Du
sommet UE-Turquie du 7 mars, il
se dit que la plupart des
propositions significatives - dont la légalité est d'ailleurs
contestée par
plusieurs
juristes, en particulier le
renvoi vers la Turquie de Syriens entrés dans Schengen via des
réseaux de passeurs - ont
été faites par Angela Merkel et par
le Premier ministre Néerlandais Mark Rutte. Certains
vont même jusqu'à considérer que la rupture entre la France et
l'Allemagne sur le sujet est « consommée », la France
ayant été complètement tenue à l'écart de la préparation du
somment.
Dans
ce cadre, il m'a semblé
utile de reproduire ici une partie d'un article de la spécialiste de
l'Allemagne Anna-Marie Le Gloannec intitulé La
puissance allemande : effet d'optique ou réalité
structurelle ? Et paru
dans Le Débat n°187. L'intégralité de cet excellent article est accessible ici.
Cet
extrait figure au sein d'une partie traitant de l'unilatéralisme
allemand. Il y est d'abord
question de la crise grecque,
de la diplomatie allemande et de la décision unilatérale de sortir
du nucléaire. Vient ensuite la question migratoire.
[Les
notes de bas de page ne proviennent pas de l'article mais sont des
ajouts que je fais pour expliquer certains points, ou tenter de
mettre à jour du fait de l'actualité récente].
***
« L'annonce
faire par Angela Merkel d'ouvrir la porte aux réfugiés syriens, en
particulier lors d'un sommet réunissant, le 27 août 2015, la
chancelière allemande, le chancelier autrichien et le Premier
ministre serbe (...) était également unilatérale, et elle a eu des
incidences non négligeables sur les pays voisins, méridionaux,
limitrophes ou non.
Certes,
l'annonce d'Angela Merkel n'était pas tout à fait imprévisible.
Elle se situait à la confluence de trois logiques. Premièrement,
l'Allemagne est devenue un pays d'immigration. Selon les statistiques
de l'OCDE, 400 000 immigrants s'y installaient durablement en 2012 et
faisaient de l'Allemagne le deuxième pays d'immigration derrière
les États-Unis,
qui attiraient alors un million d'individus. Il s'agit d'une
évolution récente car en 2009, elle ne détenait que la huitième
place. En 2012 cependant, il s'agissait essentiellement d'une
migration intra-européenne, les immigrants venant de pays de l'Est
et du Sud du continent. La chancelière avait enregistré ses
évolutions. Alors que son parti avait longtemps refusé la
perspective ou la réalité des flux migratoires, Angela Merkel
déclarait en octobre 2014 que l'Allemagne était bien un pays
d'immigration.
Deuxièmement,
alors que la Libye s'installait dans le chaos et que la Syrie
s'enfonçait dans une terrible guerre civile, Berlin restait dans
l'expectative, refusant d'envisager toute intervention ou toute
frappe militaire. En revanche, elle ouvrait sa porte aux migrants.
Cette politique n'était pas sans rappeler le début des années
1990et l'éclatement de la fédération yougoslave. L’Allemagne
réunifiée avait cru réinventer une politique étrangère - une
certaine hubris
régnait alors à Bonn -, notamment dans les rangs des partis
conservateurs. Elle poussait à la reconnaissance des Républiques
qui pensaient à s'émanciper du joug de Slobodan Milosevic, sans
pour autant avoir les moyens ou la volonté de les défendre. En
revanche, ce fut l'Allemagne qui accueillit le plus grand nombre de
réfugiés (350 000), c'est à dire le double de ce que l'ensemble
des pays de l'Union européenne acceptèrent sur leur territoire.
Enfin,
en ouvrant ses portes aux réfugiés, le gouvernement allemand
prenait tout simplement en compte les dysfonctionnements, voire la
faillite des règlements dits « de Dublin ». Selon Dublin
II (2003) et III (2013), notamment, un demandeur d'asile dépose sa
demande dans le premier État partie prenante du dispositif sur le
territoire duquel il pénètre, en clair, le plus souvent, l'Italie
ou la Grèce, voire la Bulgarie. De fait, comme il s'agit d’États
dont les capacités de réception des demandeurs d'asile et de
traitement des demandes sont relativement limitées1,
à la fois en raison de faibles moyens financiers ou en personnel, et
de l'afflux considérable d'immigrés, en particulier depuis le début
de la décennie et des révoltes arabes, comme aussi les demandeurs
d'asiles préfèrent des pays réputés plus prospères comme
destination finale et ne peuvent ni ne veulent s'y faire enregistrer,
le règlement de Dublin III n'est pas ou mal appliqué2.
Devant
l'afflux croissant de demandeurs d'asile venus de Syrie – mais
aussi d’Érythrée ou d'Afghanistan, par exemple, et de migrants
dits économiques fuyant la pauvreté des Balkans en particulier -,
la chancelière suspendit, implicitement, l'application du règlement
en autorisant l'examen des
demandes d'asile en Allemagne qui, depuis la première convention de
Dublin (1990) consécutive à
la création de l'espace Schengen et les premier accords de
réadmission, c'est-à-dire le renvoi d'individus ayant illégalement
passé les frontières, était théoriquement à l’abri de flux
migratoires non désirés, protégée par une barrière d’États
dits « sûrs ». Angela Merkel inversait ainsi la
politique officielle des années 1990 et 2000. Elle suscitait
cependant l'espoir de demandeurs d'asile, dont le départ de Syrie ou
d'Irak s'accélérait, précipité par ce que dans les années 1950
et 1960 les Allemands avaient appelé « Torschlusspanik »,
la peur que la brèche (alors
entre les deux Allemagne) ne se referme. Enfin, au lieu de soulager
les premiers pays d'accueil, la décision de la chancelière a pour
effet pervers de faire porter le poids du transit, des contrôles
-ou non – et de la réception de dizaines de milliers de personnes
à des pays pauvres, comme la Croatie, ou en tout cas hostiles, comme
la Hongrie, tout en se coordonnant avec sa voisine autrichienne3.
Elle démontrait aussi que
l'Allemagne n'a pas pensé tous les aspects de sa politique, pas plus
en Allemagne que hors de ses frontières. L'office fédéral chargé
des migrants et réfugiés n'a ni les ressources en personnel ni les
ressources financières pour traiter de nombreuses nouvelles
demandes, sans parler des anciennes. Elle démontrait enfin la
fragmentation d'une Europe théoriquement unie par Schengen et
Dublin, alors que les espaces nationaux déterminent les stratégies
migratoires. Effet pervers ? Peut-être, mais dont toute l'Union
et l'Europe sont responsables à force d'incohérence et
d'imprévision.
Toujours
est-il qu'Angela Merkel imposait à l'UE les conséquences des ses
décisions et qu'elle ne craignait pas pas contradictions. Constatant
l'incapacité matérielle de gérer un tel afflux de réfugiés en un
temps aussi bref, prenant également en compte les contestations et
critiques de l'opinion publique et des partis conservateurs ainsi que
la montée de l'opposition, elle proposait, en octobre 2015,
l'ouverture de nouveaux chapitres dans la saga des négociations
d'adhésion, alors qu'elle n'avait jamais voulu de la Turquie dans
l'Union. L'objectif est de traiter la Turquie comme un pays sûr –
ce qu'elle n'est pas étant donné l'autoritarisme du régime et sa
politique d'attisement des conflits - et de constituer un sas entre
la Syrie et l'Europe. Autant
de principes erronés....
1
- C'est spécialement vrai de la Grèce, tenue d'appliquer des mesure d'austérité qui détruisent peu à peu l’État grec. Il y a évidemment un lien entre les politiques économiques imposées au nom de la pérennité de l'union monétaire, qui rongent peu à peu toutes les marges de manœuvre des États, et la difficulté de certains pays à faire face à l'afflux de migrants.
2
- En réalité, les accords de Dublin II prévoient une « clause de souveraineté », c'est à dire la possibilité, pour un pays qui n'est pas le pays d'entrée, d’assumer volontairement la responsabilité du traitement des demandes d'asile pour lesquels il est pas géographiquement responsable. Ceci dit, cela n'avait pas encore été joué réellement.
3
- Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L’Autriche a décidé, lors d'un sommet organisé le 24 février avec les pays des Balkans mais sans l'Allemagne, d'instaurer un quota de migrants accueilli quotidiennement. Le chancelier autrichien a demandé le 5 mars à l'Allemagne d'établir à son tour un quota annuel d'accueil.
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