« Les lois sont faites pour être transgressées », dit on parfois. Il n’aura pas fallu longtemps pour que le soit celle interdisant la burqa, si j’en crois la triste vision qui me tire parfois de mes rêveries au détour d’une promenade dans le quartier cosmopolite où j’ai élu domicile, et où, quoiqu’on imagine, il ne se passe habituellement jamais rien.
La représentation nationale avait pourtant bien fait les choses. En votant, le 11 octobre 2010, la loi n° 2010-1192 portant « interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public », elle évitait le piège consistant à ne proscrire que le voile intégral. Las, il y aura toujours des contrevenantes qui, non contentes de se voiler la face ont aussi décidé de se boucher les oreilles et de ne pas entendre que « la République se vit à visage découvert ».
J’ai donc croisé l’une de celles-ci. Une femme, accompagnée d’enfants souriants, mais qui elle, ne sourit pas. Entièrement drapée dans un niqab noir dont l’étoffe faciale a été soigneusement retirée, elle dissimule désormais sa figure derrière…un masque chirurgical.
Nous nous regardons longuement et je me sens mille fois humiliée.
En tant que citoyenne, j’ai mal pour la loi de mon pays qu’on bafoue sous mes yeux, quand bien même elle a été soigneusement libellée pour ne « stigmatiser » personne.
En tant que femme, je suis humiliée de constater que certaines, y compris jeunes, peut-être même belles, ont honte de l’être aussi.
J’ai mal pour celui qui m’accompagne et dont le regard est par avance supposé impur, ce regard d’homme que je sais si bienveillant, et qui se voit sans raison déclarer suspect.
Je suis humiliée, enfin, en tant que personne. Car, alors que nous nous observons, et que je lui offre mon visage tout entier, elle me dénie le droit de voir le sien. Et, cependant que ses yeux m’accusent de je ne sais quel crime, elle me voit sans doute pâlir un peu, sans m’octroyer le droit au constat réciproque.
A ce moment, j’ai totalement oublié la « religion » du spectre noir, et ne me rappelle que cette phrase d’Elisabeth Badinter : « dans cette possibilité d’être regardée sans être vue et de regarder l’autre sans qu’il puisse vous voir, je perçois la satisfaction d’une triple jouissance perverse. La jouissance de la toute-puissance sur l’autre, la jouissance de l’exhibitionnisme, et la jouissance du voyeurisme ».
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Je suis toujours un peu surpris (et même navré) de voir des républicains fervents défendre ce genre de loi liberticide - et par là-même, à mon avis, anticonstitutionnelle (en tout cas, contraire aux principes les plus fondamentaux qui fondent notre République).
RépondreSupprimerLes rédacteurs de cette loi grotesque admettent du reste eux-mêmes à quel point ils sont gênés aux entournures quand ils écrivent ceci :
"L'interdiction prévue à l'article 1er ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles". (article 2)
Ils ont oublié les motifs climatiques (écharpe et cagoule par grand froid, ça peut arriver). A moins que ce cas de figure soit inclus dans les "raisons de santé" - mais alors c'est valable à partir de quelle température, et quelle doit être la force minimale de la bise hivernale ?
Mais de toute façon, cette loi est totalement incompatible avec l'article 4 de la Déclaration de 1789 :
"La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi".
Pouvez-vous me dire quel est le droit dont cette personne croisée dans la rue vous dénie la jouissance ? Le droit de voir son visage ? Mais en tant que simple citoyenne vous n'avez pas de tel droit, et heureusement !
Bon à part ça, on peut bien sûr être navré chaque fois que l'on croise des femmes portant le voile intégral (ou même le simple hijab). J'en croise comme vous, et le suis comme vous (et habite un quartier cosmopolite comme vous !). Mais de là à s'asseoir sur nos principes les plus sacrés, je ne crois pas, non.
Le pire, c'est que cette réaction législative sonne comme un aveu de faiblesse et de veulerie. Il envoie le message suivant aux fondamentalistes : "nous avons tellement peur de vous que nous sommes prêts à violer nos propres principes sacrés juste pour tenter de nous rassurer".
Nous ne devons pas avoir peur de ces gens. Ne pas avoir peur, cela consiste par exemple à ne jamais transiger sur les libertés individuelles, et à militer plutôt pour l'interdiction totale et définitive de toutes les mutilations non-médicales sur les personnes mineures (excision… et circoncision) ; ou encore, si l'on est réellement soucieux de la liberté des femmes et de l'égalité hommes/femmes, à militer pour le droit au travail, et pour qu'on autorise les femmes à faire reconnaître la paternité de leur enfant via des tests ADN.
@Joe : il n'y a pas de principe "sacré" en République. Il y a des valeurs fondamentales.
RépondreSupprimerLaissez donc le sacré (ou ce qu'elles en comprennent) aux Dark Vador en masque sanitaire. Je suis sûre qu'alors, nos vues convergeront.
Bien à vous,
CD
@ Coralie
RépondreSupprimerVous avez un peu raison sur le terme "sacré". Je l'avais toutefois utilisé délibérément, pour éviter de me répéter, d'une part, et aussi en forme de réponse du berger (républicain) à la bergère (fondamentaliste), si vous voulez…
Vous m'intriguez Coralie.
RépondreSupprimerD'une part vous applaudissez à 10 mains au succès de Sarkozy en Libye, succès qui aura pour conséquence le port du voile obligatoire, d'autre part vous vous offusquez du visage de cette femme.
Et, je viens de lire ceci.
« Les terrasses des cafés sont pleines, l’ambiance est à son comble. Mais subitement tout bascule. Un jeune couple arrive. La jeune fille porte un short. Le couple est d’abord chahuté puis une meute de plus de soixante personnes se forme. Les deux jeunes pressent le pas. La foule les suit et grossit. En face de la Fac centrale, il est totalement assiégé. Sous les insultes, il frôle le passage à tabac et le lynchage... »
Ce sont les policiers qui sauveront la petite en short ( 17 ans) et son copain. Arrivés à la hâte, ils les installent à l’abri dans un fourgon , en face du siège d’Air Algérie. On donne un pantalon à la jeune fille. Mais, rapporte l’Expression, le couple est toujours en grand danger de lynchage : « Le pire reste à craindre. Les policiers intiment aux « protestataires » l’ordre de se disperser. Peine perdue, ils sont toujours aux aguets. Ce sont pour la plupart des adolescents et aucun d’eux ne porte la barbe. C’est la frustration qui les anime »Il faudra dépêcher un autre fourgon et finalement évacuer le couple vers le commissariat de la rue Didouche Mourad pour le mettre définitivement à l’abri. Certains candidats au lynchage l’ont même attendu à la sortie. Heureusement en vain.
Demain, vous ferez en sorte de soutenir des opposants au régime algérien, vous réclamerez l'intervention militaire pour soutenir les insurgés. Car il ne faut pas se tromper l'Egypte, la Libye, la Tunisie et après l'Algérie.
Le colonialisme n'est pas mort bien au contraire et vos articles sur la Libye ne font que le colporter et le répandre.
Soyez satisfaite des tas de civils et d'enfants sont morts dans la tourmente. D'autre mourront d'ici peu. Peu vous importe, Sarkozy a gagné la guerre.
Que direz vous demain lorsque des femmes seront lynchées ou caillassées en Libye? Peut être "Que Dieu ait leur âme"
Je vous salue. Mais vous ignorez encore beaucoup de choses, il vous reste à commencer à vivre et à apprendre.
Paul du 33
Je crois moi aussi que vu le nombre très restreint de femmes habillées ainsi, faire une loi, et au fond transgresser le principe, oui sacré, de liberté individuelle, c'est totalement déséquilibré. C'est beaucoup de bruit pour rien. Pour presque rien.
RépondreSupprimerToutefois ce que vous en dite, votre regard qui se perd dans une absence de visage, me rappelle qu'ici on s'autorise à se regarder franchement, c'est un moment d'échange, aller à visage découvert veut bien dire quelque chose dans notre culture. Inconsciemment ce visage qui se dérobe à notre regard, alors même que dans cette culture étrangère qui le cache, il doit être signe d'intégrité et peut-être de pudeur, il nous apparaît à nous comme une dissimulation. Il y a là un problème de langage corporel, aussi.
Portez vous bien.
Ch
Je suis sûr que quand vous étiez petite, vous étiez du genre à faire beaucoup de cinéma pour pas grand chose et j'ai l'intuition que vous n'avez pas beaucoup changé de ce point de vue.
RépondreSupprimerCordialement
@T.O.
RépondreSupprimerVous avez raison. Mais il faut dire aussi que j'ai su rester TRES jeune !!
REPORTAGE - Le nouveau paysage politique libyen, à peine émergent, est fortement imprégné par les mouvements à orientation religieuse.
RépondreSupprimerCqfd
Un peu de curiosité et vous retrouverez la source.
Paul du 33