« Les techniciens tendent toujours à se rendre souverains, parce qu’il sentent qu’ils connaissent leur affaire ; et c’est tout à fait légitime de leur part. La responsabilité du mal qui, lorsqu’ils y parviennent, en est l’effet inévitable, incombe exclusivement à ceux qui les ont laissé faire ». Simone Weil écrivait cela en 1943. Nous sommes en 2012 et les techniciens se sont faits technocrates. Est-on sûr de vouloir leur laisser les clés de l’Europe ?
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« L’Europe est la mère de toutes les batailles ». C’est Arnaud Montebourg qui disait cela sur BFMTV un soir de mai, quelques jours avant de devenir ministre. Il avait évidemment raison. La crise tous azimuts que traverse le continent ne peut permettre à la France de se redresser seule. On pourra bien sûr multiplier les mesures curatives et d’urgence, mais dans quelle mesure et jusqu’à quand ?
Certes, on sent chez le nouveau gouvernement un souci sincère de rupture, même si d’aucuns tendent à trouver que « le changement, c’est lentement ». Un certain nombre coups de barre à gauche, modestes mais utiles, ont été donnés : hausse de l’allocation de rentrée scolaire ou (très légère) du Smic, annonce d’une action (ponctuelle et modérée) sur les prix de l’essence, annonce d’une prochaine réforme fiscale dans un sens plus juste. Pour autant, la simple distribution de richesses qui s’amenuisent peut-elle pallier longtemps l’absence de croissance et d’emploi ? Peu probable. Peu probable également que la croissance revienne chez nous alors qu’elle semble avoir définitivement déserté tout le Sud du continent et qu’elle tend même, désormais, à fuir l’Allemagne, où la hausse au PIB a été d’à peine 0,3% au second trimestre 2012, chiffre abusivement présenté comme une performance…
Les vacances, la canicule et l’affaire des Pussy Riot étant à présent derrière nous, le temps est donc venu qu’on la mène, cette mère des batailles, et que l’on s’attaque à la crise de la monnaie unique, donc au problème des dettes souveraines, donc à celui de la divergence croissante de nos économies, donc à la crise de compétitivité qui frappe l’eurozone….
« C’est en cours » nous répondra-t-on. Reste à savoir…en cours de quoi ? Après que le Conseil constitutionnel l’a jugé suffisamment sexy pour ne point mériter qu’on dérange la Constitution de la V° République pour si peu, le « paquet européen » (et pourquoi pas « le tas », « l’amas », le « fatras »), comprenant le traité de stabilité budgétaire (TSCG) sera présenté au Parlement fin septembre. Traité qui devait être renégocié, au nom du « changement », au nom du « maintenant »….
L’a-t-il été ? On nous dira que « oui, évidemment ». François Hollande s’étant montré « inflexible » sur ce point, un « volet croissance » y a été ajouté : 120 milliards d’euros…dont la majeure partie (50M€) ne correspond qu’à un recyclage de fonds européens non encore utilisés, et qui devra suffire à relancer l’économie de l’ensemble de pays de la zone. Autant dire qu’avec des sommes si modestes, pour le « choc de croissance », on repassera…
La règle d’or, elle, sera votée. Angela Merkel en est si assurée qu’elle se projette déjà à l’étape suivante et vient de proposer un nouveau traité (elle est accro ou quoi ?) pour faire « avancer » l’intégration communautaire.
La règle d’or sera votée. Mais non sans peine, si l’on en croit l’émoi que suscite déjà cette perspective au sein de la majorité. Au Front de gauche, sans grande surprise, mais également chez les écologistes, et à la gauche du Parti socialiste. Un peu comme si renaissait de ses cendres le vieux clivage de 2005, celui qui, à l’occasion du référendum sur le traité constitutionnel européen, avait fracturé l’un et l’autre camp, la droite comme la gauche.
A cet égard, Jean-Marc Ayrault, en chef de la majorité qu’il est, a tenté de resserrer les boulons le 22 août, sur les ondes de RMC : « quand on est dans la majorité et qu’on soutient le président de la République, on doit être solidaire (…) j’espère que ces députés [ceux qui envisagent de ne pas voter le traité budgétaire] prendront leurs responsabilités. Ils savent bien qu’ils ont été élus après l’élection de François Hollande et qu’ils lui doivent aussi leur élection ».
Certes. Mais nous, nous savons bien que François Hollande a été élu par le peuple français. Le même peuple qui avait clairement voté « non » en 2005 et auquel on a confisqué le résultat d’un référendum où il fut jugé qu’il avait « mal voté ». A l’époque, cette confiscation avait pris pour nom « traité de Lisbonne ». A l’occasion de l’examen d’icelui par l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault alors patron des députés socialistes avait déposé une motion visant à solliciter l’organisation d’un nouveau référendum. Ainsi s’exprimait-il un jour de février 2008 : « cette motion référendaire est une exigence démocratique. Parce que l’Europe le vaut bien. Parce que c’est le droit des Français (…) Je veux une Europe au grand jour. Une Europe sincère et populaire. Une Europe dont on soit fier. C’est à force de dissimuler l’Europe, de la rendre incompréhensible qu’on a fini par en détourner notre peuple. C’est en masquant la réalité de ses acquis et de ses insuffisances qu’on a construit la défiance envers elle ».
Certes, dans l’idée de l’Ayrault d’alors, il convenait de faire approuver par le peuple un traité fort semblable à celui que le peuple avait rejeté. Ce n’est pas le cas du Pacte budgétaire qui lui - et c’est heureux - n’est semblable à rien de connu. Pour autant, vouloir une Europe « sincère et populaire » semble plus que jamais d’actualité. Pourquoi, dans ces conditions, à présent que M. Ayrault en a véritablement la possibilité, ne pas consentir enfin à ce référendum qui, de volé en 2005 demeura un vœux pieux en 2008 ? Après tout, même la droite allemande, en la personne du ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, se pose désormais ouvertement la question !
On nous objectera que débuter un quinquennat sur un référendum perdu est de fort mauvais aloi. Certes, mais qu’en sera-t-il si le traité négocié par le couple « Merkozy », amendé à l’ultra-marge par un par un mini-volet-croissance, est voté au Parlement grâce aux voix de l’UMP, mais sans celles de l’ensemble des députés et sénateurs de gauche
On nous objectera également qu’il y a urgence pour l’Europe et que l’organisation d’un référendum est chose longue. Las, la crise et là depuis longtemps et semble déterminée à rester. L’Europe peut bien attendre un peu. Hormis ceux qui piaffent d’impatience et crient aux « 100 jours pour presque rien », les autres patienteront quelques semaines encore : désormais, plus grand monde n’est à cela près.
En février 2008, le député Ayrault haranguait le Premier ministre d’alors, François Fillon, en ces termes : « vous n’avez pas compris cette aspiration participative des citoyens au débat européen. Vous en êtes resté à la conception des années 60 où l’Europe était considérée comme un sujet trop complexe pour intéresser les citoyens. C’est un archaïsme ».
Mais, si l’on s’entête dans de tels archaïsmes, le « vrai » changement, c’est pour quand ?
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