Sortir la France de l’impasse[1], telle est la proposition de Jean-Pierre Chevènement, dans son livre-programme éponyme paru le 5 octobre. Car pour le « Ché », il n’existe qu’une seule façon efficace de « faire bouger les lignes ». « Y a-t-il d’autres moyens, les institutions de la V° République étant ce qu’elles sont, que de se porter candidat ? », s’interroge-t-il.
L’homme a toutefois adopté une façon originale de faire campagne. Après La France est elle finie ? couronné du prix du livre politique 2011, et son ouvrage d’entretiens avec Luc Chatel sur l’école, il signe son troisième opus en moins d’un an.
On connaît les sujets de prédilection du sénateur de Belfort. Adversaire de toujours du « néo-libéralisme », il avait salué la thématique montebourgeoise de « démondialisation ». Mais sa cible principale demeure « l’Europe de Maastricht », cheval de Troie de la globalisation et du capitalisme financier. La construction européenne que nous connaissons souffre en effet de nombreux vices de conception. Avec l’Acte Unique (1986) et la libéralisation des mouvements de capitaux, concession faite à Mme Thatcher pour arrimer la Grande-Bertagne à l’Europe, Jacques Delors fit le choix d’offrir notre économie à la rapacité des marchés.
Autre vice de conception : celui qui présida à la création de la monnaie unique. La zone euro n’étant pas une « zone économique optimale » telle que définie par Robert Mundell, l’usage d’une même devise par des pays dissemblables ne pouvait qu’accélerer la divergence de leurs économies. C’est le cas aujourd’hui, avec une Allemagne forte de ses excédents commerciaux, à laquelle on demande de payer pour sauver des économies dévastées par la crise, en Grèce, en Irlande, au Portugal, et bientôt en Espagne, en Italie, en France. Nous verrons, dans les prochains jours, comment nos dirigeants viennent à bout des contradictions qui traversent le continent et corrodent toutes les solidarités. L’enchaînement des sommets européens et le G20 des 3 et 4 novembre prochain devraient livrer un aperçu des espoirs qu’il demeure raisonnable de placer dans l’eurozone.
Notre auteur, quant à lui, donne un certain nombre de pistes. Pour lui, mettre fin au séisme économique qui secoue l’Europe passe une réforme du fonctionnement de l’euro. On peut choisir de modifier les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), afin que celle-ci cesse enfin de lutter contre une inflation qui n’existe plus pour s’attaquer aux problèmes de la croissance et de l’emploi, bien réels quant à eux. En autorisant la BCE à monétiser massivement la dette des pays en péril, peut-être pourrait-on encore sauver la monnaie unique.
Prudent, Chevènement prévoit toutefois un « plan B ». S’inspirant largement des propositions de Jacques Sapir, il envisage de transformer l’euro en simple monnaie commune, autrement dit en un « panier des monnaies qui le constituerait ». Utilisable pour les seules transactions externes, garantissant des possibilités d’ajustement des devises nationales, ce système permettrait d’accueillir au sein d’une eurozone au fonctionnement souple, nombre de nouveaux Etats, de la Grande-Betagne aux pays de l’Est.
Le bilan de l’ancien ministre sur l’Europe repose finalement sur un constat : si celle-ci ne fonctionne plus, c’est parce qu’elle fut initialement construite dans une optique fédéraliste de mauvais aloi. Il s’agissait d’effacer l’idée de « nation », trop vite assimilée à sa pathologie, le nationalisme. Il y avait, chez les Pères fondateurs, une bonne dose de cet « antinationisme » diagnostiqué par Pierre-André Taguieff. Et l’auteur de se désoler : « les élites françaises ont rallié de Gaulle en 1944, mais au fond d’elles-mêmes, elle n’ont jamais repris confiance en la France ».
Le mal était profond, à tel point qu’il sévit encore aujourd’hui. Nos élites ne peuvent évoquer l’idée de nation sans se croire immédiatement contaminées par « l’idéologie française », cette maladie imaginaire inventée par Bernard-Henri Lévy. Ainsi, cependant qu’elles se livrent à une course effrénée à la dilution de la France dans l’Union, elles sabotent le cadre national, celui-là même dans lequel s’exerce la démocratie.
Nous quittons alors les sentiers de l’économie pour découvrir les mille autres dommages générés par cette idée libérale que la nation est un monstre, le peuple une engeance brutale et « lepénisée », et qu’à l’acquisition de droits collectifs, mieux vaut préférer l’exaltation de l’individu atomisé et de sa singularité. « C’est désormais l’individu dans ses identités multiples, qui doit être émancipé, et non plus le salarié dans son rapport à la production » écrivait Laurent Bouvet.
Quant au « lion de Belfort », il voit les effets de cet effacement de la démocratie à l’œuvre partout : naufrage de l’école, abandon des « valeurs républicaines », complaisance envers la doxa antiraciste de médias qui « traquent la liberté d’expression dès lors qu’elle mord sur les lignes jaunes du politiquement correct ».
Ainsi Jean-Pierre Chevènement s’aventure-t-il sur des thématiques hélas désertées par sa famille politique, renvoyant dos à dos le « sans-papiérisme » de gauche et le mythe étriqué de l’immigration-zéro. N’hésitant pas à avaliser les thèses injustement controversées d’un Hugues Lagrange[2], plaidant aussi bien pour le refus du communautarisme que pour le rejet du racisme, il passe en revue tous les impensés de la gauche d’accompagnement : intégration, laïcité sans concession, conditions d’acquisition à la nationalité. Il va même jusqu’à pourfendre le droit de vote des immigrés aux élections locales, ce tronçonnage absurde de la citoyenneté, cette appartenance au rabais.
Finalement, Sortir la France de l’impasse mérite davantage que des ajustements économico-budgétaires à la marge. C’est toute une conception du pays qu’il convient de revoir, en lui réapprenant à s’aimer lui-même, afin qu’il sache se faire aimer de ceux qui le choisissent.
Plus que le « rêve français » qu’il conviendrait de « réenchanter », c’est le « roman national » qu’il faut réhabiliter. Non pour se complaire dans la nostalgie pleurnicharde des chantres du rétropédalage, mais parce que du passé, on ne fait jamais table rase. L’assumer, et même l’aimer est encore la meilleure façon d’envisager l’avenir.
[1] Sortir la France de l’impasse, Editions Fayard, 2011 : sommaire ICI
[2] Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, Seuil, 2010.
Lire et relire :
Trois présidentiables au chevet de l'euro CLICK
Chatel-Chevènement, dialogue autour de l'école CLACK
Chevènement-Montebourg, pas de divergence sur le fond CLOCK
[2] Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, Seuil, 2010.
Lire et relire :
Trois présidentiables au chevet de l'euro CLICK
Chatel-Chevènement, dialogue autour de l'école CLACK
Chevènement-Montebourg, pas de divergence sur le fond CLOCK
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Bonjour.
RépondreSupprimerMerci encore à Coralie pour cette impeccable recension du dernier ouvrage de JPC.
Rien à redire à ces analyses fort justes.
Mais il faudra aller au bout de la logique et oeuvrer pour un dépassement (momentané) du clivage droite-gauche qui, actuellement, n'est plus pertinent. J'avoue que je doute de la capacité (psychologique) de JPC à faire ce saut.
Aussi, j'espère qu'il ne sera pas candidat (même s’il se dit « plus légitime » que NDA pour l’être).
Jean-Pierre Chevenement sait mettre les mots sur les choses. Ses analyses sont très éclairantes. Je suis jeune, 25 ans, je n'ai pas son expérience et sa "vision profonde" mais en le lisant je comprends des choses que je présentais...On n'est pas encore sortie de l'histoire des deux guerres mondiales, du traumatisme de 1914 et du grand renoncement qui a suivi avec à la clef la capitulation de 1940 et Vichy.De Gaulle a essayé d'inverser la tendance et il n'a pas reussi. J'avais du mal à comprendre pourquoi un petit pays comme la Suède avait plus confiance en lui que la France et se tenait à l'écart de l'Europe. J'avais aussi du mal à comprendre le dédain à peine voilé de nos élites (commme notre intellectuel préféré BHL) pour le peuple français. Je comprends beaucoup de choses maintenant...merci à Chevenement. Malheureusement je ne vois aucun signe de remmise en question chez nos élites...je dirais même que ça s'aggrave. Peut être qu'un des tord de de Gaulle est de ne pas avoir reussit à redéfinir la France avec un juste milieu...Nos élites le déteste et prèfèrent s'accrocher à leur chimère européenne, post-nationale, "anti-populiste"... La France pourrait être une puissance moyenne démocratique et prospère qui a confiance en elle et heureuse, mais non, nos élites prèfèrent s'accrocher aux illusions de grandeures européennes (dans les faits, le déni de réel et la soummission à l'Allemagne), le renoncement permanent. Cet esprit petit bourgeois que l'on peut constater quand on regarde les commentaires sur le forums du Monde, le journal bien-pensant par excellence...ces gens se croient se croit supérieur à la moyenne et affichent constament leur dédain pour cette fameuse France moisie dont on nous parle tant. Ils passent leur temps à donner des coups de menton et veulent se démontrer à eux-même qu'ils sont bien supérieurs à la masse forcément stupide et nationaliste (souvenez vous de serge july lors du referundum de 2005). C'est exaspérant, quand est-ce que la France en sortira?
RépondreSupprimer@CD
RépondreSupprimerLe Che a tenu haut les couleurs de cet humanisme civique français incarné en la nation et la République ; et, bien naturellement, ils ne sont pas rares ces chevènementistes politiquement lucides qui savent que tenir un joli discours loin de l'assentiment du peuple est une discipline de salon.
Le camp national républicain a un leader incontestable, et c'est une femme. Le peuple a tranché, et notamment ces classes populaires tant méprisées par la "gauche" officielle - la gauche kérosène dit Michéa.
A ce jour, la seule réponse apportée à la question "pourquoi pas marine", laquelle est seule en capacité de faire gagner ce camp, est un consternant "parce que", bien peu digne de ce que l'on peut attendre de l'esprit français et de sa capacité critique. Rien ne permet d'invalider en effet les volontés républicaines de cette candidate si ce n'est l'éternelle posture journalistique.
La "démocratie" médiatique, dont le niveau de culture politique de bon nombre de ses appointés fait peur, joue contre le peuple, et probablement par intérêt de caste : la moraline pro-UE en atteste chaque jour.
Incontestablement, Marine est du côté de la "common decency", et là est notre salut politique.
Chevènement, grand homme du champ politique français, est du passé politique de ce pays ; il demeure néanmoins une autorité morale qu'un peu d'honnêteté intellectuelle devrait conduire à rejoindre le pôle patriote de Marine.
Pour qui voteront le Che et NDA dans le cadre d'un second tour constitué, par exemple, des candidatures de Hollande et de Marine ?
La réponse à cette dernière question - ou le refus d'y répondre - signera les intentions réelles de ces deux derniers candidats.
Qui veulent-ils privilégier ? L'intérêt d'un clan, mondialiste, ou l'intérêt du pays ? Je pose la question, mais j'ai peur de déjà connaître la réponse.
@Dugay-Troin:
RépondreSupprimerLe camp national-républicain n'a pas pour chef Marine Le Pen.
Si tel était le cas, Chevènement et NDA se seraient ralliés à elle. Or j'observe que non seulement ils s'en gardent, mais qu'en plus, ils excluent ceux de leurs proches qui franchissent le Rubicon.
Chevènement est en effet une figure de notre paysage politique, et il a fait ses preuves depuis longtemps.
Quant à MLP, quelles preuves a-t-elles faites ? Aucune. A-t-elle renié son père ? Non. A-t-elle quitté le Front National ? Non. L'a-t-elle profondément réformé ? Non. On y croise toujours les mêmes australopithèques bas du front.
Quant à la
personne de MLP, autant je peux trouver parfois qu'elle fait de bons discours, autant certains de ses actes en disent long, comme son voyage de la semaine dernière en Italie, dans le giron de la clique à Berlu.
Bien à vous,
Coralie
@CD
RépondreSupprimerCe camp n'ayant pas de parti, c'est la voix populaire qui ici fait la bonne mesure des choses. A ce jeu démocratique, par voie de sondage effectuée depuis 6 mois, le peuple a manifestement fait son choix.
Le chef - le souverain -, en démocratie, c'est le peuple, et ce dernier a choisi Jeanne-Marine comme chef d'Etat major du parti nation-république et citoyenneté.
NDA est à 3 %, le Che se spécialise en rodomontades pré-présidentielles et va vers un faible pourcentage d'intentions de vote ; l'homme fut grand, il serait immense et conséquent en désignant Jeanne-Marine comme légitime héritière.
Et NDA, quand a-t-il fait ses preuves ? Et pourquoi voulez-vous que MLP renie son père ?
Quel rapport y a t-il entre un reniement filial et le renoncement à certaines thèses ? Est-on si sûr que cela des thèses défendues par le père, ce au-delà des formules malheureuses et parfois condamnables ?
Doit-on pratiquer le bannissement et la haine institutionnalisée à vie pour trois mots de trop ? Sainte-Hélène, l'île du diable, le tout pour faute idéologique ? Mais que va dire la CEDH ?
Et Marine ? Faut-il retenir la culpabilité inter ou transgénérationnelle ? Transmissibilité des délits idéologiques entre vifs ? Là encore, la CEDH...
Jeanne-Marine est sans ambiguïté sur ce qu'est la nationalité française, soit cette nationalité dégagée de tous liens à l'ethnie au religieux ou à la biologie. C'est cela la République.
Tout le reste est à mon sens procès d'intention et jeux de fumées, de lumières aveuglantes et artificielles, face à ce choix républicain et incontestable des classes populaires en faveur de cette candidate. Le populo a choisi, et ça embête bien du monde.
Alors revenons sur les idées, et son projet : quelles dispositions sont en contradiction avec la République ? Voilà une interrogation qui me paraît plus utile que de venir exiger, face caméra, de renier ses parents, ses proches, ou qui d'autre encore, et ce à la seule demande de qui veut bien s'improviser procureur des relations de familles.
Chacun a dans sa famille, un oncle un peu réac, qui est passé par les épreuves de la guerre, et traîne encore avec lui de vieux souvenirs attachés à l'empire français. On ne se réinvente pas à 65 balais.
Pour ma part, je ne renie pas ce vieille oncle, coupable et condamné par avance au motif d'une faute idéologique dans les milieux autorisés - comme disait l'autre. C'est-à-dire que je ne trie pas entre les français, ceux de ma famille et ceux de la famille France.
Et finissons maintenant par la litanie des voyages de candidats à des chefs de partis à l'étranger - ou même en France - : j'ai peur que l'on découvre alors, et de tous côtés, des rencontres incroyables et surprenantes.
Mais au fait, qu'y a t-il de terrible à discuter avec la clique à Berlu, c'est interdit par le code pénal ? Discuter est mal, par principe ? On ne discute qu'avec ceux dont on partage les idées ? Berlu c'est le diable, lui aussi ?
Républicanisme, ouverture d'esprit, et refus du sectarisme, voilà le marinisme.
Bien à vous,
René Dugay-Trouin