Le texte ci-dessous est un reproduction de l'entretien accordé par David Cayla à Angers mag, autour de La fin de l'Union européenne.
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Pourquoi, dès le titre de votre ouvrage, être aussi affirmatif et acter la fin de l'Union européenne ?
Nous nous sommes très vite accordés sur le titre, car il résume en fait très bien notre propos. La fin de l’Union européenne n’y est pas présentée comme projet politique, un désir ou un pronostic, mais comme un constat. En effet, si l’on considère l’Union européenne comme un processus qui vise à intégrer politiquement et économiquement le continent, notre livre montre que c’est exactement l’inverse qui se produit et qu’au lieu d’intégrer les pays dans un ensemble harmonieux, on assiste à une désintégration économique et démocratique du continent. Nous sommes donc en face d’un système qui produit exactement le contraire de ce qu’il promettait de créer. C’est en cela qu’il est obsolète.
Quand situez-vous "le point de non-retour" qui correspond finalement au divorce entre l'institution et les populations ?
Ce divorce s’est produit en deux principales étapes. La première, bien connue, est celui du projet de traité constitutionnel et des référendum perdus en 2005 en France et aux Pays-Bas. Dans son précédent livre (Europe les Etats désunis, Michalon 2014), Coralie Delaume écrivait que l’objectif réel de ces référendum était en fait de faire avaliser par les peuple un processus d’intégration supranational qui avait déjà beaucoup dérivé depuis le Traité de Rome de 1957. Manque de bol, les référendum ont été rejeté dans deux des pays fondateurs de l’Union. A partir de là, l’Europe est entrée en crise démocratique, contrainte de se développer en dépit du suffrage populaire, donc à côté des peuples, pour ne pas dire contre leur volonté explicite.
La deuxième étape de ce divorce est celle qui a eu lieu dix ans plus tard, lors de la crise grecque. On peine en France à prendre la mesure de ce qui s’est passé en Grèce entre janvier et juillet 2015, pendant les six premiers mois du gouvernement Tsipras. La population grecque a subi une sorte de putsch démocratique. La Grèce a ainsi été privée de sa propre monnaie par une banque centrale qui a décidé d’agir politiquement pour contraindre un gouvernement élu à renier ses promesses électorales. On a ainsi pu percevoir la concrétisation réelle du mot de Jean-Claude Juncker : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
Plus largement, la manière dont la crise de l’euro a été gérée, par la prise de pouvoir des pays créanciers sur pays les débiteur relève davantage d’un esprit revanchard de type néocolonial que d’un principe de coopération et de solidarité qu’on était en droit d’attendre.
De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, nombreux sont désormais les leaders politiques à condamner fermement l'Union européenne telle qu'elle fonctionne. N'y a-t-il pas, aussi, un ressort populiste dans les critiques qu'elle subit ?
L’Union européenne est en effet souvent prie comme un bouc émissaire facile pour de nombreux maux de notre société. Faut-il le rappeler ? L’UE n’est pas responsable des bombardement sur Alep et de la crise des réfugiée de l’été 2015 ; elle n’est pas non plus responsable de notre politique éducative, des problèmes d’intégration, de la misère de nos quartiers populaires, de la corruption de certains de nos responsables politiques, de la manière dont l’Etat, souvent, dysfonctionne. Voilà pourquoi je ne pense pas que la critique de l’Union européenne puisse servir de projet politique.
Néanmoins, on ne peut pas non plus exonérer l’Union européenne de ses responsabilités réelles en matière de politiques économiques alors qu’elle en maîtrise les principaux outils. Dans notre livre, nous montrons notamment comment le marché unique et la concurrence généralisée ont entraîné une concentration des richesses dans les pays du cœur de l’Europe au détriment des régions périphériques. C’est pour combattre ce processus qu’un certain nombre de pays « trichent » en se réfugiant dans des stratégies non coopératives du type dumping fiscal ou social, quand ils ne vont pas jusqu’à encourager explicitement la fraude. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la question des travailleurs détachés et les importants mouvements de population au sein de l’espace européen dont les effets sur l’emploi et les conditions de travail sont réels. Ainsi, la crainte de se faire prendre son travail par des travailleurs de l’est peut parfois légitimement se transformer en europhobie.
Cette idée d'Union européenne était-elle selon vous vouée à l'échec dès le début, ou est-ce ce que les dirigeants des pays qui la composent en ont fait qui vous amène aujourd'hui à ce constat d'échec ? Le cas échéant, où l'Union européenne a-t-elle péché ?
L’Union européenne était sans doute, dès l’origine, un projet assez ambigu qui aurait pu évoluer différemment. La méthode de Jean Monet dites « des petits pas » qui visait à organiser l’intégration européenne à partir d’institutions supranationales, et donc dans le dos des peuples, a contribué à la rupture entre le processus d’intégration européenne et les populations. Pendant longtemps la construction européenne a été essentiellement l’affaire d’une élite qui s’est peu soucié d’obtenir une quelconque légitimité démocratique.
Il existe aussi une autre Europe, celle des coopérations inter-gouvernementales pragmatiques. C’est cette Europe qui est à l’origine d’ambitieux projets industriels tels Airbus, créé à la fin des années 1960, ou l’ESA, (créé en 1975) qui a permis à l’Europe d’exister dans le domaine spatial. Cette Europe fut progressivement abandonnée au fur et à mesure que l’Europe de la première s’est renforcée.
La construction européenne a donc pêché d’une part d’un manque de pragmatisme dans ses réalisations et d’autre part d’une méthode qui visait à contourner les États nationaux, c’est-à-dire les institution où s’exerce encore aujourd’hui l’essentiel de la démocratie.
Les résultats des élections présidentielles en France et du duel annoncé entre Angela Merkel et Martin Schulz en Allemagne peuvent-elles ouvrir une fenêtre de tir pour une recomposition de l'Union européenne ?
En ce qui concerne l’Allemagne, je ne vois guère quel changement pourrait résulter d’une victoire de Martin Schulz ou d’Angela Merkel. Sur les questions européenne, il y a un assez large consensus gauche/droite en Allemagne. Le social-démocrate Martin Schultz présidait encore il y a peu un Parlement européen largement dominé par les conservateurs. Angela Merkel est la chancelière d’un gouvernement de grande coalition dont le vice-chancelier est un social-démocrate.
La seule opposition sérieuse à laquelle doit faire face Angela Merkel est celle de l’Afd, un parti populiste qui conteste à la fois la politique d’accueil des réfugiés en Allemagne et milite pour un renforcement de l’ordo-libéralisme européen. Mais malgré sa forte poussée électorale il est très peu probable que l’Afd remporte les élections en septembre prochain. Par contre le score de l’Afd et l’éclatement du paysage politique allemand pourra sans doute contraindre le vainqueur, quel qu’il soit, à reconduire la grande coalition. Il y a donc peu à attendre des élections allemande.
Pour ce qui est de la France, il est clair qu’une victoire de Marine Lepen ou de Jean-Luc Mélenchon entraînerait une crise européenne très profonde et sans doute accélèrerait la fin de l’Union européenne. Difficile de dire quelles seraient les conséquences d’une victoire de Benoît Hamon dont le projet européen me paraît peu crédible. Le plus vraisemblable est que les promesses de réforme du candidat se heurteront à une fin de non-recevoir de la part des autres pays européens (et pas uniquement de l’Allemagne). Enfin, une victoire d’Emmanuel Macron ou de François Fillon ne changerait pas grand-chose dans les rapports de force européen, les deux candidats s’étant montrés assez conservateurs.
Comment analysez-vous le Brexit anglais et ses conséquences pour l'Angleterre et l'Union européenne ?
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne c’est d’abord un symbole extrêmement fort. Ce sera en effet la première rétractation de l’Union européenne, un signe que l’histoire ne va pas en sens unique et que l’UE est pas forcément l’avenir indépassable de tous les pays européen. Autre problème pour l’Union européenne : comment combler le manque à gagner budgétaire consécutif au départ britannique ? Enfin, le départ du Royaume-Uni modifie les rapports de force au sein de l’Union et de fait affaiblit la France dans ses rapports avec l’Allemagne, les britanniques ayant souvent été dans l’histoire une force d’équilibre.
Le Royaume-Uni, il est vrai, est l’un des pays les moins intégré de l’Union. Il a refusé d’entrer dans la zone euro et d’intégrer l’espace Schengen et bénéficie d’une multitude d’exceptions qui lui sont propres (dont un rabais sur sa contribution financière). Dans ces conditions, quitter l’Union européenne apparaît plus facile que pour un pays comme la France. Néanmoins, Theresa May va devoir engager son pays dans de laborieuses négociations qui risquent de durer au moins deux ans. Le gouvernement britannique va aussi devoir gérer les nombreuses contradictions qui existent entre les intérêts de son secteur financier, de son industrie, de son commerce… sans compter les dissensions politiques internes, comme par exemple le nationalisme écossais très pro européen.
Pour l’instant, Theresa May annonce un « hard » brexit, c’est-à-dire une rupture franche avec les institutions européennes. C’est sans doute une façon de se donner une marge de manœuvre. Il est logique de profiter du Brexit pour remettre tout à plat, quitte à renouer des accords au cas par cas avec l’Union européenne.
Une sortie de la France de l'Union européenne est-elle envisageable ? Souhaitable ?
En politique, tout est toujours envisageable. Néanmoins, pour la France, une sortie de l’Union européenne serait forcément plus complexe que pour le Royaume-Uni, principalement du fait de l’euro. Certains veulent prendre le modèle britannique en exemple et expliquent qu’il suffirait d’activer l’article 50 du TFUE pour enclencher un processus de sortie serein. Mais rien ne serait serein dans un tel cas. Comment la France pourrait-elle se financer sur les marchés pendant la période de transition où elle emprunte encore en euros mais où elle annonce en même temps une sortie future de la monnaie unique ?
Plus fondamentalement, on voit mal comment l’Union européenne pourrait subsister après un départ de la France. Si la France annonce qu’elle en part, l’Union européenne disparaît dans les semaines qui suivent. Il n’y aura donc plus rien à quitter.
Un tel scénario est-il souhaitable ? Franchement, rien ne serait pire qu’un éternel statu quo. Malgré la crise de l’euro, malgré l’impasse dans laquelle la Grèce est plongée, malgré le Brexit, on ne voit rien changer en Europe. La situation européenne me donne l’impression d’une cocotte-minute dans laquelle la pression ne cesse de monter. Si l’Union européenne est cette cocotte-minute, alors il vaut mieux l’enlever du feu et la vider plutôt que de la laisser exploser.
La fin de l'Union européenne signifie-t-elle de fait la fin de l'idée européenne ?
L’Europe existe culturellement, politiquement et géographiquement. Ses habitants ont des affinités indéniables les uns avec les autres. Les pays européens sont aussi liés par une histoire commune. Je suis certain que l’idée selon laquelle ces peuples, malgré leurs différences, peuvent collaborer et construire ensemble subsistera.
L’idée européenne est d’ailleurs très ancienne. Victor Hugo l’exaltait déjà au XIXème siècle. D’autres le feront sans doute au XXIème siècle, même si les institutions européennes elles-mêmes seront certainement balayées de l’histoire. Le siège de la Commission européenne à Bruxelles se transformera alors peut-être en musée de l’idée européenne et des voies étranges qu’elle a parfois emprunté. Et nous pourrons alors y célébrer l’Europe en toute quiétude.
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