver l'euro" et au vu de cette orientation désastreuse sur le plan du projet de redressement économique et républicain on voit difficilement la proposition de "changer de république" présenter une autre crédibilité que celle d'une opération de communication ou de diversion montée de toutes pièces et mal ficelée.
    Mais qui tire les ficelles du Front de Gauche?

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    1. D'accord à 100% avec ce premier commentaire!
      "Brouiller le message" n'est pas un "inconvénient", c'est le but recherché - et obtenu grâce à la candeur des dizaines de milliers d'"idiots utiles".

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  2. Pas très au point l'éco selon Méluche :

    Augmentons les salaires, et cela fera plus de demande, donc plus d'activité, donc plus de rentrées fiscales et plus de ventes pour les entreprises. Seulement voilà, ce raisonnement est parfaitement rationnel en économie fermée. Mais en économie ouverte, augmenter les salaires cela fait plus d'activité... pour les usines chinoises, coréennes, roumaines, mais pas pour les usines françaises, d'autant moins compétitives qu'on a augmenté les salaires. Une politique nationale de relance ne peut marcher que couplé avec des mesures protectionnistes qui empêchent la "fuite" de la relance vers les économies les plus compétitives.

    http://descartes.over-blog.fr/article-le-petit-timonier-n-ecoute-pas-les-quest-117400695.html

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    1. Là dessus, vous avez entièrement d'accord. Je suis très interessée par ce que dit Todd, par exemple, sur la nécessité de mettre en place un protectionnisme. Ou ce qu'a pu dire Montebourg sur la démondialisation.

      En revanche, étant donnée la taille de l'UE et la difficulté qu'on a à s'y mettre d'accord, je vois mal comment on parviendrait à s'accorder sur un protectionnsime européen....Affaire compliquée !

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    2. C'est voulu, justement!

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    3. Etant donné non seulement la taille mais aussi la nature même de l'UE,il n'y aura jamais de protectionnisme européen ; il y a par contre des exhortations a "réformer" , autrement dit a abandonner notre protection sociale et nous aligner sur le moins disant social; la seul choix est entre la soumission ou la lutte et donc la sortie de l'UE . Mélenchon est un leurre

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  3. Tout le monde soupçonne Méluche de briguer le poste de premier ministre, eh bien si on en croit le mot d'ordre, ce n'est peut-être pas le cas.

    Quoi qu'il en soit, si le Front de Gauche veut porter haut le message d'un changement de régime, comment une blogueuse pourrait lui reprocher ? La blogueuse devrait plutôt s'adresser au PS pour critiquer sa politique économique.
    En fait je ne comprends vraiment pas pourquoi des gens reprochent à d'autres les luttes qu'ils mènent, à moins qu'ils les jugent inutiles. La blogueuse juge-t-elle inutile de changer de régime ? Si oui, qu'elle le dise explicitement et qu'elle focalise son attaque sur le problème du changement de régime. Dire que ce n'est pas une priorité ne sert à rien.

    Et puis quel est ce soupçon bizarre d'un soi-disant message brouillé ? Serait-ce de suggérer que les Francs-maçons se cachent derrière le Front de Gauche ? Mais dans ce cas, il faut le dire, et le prouver.

    Dernière chose : je trouve cela étrange de dire que le Front de Gauche se trompe parce que les français veulent d'un homme fort et d'une République autoritaire. Autant dire alors qu'il semble préférable pour le "peuple" français qu'un parti fasciste arrive enfin au pouvoir pour remettre tout ça en ORDRE.

    Dernière précision : je ne défends pas ici le Front de Gauche, j'attaque la blogueuse dont la critique ne me semble pas pertinente. Je trouve que tout parti est un problème pour la politique, il devient toujours totalitaire puisqu'il faut qu'il s'exprime d'une seule voie et qu'il formule des mots d'ordre. Je déteste les mots d'ordre, d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient.

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    1. La blogueuse n'en a rien à cirer, des Francs-maçons.

      La blogueuse a deux parents : un père qui a été Franc-maçon dans sa jeunesse, et une mère qui a été Franc-maçonne dans sa jeunesse.

      La blogueuse a passé l'âge de croire aux complots maçonniques. La blogueuse vous salue bien.

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  4. Je suis complètement d'accord avec votre billet sur le choix de Mélenchon. D'autant que, comme le proposent divers économistes et philosophes "éclairés", quelques mesures significatives comme, par exemple le non-cumul des mandats ou le renouvellement d'un mandat, permettraient de donner un sérieux coup de balai.

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  5. Je n'ai rien compris... quand je n'ai pas mes lunettes, je vois tout brouillé... sniff !

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  6. Tout à fait d'accord Coralie. A lire en complément, notamment sur la question de l'assemblée constituante, mon papier "Hold up sur la VIème République : ne Mélenchon pas tout !"

    http://blogs.mediapart.fr/blog/david-nakache/120513/hold-sur-la-vieme-republique-ne-melenchon-pas-tout

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  7. Jean-Luc Mélenchon tente lui aussi un grand écart: passer pour un opposant au gouvernement tout en maintenant des alliances locales avec le parti socialiste. Il est dommage qu'il n'aille pas au bout de sa logique. A gauche, comme à droite du reste, la véritable ligne de fracture (en termes économiques et sociaux) est la soumission, ou non, au traité de Maastricht et ses conséquences.
    Créer une 6ème république ne règlera pas cette question.

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