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vendredi 1 mai 2015

Libye, Ukraine, Grèce : «L'Europe c'est la paix... et le chaos tout autour»



- Article initialement paru sur Figarovox - 


Il faudra un jour que l'on s'interroge sur la nature profonde de ce «modèle européen» et sur sa propension paradoxale à combiner, selon les circonstances, atonie et agressivité, mollesse post-politique et pulsions destructrices.

L'Europe, mue par un exceptionnalisme qui n'a plus rien à envier à l'américain, est si profondément attachée à sa vocation de «grosse Suisse» vouée à l'équilibre comptable, au doux commerce et à la paix perpétuelle, qu'elle semble se croire autorisée à aller botter le train de tout ceux qui refusent de se convertir, à sa suite et selon son exemple, au confort anesthésiant de la post-histoire.

Évidemment, elle préfère exporter son agressivité. On ne va quand même pas se taper dessus sur le sol même de «l'Europe-c'est-la-paix». Tout juste consent-elle, en interne, à faire subir quelques châtiments aux récalcitrants et aux indisciplinés. À la Grèce notamment, sur la tête de laquelle chacun tape tour à tour, du président de l'Eurogroupe à celui de la BCE, du ministre Wolfgang Schäuble à toute la ribambelle des fayots de l'Allemagne, Renzi, Valls et on en oublie. Mais ce ne sont là que des châtiments financiers. On étrangle le pays, on le maintient au bord de la faillite, on ne lui laisse aucun répit. C'est une guerre d'usure, mais une guerre économique. C'est feutré, ça paraît doux. C'est la première vraie «guerre propre». Pas une goutte de sang versé: «nos valeurs» ne le permettraient pas.

À l'extérieur, c'est une autre paire de manches. Là, on peut être plus audacieux, sûr de n'avoir jamais à en subir les conséquences. Craindre d'avoir un jour à rendre des comptes pour nos imprudences et indélicatesses? Jamais! L'Europe, c'est «l'Union des peuples libres». Et la Liberté ne rend pas de comptes. Du coup, pas besoin d'aller semer le bazar trop loin. Juste derrière nos frontières, ça devrait faire l'affaire.

Dans ce cadre, l'Europe a donc décidé d'ailler chatouiller la Russie, prenant ainsi le risque de déstabiliser l'Ukraine, ce qui d'ailleurs arriva. Un bel article de synthèse le rappelle. Son auteur ne semble pas appartenir à ce qu'appellent «les réseaux français de Poutine», les commentateurs qui aiment jouer à se faire peur. Au contraire, il prend soin de noter qu'il perçoit «un tournant conservateur du poutinisme». Mais il rappelle aussi que «la crise ukrainienne a été déclenchée par la signature unilatérale d'un accord commercial entre l'Union européenne et l'Ukraine, sans discussion avec la Russie». C'est absolument vrai, et l'on reconnaît bien là la patte d'une UE dont l'économie et le droit sont désormais les deux mamelles: l'agression à coup de traité (juridisme) et de perspectives libre-échangistes (économisme).

On connaît la suite. Nous voilà avec une guerre civile sous nos fenêtres qui, d'accords de Minsk 1 en accords de Minsk 2, semble hélas partie pour durer. Une guerre civile, mais pas seulement. Un régime qui se raidit à Kiev et qui, bien que l'Europe le soutienne au nom de l'attachement qu'il proclame à son ancrage occidental, commence néanmoins à inquiéter certains observateurs. Il y a quelques jours, le centre Simon Wiesenthal condamnait vertement sur son site une série de lois mémorielles récemment votées par la Rada, le parlement ukrainien. Comme l'explique le journal britannique The Guardian, ces lois auront pour conséquence, si elles sont promulguées, d'attribuer la qualité de «combattants de l'indépendance ukrainienne» ainsi que des aides d'État à un certain nombre de vétérans aussi sympathiques que les anciens l'OUN (Organisation des nationalistes ukrainiens), ayant collaboré avec l'Allemagne nazie. Force est d'admettre que «nos valeurs» en prennent un coup. Et qu'on n'est pas sorti des ronces.

Toutefois, l'Ukraine demeure assez loin pour que les bienheureux Européens de l'Ouest ne s'inquiètent pas, ou pas trop. Quant à éprouver du regret ou un sentiment, même diffus, de culpabilité, n'en parlons pas. L'Europe, c'est l'invention de la Démocratie. Et la Démocratie ne culpabilise pas.

En revanche, elle s'exporte, s'il le faut au son du canon. C'est bien pour cela, d'ailleurs, que le deuxième plus grand pays d'Europe -le nôtre, aidé de l'Angleterre- a pris la tête d'une coalition partie offrir à la Libye ce cadeau humaniste entre tous: la chute de son dictateur. Au départ, on avait pourtant cru qu'il s'agissait d'une simple interposition. On espérait qu'on s'en tiendrait à la lettre de la résolution 1973 des Nations Unies, arrachée de haute lutte suite à plusieurs abstentions au sein du Conseil de sécurité, et que le Secrétaire général de l'ONU avait qualifiée «d'historique» en ce qu'elle semblait donner corps au principe de la «responsabilité de protéger», désormais discrédité pour longtemps. Là encore, on connait la suite: la résolution onusienne fut violée et l'on bascula de l'impératif de protéger des civils à celui de renverser un gouvernant. Cela se fit sous la houlette du président français Nicolas Sarkozy, sans doute avec la meilleure conscience du monde, tant il est vrai que l'universalisme français peut, quand il se biodégrade en athmosphère viciée, se muer en avatar de l'exceptionnalisme européen triomphant.

Depuis, la Lybie est livrée au chaos. Devenue incapable de contrôler ses frontières, elle s'est muée un lieu de passage obligé pour les candidats à la noyade sur les côtes de «l'Europe-c'est-la-paix», en particulier sur celles des pays du Sud tels que la Grèce et l'Italie, bref, de ces cancres de la stabilité budgétaire qu'on est bien heureux de trouver lorsqu'il s'agit de repêcher les cadavres.

Daesh, lui, s'est implanté en Libye et y tue aujourd'hui des Chrétiens. Quant au philosophe recruté pour mettre un peu de charme dans cette triste histoire, auteur, en d'autres circonstances, d'une pièce de théâtre fort convenue à la gloire de l'idée d'Europe, il est déjà parti philosopher ailleurs et préfère désormais s'impliquer... en Ukraine.

Pour appartenir au club des happy few qui constituent l'Union européenne, il faut remplir d'exigeantes conditions, respecter un panel de «droits fondamentaux», être une démocratie modèle. On conçoit que la certitude d'avoir tant de qualités finisse par rendre arrogant, quand bien même le respect de la démocratie devient plus aléatoire une fois qu'on a rejoint le club, ainsi qu'en témoigne, entre autre, le référendum volé du 29 mai 2005 dont on célébrera bientôt l'anniversaire.

Par ailleurs, l'Europe ayant troqué la politique contre la logique comptable et ayant immédiatement, pour camoufler ce fait, enrobé l'affaire dans un discours lénifiant et autosatisfait concernant «nos valeurs», il était logique qu'elle finît par appréhender le rapport à l'autre sous le seul angle de la morale: Kadhafi était «méchant», il était normal et juste de l'éliminer. Poutine est «méchant», il est normal et juste de le provoquer... etc.

Enfin, les Pères fondateurs ont imaginé l'intégration comme moyen d'éloigner à jamais le spectre de la violence et du conflit de l'horizon européen. Ce qui n'interdit nullement d'aider cette violence et ces conflits à éclore sur le pourtour, celui-ci étant peuplé de gens «méchants» et de mauvais démocrates.

Voilà comment en se retrouve, au printemps 2015, dans une Europe en crise et cernée par la guerre.



samedi 25 juin 2011

Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?



La guerres d'Afghanistan et de Libye en témoignent : le propre d'une Nation est de toujours privilégier ses intérêts stratégiques. C'est vrai pour l'hyperpuissante et guerrière Amérique dont le président cherche à solder les conflits hérités de son prédécesseur, et dont l'engagement en Libye s'est fait du bout des lèvres. Mais c'est aussi vrai pour la France « RGPPisé ». Bien qu'elle détricote jour après jour son outil de défense  pour faire des économies, son président n'en a pas moins voulu sa guerre. Nicolas Sarkozy fut donc moteur dans le déclenchement des hostilités en Libye.

Le Français, comme l’Américain, privilégie ses intérêts de puissance. Hélas, la France a parfois du mal à faire prévaloir les siens, logiquement situés sur la rive Sud de la méditerranée. Car bien qu’ayant d’autres fers au feu, Sarkozy semble avoir définitivement opté pour une stratégie afghane calquée sur celle d'Obama.

Ce dernier, quoique n’ayant pas choisi le conflit Afghan, a décidé de l’assumer. En 2009 il mit en œuvre un « surge », qui conduisit au déploiement de 30 000 GI’s supplémentaires en Asie centrale : on ne gagne jamais mieux « les cœurs et les esprits » que par l’usage de la force. Ce président, parfois jugé trop faible, devait montrer son opiniâtreté face à l’islamisme et sa détermination à lutter contre des talibans supposés liés à al-Qaida.

Depuis, l’impavide Obama peut se targuer d’avoir réussi là où le martial Georges W. Bush avait échoué. Si l’exécution d’Oussama Ben Laden n’a pas éradiqué la nébuleuse al-Qaida, elle a considérablement changé le regard que l’on porte sur le conflit afghan. Car après avoir découvert l’ennemi public numéro un vivant en toute quiétude dans une villa d’Abbottabad, il n’est plus interdit de dire aujourd’hui que le problème est surtout pakistanais. D’ailleurs, les plus vindicatifs d’entre les talibans sont certainement ceux du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus préoccupés par des objectifs nationaux que par des affaires de guerre sainte. Pour le spécialiste français d’al-Qaida Jean-Pierre Filiu, Ben Laden parvenait à cultiver chez les sicaires du TTP une volonté d’exporter le djihad largement émoussée chez leurs homologues afghans, bien plus concentrés sur l'impératif de reconquête de leur territoire.

Surtout, à un an de l’échéance de 2012, Barack Obama doit lui aussi se concentrer sur son propre territoire. Confronté à une crise de la dette sans précédent, il a désormais du mal à justifier la poursuite d’une guerre de plus en plus contestée par le Congrès, et qui engloutit deux milliards de dollars par semaine. Aussi déclarait-il mercredi 22 juin depuis la Maison Blanche : « il est temps de se concentrer sur le nation building ici, chez nous ». Et de présenter sa stratégie de sortie du conflit afghan, qui prévoit un retrait de 10 000 hommes dès 2011, puis de 23 000 en 2012.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN la prédispose moins que jamais à l’indépendance. Deux heures à peine après le discours de la Maison Blanche, l’Elysée annonçait à son tour un retrait graduel d’Afghanistan, et l’on apprenait que 1 300 soldats français seraient désengagés d’ici 2012, sur les 4 000 actuellement déployés.

Il est dommage d’avoir opté pour un alignement aussi explicite : on sait depuis longtemps que le dispositif français doit se resserrer sur une seule province afghane, la Kapisa, et quitter définitivement le district de Surobi en 2012.  

Mais il est plus regrettable encore de ne prendre en ce domaine qu’une demi mesure, tant il devient difficile de déterminer quels sont les intérêts de la France dans ces montagnes d’Asie centrale où 63 soldats français ont déjà laissé la vie, cependant que nos otages ont le mauvais goût de préférer mourir au Sahel.

Le conflit afghan présente en outre l’inconvénient majeur de nuire à « l’économie des moyens » et à « la concentration des efforts » chères aux lecteurs de Clausewitz. C’est une très mauvaise idée, à l’heure où nos intérêts sont essentiellement menacés en Afrique du Nord, notamment par AQMI, dont « l’émir » Abdelmalek Droukdal, rêve depuis fort longtemps de frapper le sol français.

C’est une plus mauvaise idée encore au moment où la guerre en Libye, celle dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est lancé peut-être un peu par calcul, mais sans doute aussi par devoir, prend une tournure nouvelle, où l’on est ostensiblement passé de la protection des civils à un objectif de « regime change » et où chacun se demande s’il ne faudra pas à terme déployer des troupes aux sol, quoique la résolution 1973 l’ait exclu au départ.

Les stratèges de comptoirs se plaisent souvent à dire qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir ». Ce doit être un peu vrai, tant la France semble avoir du mal à décider son retrait définitif d’Afghanistan. Ne serait-il pas temps, pourtant, de porter le regard et l’effort là où l’histoire et la géographie ont placé à la fois les intérêts de la France et les menaces qui pèsent sur elle : au Nord de l’Afrique ?

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