On ne sera pas étonné que le journal Libération ait été pionnier : quand il s’agit, au nom du « progressisme », de déconstruire quelque vieux scrupules républicains traînant encore ça et là, l’organe de presse favori de la « gauche d’agrément » n’est jamais en reste.
Il était donc normal que Libé, ainsi qu’il le fit le 27 septembre dernier, utilise le premier l’expression « Français de souche », sans guillemets. Non pas au nom d’une quelconque « lepénisation des esprits » : à l’inverse de Nicolas Demorand et de ses amis, nous nous efforçons de ne pas inventer des fascistes là où il n’y en a point. Simplement par négligence. Et aussi parce que, si une vieille habitude interdit à la plupart d’entre nous d’user de cette tournure de phrase insidieuse, c’est forcément, pour Libération, le fruit d’un « archaïsme ».
Le problème, avec les modes, c’est qu’elles sont comme les gaz innervants et les nuages radioactifs : une fois qu’elles sont à l’air libre, elles se répandent. Quinze jours plus tard, c’est donc au tour de l’Agence France Presse de citer ses souches, au détour d’une dépêche reprise en chœur un peu partout, sans que quiconque y trouve à redire.
Commentant un tout jeune rapport de l’Insee sur les discriminations en France, l’AFP annonce en effet : « les descendants d’immigrés d’Afrique sont trois fois plus au chômage que les Français de souche, un écart largement dû au niveau de diplôme, à l’origine sociale et au lieu de vie mais dont une part reste “inexpliquée”, selon un rapport de l’Insee rendu public mercredi ». Puis, plus loin : « au contraire, les filles d’origine tunisienne ou marocaine décrochent davantage le baccalauréat que les Françaises de souche ». Pan ! En plein sur le nez des « archéos » qui croient encore que la « souche » n’existe pas, dans une nation politique qui ne reconnaît que des citoyens.
Pan, donc. Mais si vous êtes déjà morts, réveillez-vous. Car on n’en est qu’à l’incipit : la crise cardiaque, c’est pour ce qui suit.
Car il faut se pencher plus avant sur ledit rapport de l’Insee pour bien appréhender le problème. « De quoi ce rapport est-il le nom ? », comme s’interrogerait sans doute le vaste troupeau des plagiaires d’Alain Badiou ?
Ce rapport, intitulé Immigrés et descendants d’immigrés en France (édition 2012) et rendu public mercredi 10 octobre, a pour but d’étudier les discriminations ressenties ou déclarées par les Français nés de parents immigrés vivant dans notre beau pays. Il présente d’ailleurs un relatif intérêt et peut être consulté ici.
Pourtant, un élément dérange quand on isole et lit la seule partie francilienne du document. On ouvre alors des yeux ronds en tombant sur ceci : « Les descendants de natifs de départements d’outre-mer sont les plus nombreux à déclarer avoir subi des discriminations au cours des cinq dernières années ». Tiens donc : les Français originaires de Guadeloupe, de Martinique ou de la Réunion sont donc des enfants d’immigrés. On en apprend tous les jours.
Certes, l’Insee d’Île-de-France – qui n’est pas folle, la guêpe – sent bien que l’affaire est tendancieuse et que le ver est dans le fruit. Aussi, pour désamorcer toute colère putative en provenance de la guilde des ennemis de « la souche », on nous explique : « la notion de migration s’entend ici au sens large de mouvement géographique de population, ce qui inclut les déplacements des natifs de Dom vers la métropole ». En d’autres termes, quand un Français de Pointe-à-Pitre fait sa valise pour se rendre puis s’installer à Trifouillis-les-trois-noix, il émigre. Vous suivez ? Non ? C’est normal….
Certains diront qu’on chinoise et que cette façon de classer les habitants des Dom dans la même catégorie que les migrants est habituelle dans les études relatives aux discriminations, dès lors qu’on suppose qu’ils en subissent dans les mêmes proportions que les immigrés. Certes, les « sciences » jargonnent et on peut en partie le leur pardonner. D’une part parce que pour appréhender le réel, on n’a pas d’autre choix que de le saucissonner grossièrement : pour étudier, on catégorise.
D’autre part, les sciences ont quelques droits exorbitants parce qu’elles ne font pas de politique. Ce qui n’est pas le cas de ceux, qu’ils soient de simples maladroits ou d’authentiques malveillants, qui utilisent, pour leur faire dire des sottises, les résultats de certaines études. Dès lors, ont aurait pu espérer que l’Insee francilienne fasse œuvre de prudence avant de livrer le fruit de ses investigations au grand public. Ce que la maison mère a d’ailleurs fait quant à elle, puisque l’étude d’envergure nationale ne retient pas du tout les éléments liés aux natifs des Dom.
Surtout, l’AFP – qui gagnerait quant à elle à faire un chouïa plus de politique – n’était en rien contrainte d’en rajouter trois louches en nous pondant un « Français de souche » - sans guillemets - qui n’apparaît nulle part, ni dans le texte de l’Insee d’Île-de-France, ni, a fortiori, dans l’étude nationale.
Finalement, il faudra un jour qu’on s’interroge un brin sur cette drôle d’habitude qui consiste, pour ne pas dire des choses qui fâchent, à proférer, en lieu et place, des âneries. Par exemple, lorsque l’on désire parler d’un « Français noir » et affirmer qu’il est discriminé comme tel, pourquoi ne pas simplement dire qu’il est noir ? C’est pornographique, d’être noir ? Il ne semble pas. Alors pourquoi inventer d’hypothétiques et lointains « lien avec l’immigration » ? Pour pouvoir faire de la statistique ethnique sans pour autant l’avouer tout à fait ? Au risque de produire un discours sans cesse plus confus et spécieux ? Le réel est déjà fort complexe. Et si on n’en rajoutait pas ?
Tendancieux... Si vous dites qu'un français noir ou métis ou blanc ou jaune est discriminé : 1er vous faites vous même de la discrimination puisque vous introduisez le discriminant [couleur de peau] dans ce constat. 2ieme Vous ne pouvez pas dire qu'un français est noir ou blanc puisqu'il n'y a pas de texte juridique qui reconnaisse ce terme ; la couleur de peau n'est pas une catégorie juridique de meme que les origine ou le niveau de vie etc.
RépondreSupprimerMaintenant dans les études sociologiques que l'on introduise des CSP ou d'autres classifications c'est un autre problème. Je dirais de pollution du discours des sciences humaines par des considérations ou arrières-pensées politiques, racistes, ségrégationnistes, anti-pauvres, etc comme on le faisait avec la psycho-morphologie ou la recherche de l’arianisme dans les migrations indo-européennes vers -5000 av JC. C'est à dire ce moment ou le discours des sciences humaines rejoint le discours de comptoirs ou mieux le babillage des salons parisiens à la mode.
Bien dit, une fois de plus.
RépondreSupprimerL'attitude vis-à-vis des Français des DOM (dits Domiens), souvent qualifiés, superlativement, de "à part entière", ce qui en fait des Français entièrement à part, a toujours été ambigüe. Il est curieux de constater que c'est l'accès de ces "Domiens" aux études universitaires en France dite métropolitaine qui a vu la naissance des revendications indépendantistes, lorsque des centaines de jeunes étudiants, qui se croyaient Français, se sont découverts "immigrés", se sont aperçus qu'il y avait, entre cette France métropolitaine et ses DOM, une frontière douanière, et que le commerce avec ces régions ultramarines faisait partie du commerce extérieur. Ces distinctions sont encore assez fréquentes, surtout en matière statistique, et nourrissent certains discours* et politiques**
* certains veulent "généreusement" donner l'indépendance à ces régions, parce qu'elles coûtent trop cher, disent-ils, et peu importe qu'elles ne la demandent pas, puisqu'au nom de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce seraient les Français "de souche" qui décideraient de les garder ou non au sein de notre chère patrie.
** La défiscalisation, par exemple, qui fait de ces territoires des sortes de paradis fiscaux pour certains investissements.
"Le problème, avec les modes, c’est qu’elles sont comme les gaz innervants et les nuages radioactifs : une fois qu’elles sont à l’air libre, elles se répandent."
RépondreSupprimerOu les rumeurs infondées...
Dans le document suivant :
http://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/pv_sign/Schmitt-le_nuage_de_Tchernobyl.pdf
il est intéressant de comparer les cartes publiées par le Monde le 5 mai (page 45) et la une de Libération du 12 mai (page 47).
Pour une fois que l'AFP dit ce qu'elle conçoit... J'hésite à affirmer que son attitude est méritoire.
RépondreSupprimerN'oubliez pas divers autres méfaits :
http://lapenseejournalistique.com/articles/diverses-sottises,37.html
@ jean-jacques
RépondreSupprimerVous dites que l'article est tendancieux. Je dis que votre critique ne tient pas la route. car elle implique que toute personne dénonçant une discrimination pratique elle-même la discrimination, renvoyant, par exemple, dos-à-dos un Zemmour qui justifie les contrôles au faciès et ceux qui dénoncent les contrôles au faciès ou racistes et antiracistes. Vous confondez la reconnaissance de la discrimination avec la discrimination elle-même, au prétexte que pour dénoncer une différence de traitement, il faut reconnaître la différence. Vous vous appuyez sur une prétendue inexistence juridique de la couleur de peau, en laissant de côté qu'il existe des lois contre la discrimination raciale, contre l'incitation à la haine raciale, et que l'article premier de notre Constitution déclare, entre autres : "Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion."
Vous dites que l'introduction de CSP et autres classifications pollue le discours des sciences humaines par des arrières-pensées politiques, racistes, ségrégationnistes, etc., et vous aimeriez sans doute que laisse de côté ce genre de distinction. Très bien ! Mais que devient l'étude des sociétés, que deviennent les sciences humaines si on décide d'ignorer certains faits sociaux ?
@ZapPow
RépondreSupprimerDébat intéressant. Mais si on suit votre raisonnement il faudrait alors à la fois pour lutter contre la discrimination et donner une suite utile à ce genre d'étude sociologique ; reconnaître juridiquement ces sous-catégories de français susceptibles à la fois d’être discriminés (pour leur couleur, leur origine ethnique, régionale, leur religion, leur orientation sexuelle... que sais-je?) et inventer une procédure compensatoire ou de "discrimination positive"?
Beaucoup de bruit pour rien à mon sens. Si les mentalités doivent évoluer pour que les choses s'améliore laissons donc l'attirail juridique et légal de coté et oeuvrons plutot pour une ouverture des esprits et des coeurs par des réalisations culturelles qui auront leur influence à terme, par des réalisations communes, etc.
Ce qui me préoccupe aujourd'hui c'est le décalage de l'éducation et de la culture qui se produit chez les enfants dés le jeune age entre famille éduquée et famille populaire (TV, console, shit, etc.) et qui se poursuit tout au long du cursus scolaire. Ce que signale les études INSEE sur l’accès à l'université. Oui certainement que des mesures telles que la gratuité de l'accès à la culture et à l'éducation supérieure doivent être mises en place.
Je ne vois pas très bien ce que signifie "reconnaître juridiquement ces sous-catégories". Il me semble qu'il suffit de reconnaître l'existence des discriminations et leurs motifs.
SupprimerLa discrimination positive, c'est un autre problème. A priori, je ne crois pas qu'une discrimination puisse être "positive" : il y a toujours quelqu'un de discriminé, pour qui elle est négative.
D'accord avec votre dernier paragraphe. Mais pour ouvrir les esprits et les cœurs, il faut être conscient de ce qui les limite, et ne pas hésiter à le nommer. Un bémol toutefois : il n'y a aucune raison d'abandonner l'attirail juridique et légal, cet arsenal n'empêchant nullement d'œuvrer à l'ouverture des cœurs et des esprits, et permettant de régler certaines injustices.