Traduire / Translate

Affichage des articles dont le libellé est AQMI. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est AQMI. Afficher tous les articles

samedi 25 juin 2011

Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?



La guerres d'Afghanistan et de Libye en témoignent : le propre d'une Nation est de toujours privilégier ses intérêts stratégiques. C'est vrai pour l'hyperpuissante et guerrière Amérique dont le président cherche à solder les conflits hérités de son prédécesseur, et dont l'engagement en Libye s'est fait du bout des lèvres. Mais c'est aussi vrai pour la France « RGPPisé ». Bien qu'elle détricote jour après jour son outil de défense  pour faire des économies, son président n'en a pas moins voulu sa guerre. Nicolas Sarkozy fut donc moteur dans le déclenchement des hostilités en Libye.

Le Français, comme l’Américain, privilégie ses intérêts de puissance. Hélas, la France a parfois du mal à faire prévaloir les siens, logiquement situés sur la rive Sud de la méditerranée. Car bien qu’ayant d’autres fers au feu, Sarkozy semble avoir définitivement opté pour une stratégie afghane calquée sur celle d'Obama.

Ce dernier, quoique n’ayant pas choisi le conflit Afghan, a décidé de l’assumer. En 2009 il mit en œuvre un « surge », qui conduisit au déploiement de 30 000 GI’s supplémentaires en Asie centrale : on ne gagne jamais mieux « les cœurs et les esprits » que par l’usage de la force. Ce président, parfois jugé trop faible, devait montrer son opiniâtreté face à l’islamisme et sa détermination à lutter contre des talibans supposés liés à al-Qaida.

Depuis, l’impavide Obama peut se targuer d’avoir réussi là où le martial Georges W. Bush avait échoué. Si l’exécution d’Oussama Ben Laden n’a pas éradiqué la nébuleuse al-Qaida, elle a considérablement changé le regard que l’on porte sur le conflit afghan. Car après avoir découvert l’ennemi public numéro un vivant en toute quiétude dans une villa d’Abbottabad, il n’est plus interdit de dire aujourd’hui que le problème est surtout pakistanais. D’ailleurs, les plus vindicatifs d’entre les talibans sont certainement ceux du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus préoccupés par des objectifs nationaux que par des affaires de guerre sainte. Pour le spécialiste français d’al-Qaida Jean-Pierre Filiu, Ben Laden parvenait à cultiver chez les sicaires du TTP une volonté d’exporter le djihad largement émoussée chez leurs homologues afghans, bien plus concentrés sur l'impératif de reconquête de leur territoire.

Surtout, à un an de l’échéance de 2012, Barack Obama doit lui aussi se concentrer sur son propre territoire. Confronté à une crise de la dette sans précédent, il a désormais du mal à justifier la poursuite d’une guerre de plus en plus contestée par le Congrès, et qui engloutit deux milliards de dollars par semaine. Aussi déclarait-il mercredi 22 juin depuis la Maison Blanche : « il est temps de se concentrer sur le nation building ici, chez nous ». Et de présenter sa stratégie de sortie du conflit afghan, qui prévoit un retrait de 10 000 hommes dès 2011, puis de 23 000 en 2012.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN la prédispose moins que jamais à l’indépendance. Deux heures à peine après le discours de la Maison Blanche, l’Elysée annonçait à son tour un retrait graduel d’Afghanistan, et l’on apprenait que 1 300 soldats français seraient désengagés d’ici 2012, sur les 4 000 actuellement déployés.

Il est dommage d’avoir opté pour un alignement aussi explicite : on sait depuis longtemps que le dispositif français doit se resserrer sur une seule province afghane, la Kapisa, et quitter définitivement le district de Surobi en 2012.  

Mais il est plus regrettable encore de ne prendre en ce domaine qu’une demi mesure, tant il devient difficile de déterminer quels sont les intérêts de la France dans ces montagnes d’Asie centrale où 63 soldats français ont déjà laissé la vie, cependant que nos otages ont le mauvais goût de préférer mourir au Sahel.

Le conflit afghan présente en outre l’inconvénient majeur de nuire à « l’économie des moyens » et à « la concentration des efforts » chères aux lecteurs de Clausewitz. C’est une très mauvaise idée, à l’heure où nos intérêts sont essentiellement menacés en Afrique du Nord, notamment par AQMI, dont « l’émir » Abdelmalek Droukdal, rêve depuis fort longtemps de frapper le sol français.

C’est une plus mauvaise idée encore au moment où la guerre en Libye, celle dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est lancé peut-être un peu par calcul, mais sans doute aussi par devoir, prend une tournure nouvelle, où l’on est ostensiblement passé de la protection des civils à un objectif de « regime change » et où chacun se demande s’il ne faudra pas à terme déployer des troupes aux sol, quoique la résolution 1973 l’ait exclu au départ.

Les stratèges de comptoirs se plaisent souvent à dire qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir ». Ce doit être un peu vrai, tant la France semble avoir du mal à décider son retrait définitif d’Afghanistan. Ne serait-il pas temps, pourtant, de porter le regard et l’effort là où l’histoire et la géographie ont placé à la fois les intérêts de la France et les menaces qui pèsent sur elle : au Nord de l’Afrique ?

.

jeudi 5 mai 2011

Ben Laden : avec ou sans, il faut quitter l'Afghanistan



Il y a quelques semaines de cela, l’Afghanistan était « une guerre oubliée ». C’est ce que nous expliquait Le Monde en date du 16 avril. La Libye avait pris le pas, et l’on guettait avec gourmandise un enlisement ici, sans se souvenir que nous étions depuis dix ans enlisés là bas. Le décès, dans la vallée de la Kapisa, du 56ème de nos militaires n’a d’ailleurs pas ému grand monde.

Celui d’Oussama Ben Laden[1], en revanche, a remis l’Afghanistan à la « Une » de nos journaux, qui, pour la plupart s’accordent à dire « pour l’Afghanistan, ça ne change rien ». En effet, ça ne change rien, ou pas grand-chose, sauf peut-être…l’essentiel : la disparition de l’icône jihadiste va contraindre à reformuler l’objectif recherché dans ce pays d’Asie centrale où meurent nos soldats, tandis que nos otages préfèrent quant à eux mourir au Sahel.

La guerre d’Afghanistan, déclenchée après les attentats du 11-Septembre, le fut bien, au départ, sous les auspices de la légitime défense. Il s’agissait, pour les Etats-Unis et leurs alliés de mettre à bas l’émirat taliban qui offrait gîte, couvert et camps d’entraînement aux « Arabes afghans », ces compagnons de longue date, dont certains firent leurs armes en luttant aux côtés des moudjahidines afghans contre l’occupant soviétique.

De ce point de vue, la victoire fut rapide, et c’est en Afghanistan bien plus qu’en Irak que George W. Bush aurait dû s’écrier « mission accomplie » ! Dès la fin de l’hiver 2001, le mollah Omar enfourchait son Piaggio direction le Pakistan, et Ben Laden s’évaporait aux confins des zones tribales.

Dès lors, et puisque nous étions « tous des américains » il fallut bien trouver de bonnes raisons de rester. Tandis que de grands clausewitziens nous invitaient à la patience en répétant doctement qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir », on fit pleurnicher un peu dans les chaumières sur le sort des femmes afghanes, claquemurées dans leurs prisons de tissu, sort bien plus atroce, semblait-il, que celui des femmes saoudo-yéménites. On nous expliqua également qu’il fallait démocratiser l’Afghanistan « par le haut »,  ce qui, pour d’obscures raisons, semblait bien plus urgent que de démocratiser la Corée du Nord. A ce jour, la réussite de l’entreprise est à peu près aussi convaincante que celle des impétrants qui voulurent marxiser « par la force » et sans autre forme de transition la Russie des partisans blancs. On n’alla tout de même pas jusqu’à nous faire le coup des intérêt pétroliers : c’eut été un peu gros. Mais celui de la lutte à mort du Bien contre le Mal, oui. Si nous partions, il y aurait une dictature, ce que comme chacun sait, nous n’avons jamais cautionné nulle part.

Et puis, il restait le problème taliban. Mais les plus vindicatifs d’entre eux sont certainement les talibans pakistanais du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus occupés désormais par des objectifs strictement nationaux que par des affaires de guerre sainte. Comme l’explique Jean-Pierre Filiu[2], « Ben Laden (cultivait) chez les talibans pakistanais la volonté d'exporter le jihad qui a largement disparu chez les talibans afghans, concentrés sur l'impératif de reconquête de leur territoire ». C’est pourquoi un ancien ministre iranien des Affaires étrangères considérait il y a peu que « la solution doit être régionale, non  militaire ». Ainsi, alors que le Pakistan utilise ses propres talibans comme une arme contre son rival indien, sans doute serait-il plus judicieux de soutenir diplomatiquement un règlement politique du différend indo-pakistanais.

Quant aux talibans afghans, il est possible qu’ils réintègrent un jour le jeu politique du pays. La volonté rémanente d’Hamid Karzaï de négocier avec eux en est un signe. Mais rien n’indique qu’ils seront à nouveau menaçants, si ce n’est pour leur propre peuple. Dès lors, comme que le propose le général Lamballe « laissons-les gouverner à leur guise. Les populations qu’ils administreront finiront bien par s’apercevoir qu’ils ne sont pas meilleurs et plus efficaces que les modérés. Ils seront probablement pires et alors, après une prise de conscience populaire, tout peut changer ». De cela, et du fait que la démocratisation arrive toujours « par le bas » nous avons la preuve quotidienne en observant les révoltes populaires qui secouent actuellement le monde arabe.

Ce sont elles, d’ailleurs, qui ont véritablement tué Al-Qaïda, tant il est vrai que face au processus de libération actuellement à l’œuvre au Maghreb comme au Machrek, l’idée de révolution islamique à la sauce Ben Laden paraissait déjà has been.

La nébuleuse à présent privée de son chef, les différentes franchises telles AQMI continueront sans doute à s’agiter ça et là de manière autonome et erratique. Mais dans ce cas là, d’ores et déjà, c’est vers le nord de l’Afrique qu’il faut porter le regard et l’effort.


[1] Que nous décidons de considérer comme vraie, photo insoutenable à l’appui ou pas, mus que nous sommes par cet optimisme quasi juvénile que provoque inexorablement l’éclosion du printemps.
[2] Auteur des Neuf vies d’Al-Qaida, Fayard, 2009.