« Non
à l’Europe allemande ! ». Cette courte phrase fit un
temps office de formule magique Outre-Rhin, de mantra que
psalmodièrent tour à tour, comme pour éloigner le mauvais œil,
Wolfgang Schäuble, l’ancien président de la République fédérale Richard von Weizsäcker ou le sociologue Ulrich Beck dans un ouvrage court et vigoureux.
Pour
éloigner le mauvais œil ou… pour tenter de nier cette évidence :
l’Union européenne est en train de se muer quasi-empire allemand.
Un empire soft, évidemment. Ou un « empire nonimpérial » selon la formule un jour employée par l’ancienPrésident de la commission européenne José Manuel Barroso. Car les arts marchands ont remplacé l’art martial et le rang
hiérarchique ne se conquiert plus par les armes. Il est directement
indexé sur les succès – ou les infortunes – économiques.
Or les
succès sont germaniques. En dépit des faiblesses qu’on commence à
lui reconnaître et qui ne peuvent manquer d’inquiéter (1)
(extrême dépendance d’une économie exportatrice aux variations
de la demande mondiale, insuffisance des investissements publics qui
augurent mal de l’avenir), l’économie allemande, avec l’aide
d’un euro taillé tout spécialement selon ses besoins, est devenue
si supérieure qu’elle exerce sur ses voisins une authentique
fascination. Dès lors, le modèle austéritaire allemand s’impose
partout. Et l’on ne jure, pour tenter de faire repartir l’économie
européenne, que sur une sorte de « malthusianisme comptable »
qui consiste à ambitionner la baisse continue d’à peu près tout
(le taux d’endettement, les déficits, les salaires…). Or, si la
recette est adaptée à une nation de vieux épargnants soucieuse de
consolider ses excédents de maintenir une inflation faible, elle
s’avère mortifère pour la plupart des « partenaires »
européens de l’Allemagne.
Malgré
tout, lesdits « partenaires » persistent dans une rigueur
mimétique qui en dit long sur l’ascendant psychologique exercé
par Berlin et sur la servilité du reste de l’Europe. Par ailleurs,
non contents de singer benoitement le grand voisin, nombre de pays
européens consentent également à payer l’impôt habituellement
prélevé par les empires sur leurs populations pacifiées. Ils le
payent en argent : il n’y a qu’à voir les excédents
commerciaux engrangés par Berlin sur ses voisins pour s’en
convaincre. Et ils le payent en hommes. Car l’Allemagne, qui
s’était déjà spécialisé dans l’usage à son profit de la
main d’œuvre à bas coûts des pays de son hinterland
d’Europe de l’Est, importe également, désormais, des
travailleurs d’Europe du Sud fuyant la crise, qui aident à pallier
le déficit démographique germanique.
Il faut
dire qu’en bâtissant cet entrelacs d’institutions techniques que
constitue l’Union européenne, on a offert à l’Allemagne un
redoutable accélérateur de puissance. Au gré des différentes
étapes que constituèrent la réunification, la création de la
monnaie unique puis la crise de l’eurozone, la République fédérale
a lentement étendu son pouvoir sur l’Europe institutionnelle, au
cours d’un processus où l’on peine à faire la part des choix
volontaires et du simple enchaînement déterministe des causes et
des effets.
Quoiqu’il
en soit, au terme de ce que Tony Corn, un rien provocateur, appelle
un « Anschluss aimable et doux » les intérêts de l’Union européenne et ceux de l’Allemagne
se trouvent désormais superposés. Ce pays domine d’une tête le
Parlement européen dont le Président, son directeur de cabinet et
le secrétaire général sont allemands. Tout comme le président de
la Banque européenne d’investissement (BEI) et le directeur
général du Mécanisme européen sont allemands (MES). Ailleurs, ce
sont des représentants de la zone d’influence immédiate de
l’Allemagne qui ont été imposés par Angela Merkel : le
polonais germanophone Donald Tusk à la présidence du Conseil et le
luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission
européenne. La France, elle, a dû se contorsionner pour réussir à
fourguer Pierre Moscovici à la Commission. Encore est-il flanqué de
deux supérieurs hiérarchiques respectivement originaires d’Europe
de l’Est (Vladis Dombrovskis, Lettonie) ou du Nord (Jyrki Katainen,
Finlande)….
Economie
de restrictions tous azimuts qui semble partie pour engendrer une
longue et sévère période déflationniste, crise politique profonde
liée à l’enserrement des souverainetés nationales dans un
écheveau institutionnel sur lequel l’Etat le plus puissant a
réalisé une OPA, l’Union européenne s’est muée en véritable
trou noir économique et démocratique. Il ne lui reste plus, pour
parfaire le tableau, qu’à devenir un trou noir géopolitique.
Ce
funeste défi, elle semble en passe de relever en se brouillant avec
de larges parties du monde. C’est déjà le cas à l’Est :
la gestion erratique des relations avec la Russie contribue déjà à
convaincre ce pays, déjà bien installé dans des cénacles tels que
l’Organisation de coopération de Shanghai ou l’Apec, que sa
vocation est asiatique plus qu’Européenne. Et cela se fera
d’autant plus facilement que le dynamisme de l’Asie est autrement
plus engageant que la progressive fossilisation de l’Europe. Mais
ce pourrait finir par être également le cas à l’Ouest. Car les
Etats-Unis, qui ont renoué avec la croissance, ne peuvent manquer de
pâtir, à terme de la stagnation européenne. Les Américains ont
d’ailleurs été les premiers à s’alarmer, dès 2013, des
excédents commerciaux allemands. Ils n’ont de cesse, depuis, de
demander à la République fédérale de relancer sa demande
intérieure. En vain.
Les
responsables politiques français, eux, se montrent sans cesse plus
empressés d’avaliser cet état des choses, enfermant l’Hexagone
dans le rôle humiliant de « poltron décisif » (Lordon)
ou de de « poule mouillée de l’Allemagne » (Steve Ohana). C’est en Allemagne – et non à Bruxelles – qu’on se
rend pour défendre les choix économiques français, pour obtenir
des indulgences sur le projet de budget français bref, pour faire
allégeance. Le très europhile Jean Quatremer s’en désole en ces termes : "en ignorant Bruxelles, Paris reconnait tout simplement que la réalité du pouvoir est désormais à Berlin. Une étrange capitulation qui n'est pas sans risque pou l'avenir de l'Europe".
Pour l'avenir de l'Europe et... pour celui de la France. Car le jugement de l'Histoire, on l'a parfois vu, peut être assez dur pour les capitulations.
(1) On
pense notamment au livre de l’économiste Marcel Fratzscher, Die
Deutschland illusion
(Allemagne,
l’illusion), paru
il y a quelques semaines.
Anschulls doux ????qu'en pensent les grecs les slovènes les espagnols les portugais les ex yougoslaves et demains les ukrainiens????
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