[ Ce texte est la traduction d'un article paru sur le Spiegel online ]
***
Depuis la réunification, la Saxe est généralement considérée comme un modèle de réussite au sein de l'Allemagne de l'Est. Récemment pourtant, l'image du Land s'est brouillée. Les marches hebdomadaires de Pegida, auxquelles s'ajoutent des salves continues d'attaques anti-migrants, soulèvent des questions difficiles
Horst Hirsch a tout vu venir. Il a prévenu que l'Allemagne entière risquait un jour de ressembler à des villes telles que Duisburg ou Cologne, peuplées d'une population immigrée massive et visible. Il a averti que le pays allait commencer à perdre son identité en raison de l'afflux d'étrangers. Il s'est demandé à voix haute : « Voulons-nous que notre pays devienne musulman ? ».
Hirsch, 72 ans , originaire du massif de l'Erzgebirge dans le sud de la Saxe, a dit tout ce qu'il avait à dire dès le 21 janvier 2015, presqu'un an avant les agressions de la Saint-Sylvestre à Cologne. Il participait alors à une réunion de 300 habitants de Saxe qui se tenait au Centre international des congrès de Dresde, et qui avait pour but d'évoquer les questions d'asile et d'intégration avec des dirigeants politiques. Depuis des semaines, le groupe anti-immigrés Pegida arpentait les rues de Dresde, et le gouvernement du Land voulait essayer d'enrayer le phénomène grâce au dialogue. Par hasard, Hirsch s'était retrouvé à une table avec le gouverneur de Saxe Stanislaw Tillich, membre de la CDU, le parti de la chancelière Merkel.
Ce soir-là, Hirsch avoua qu'il était préoccupé à l'idée de devenir un étranger dans son propre pays et qu'il s'inquiétait de l'«idéologie militante de l'islam ». C'est aussi lors de cette soirée que Tillich, assis à un table de 26 personnes, fit une déclaration on peut plus claire : «L'islam ne fait pas partie à l'identité allemande ».
Un an plus tard, le gouverneur de Saxe ne regrette pas sa déclaration de ce soir-là. Mais il commence à désespérer de son Land. C'est un matin ensoleillé de la fin janvier à Dresde et le gel couvre encore les rives de l'Elbe qui serpente à travers la ville. Tillich ouvre la fenêtre de son bureau pour laisser entrer un peu d'air frais. Comme tous les lundis, il est contraint de regarder ses concitoyens défiler dans le centre historique de la ville en agitant des drapeaux de Pegida. Nombre d'entre eux ont longtemps soutenu la CDU, mais ils accusent maintenant Tillich d'être un «Volksverräter », un terme qui date de l' époque nazie et qui signifie « traître à son peuple ». Le gouverneur se sent seul lors de ces journées. Où sont les églises, les syndicats, les milieux d'affaires et les artistes? Pourquoi y a-t-il si peu de monde pour marcher face à Pegida ? « C'est un défi pour l'ensemble de la société », affirme Tillich.
Un abcès de fixation difficile à comprendre
Les marches de protestation hebdomadaires contre la disparition programmée de l'Occident se poursuivent à Dresde depuis plus de 12 mois, et elles sont appelées à continuer. Les organisateurs ont déjà réservé des places du centre-ville en vue de leurs manifestations jusqu'à la fin mars. Qu'est-ce qui cloche en Saxe ? Cet abcès de fixation est une énigme pour Tillich, comme pour beaucoup de monde dans le pays. Cela a également attiré l'attention de la presse étrangère. Le Time magazine a par exemple fait une Une sur Pegida avec le titre suivant : « Unwelcome ».
Récemment, l'image du Land s'est assombrie un peu plus encore. Jeudi dernier dans la soirée, une foule en colère scandant « nous sommes le peuple » a bloqué un bus plein de réfugiés dans la ville de Clausnitz, près de la frontière de la Saxe avec la République tchèque. La vidéo de la scène, où l'on voit clairement la peur des réfugiés - des enfants pour certains - à l'intérieur du bus, a rapidement été diffusée à travers le pays et au-delà. Puis le samedi soir, une auberge dédiée à l'accueil de réfugiés dans la ville de Bautzen, juste à l'est de Dresde, est partie en fumée à l'occasion de ce que la police identifie clairement comme un incendie criminel. Certains passants ont tenté d'empêcher les pompiers d'éteindre le feu et « ont manifesté leur joie non dissimulée de voir le bâtiment en proie aux flammes, et de savoir que les demandeurs d'asile ne seraient probablement pas en mesure d'y venir prochainement » a témoigné Thomas Knaut, de la police de Bautzen.
Les effets d'un racisme aussi flagrant sur l'économie du Land sont devenus visibles. Les touristes se tiennent à distance, et des scientifiques étrangers annulent des visites prévues dans certains instituts de recherche et universités de Saxe, peu désireux de passer du temps dans le bastion de Pegida. Les manifestations xénophobes « sont en train de détruire l'image de Dresde dans le monde », déplore Christian Thielemann, principal chef d'orchestre de la Staatskapelle de Dresde, le célèbre orchestre de la ville. Il aimerait voir interdites les marches de Pegida en centre-ville.
Avant le début des manifestations de Pegida, la ville était célèbre pour ses lieux de culture : son musée Grünes Gewölbe (musée de la Voûte Verte), « musée trésor » créé par Aguste le Fort, son théâtre Staatsschauspiel, sa célèbre collection de peintures de maîtres. Une étude PISA réalisée en 2012 avait par ailleurs indiqué que le système d'éducation du Land était le meilleur d'Allemagne, et Dresde était largement considérée comme une locomotive économique de l'ancienne Allemagne de l'est.
Et maintenant ? Les groupes anti-migrants de Saxe peuvent organiser jusqu'à 40 démonstrations par semaine. Un cinquième des attaques contre des lieux d'hébergements de réfugiés en Allemagne a eu lieu en Saxe en 2015, selon Mediendienst Integration, une organisation qui recense les faits et agrège des statistiques. Le patron de la police de Leipzig, Bernd Merbitz, met en garde contre une «ambiance de pogrom » contre les migrants dans la région. Ces derniers mois, il a souvent été dit que l'opinion publique allemande était en train de se retourner sur la question. En Saxe, c'est déjà largement le cas. Le Land offre un parfait exemple de ce qui arrive lorsque la société civile perd son sang-froid.
" Reconnaissant envers Pegida "
A Flöha, une ville près de Chemnitz, Horst Hirsch est assis dans la petite cuisine de son appartement de rez-de-chaussée, des photos de ses quatre enfants et huit petits-enfants accrochées au mur derrière lui. Cet homme affable aux cheveux argentés, portant lunettes et barbe, était surveillé par la Stasi, la police secrète est-allemande, avant la chute du Mur. Ses enfants n'étaient pas autorisés à s'inscrire à l'université. Il travaillait pour un groupe de jeunes Évangéliques afin de gagner sa vie.
La table est dressée avec de la vaisselle bleue à motifs et un mât de drapeau s'élève à l'extérieur. A côté de la fenêtre de la cuisine pend l'Ordre du mérite de la République fédérale d'Allemagne, qu'il a reçue en 2003 des mains du président d'alors, Johannes Rau, pour son implication dans le travail de jeunesse, pour sa résistance au régime Est-Allemand et pour son engagement en faveur des Roms de Roumanie.
C'est ce même Horst Hirsch qui a pris part à des manifestations de Pegida - par curiosité, dit-il. Mais aussi parce qu'il est heureux « qu'il y ait des gens qui osent ouvrir leur bouche. Ça fait retomber un peu pression ». Hirsch pense que l'Allemagne devrait être reconnaissante envers Pegida « parce qu'étape par étape, les politiciens commencent à adopter des positions exigées de longue date par les manifestants de Dresde ».
Hirsch considère que le gouvernement allemand s'est déporté à gauche, une évolution très peu populaire en Allemagne de l'Est. Il lui semble voir la réapparaître de vieilles idées socialistes qui promettent aux gens une sorte de paradis. Un exemple selon lui : l'insistance de Merkel à répéter au sujet de la crise des réfugiés : « nous pouvons y arriver ». C'est une tentative de manipuler la population, conformément à ses propres objectifs et de faire taire les voix critiques, dit-il. « Les gens de l'Est s'aperçoivent de ces choses parce qu'ils l'ont déjà vécu auparavant. Nous avons connu la propagande et l’assentiment forcé », dit-il. Les gens, poursuit-il, ne veulent pas de l'islam, et les réfugiés doivent respecter les traditions du pays au lieu de « se donner des airs ». Mais quelles sont exactement les traditions du pays ? « Le christianisme. Voilà ce qui définit l'ordre social en Allemagne ».
Les statistiques montrent que 4 % de la population en Saxe est catholique, et 19 % protestante. En revanche, 75 % de la population se dit sans religion. Quarante années de socialisme ont effacé la religion dans ce Land. Hirsch n'en est pas moins convaincu que cette tradition religieuse tient la société ensemble. Et que l'islam représente une menace pour l'ordre social traditionnel. Les événements de Cologne le soir de la Saint-Sylvestre en témoignent clairement, selon lui. Il en déduit que l’État doit sévir, et que la police doit devenir plus énergique. Les événements comme ceux de Cologne « sont les premiers fruits de politiques laxistes », assure-t-il.
La peur du multiculturalisme
Mais pourquoi les Allemands de l'Ouest n'aboutissent-ils pas aux mêmes conclusions ? Pourquoi n'y a-t-il pas de manifestations de masse là-bas ? Hirsch estime que l'Ouest manque tout simplement d'expérience. Les Allemands de l'Est, eux, ont réalisé en 1989 que prendre d'assaut la rue pouvait conduire à un changement radical. Bien que les habitants de la Saxe soient des gens cosmopolites, Hirsch estime qu'il ont peur de l'islam et du multiculturalisme. Il pense que les manifestations à Dresde continueront « parce que le problème persiste et parce qu'il n'y a pas d'élections importantes bientôt qui pourrait changer les choses ».
La conversation avec Horst Hirsch dans sa cuisine fut largement sympathique. A aucun moment il n'a dénoncé les « journalistes aux ordres », comme Pegida le fait. Au lieu de cela, il s'est borné à présenter tranquillement son point de vue. Une telle discussion pourrait-elle jeter les bases d'un débat sociétal plus large?
Hélas, peu de temps après, Horst Hirsch a envoyé un mail furieux à la rédaction du Spiegel. Il était bouleversé par le traitement réservé par le journal au parti populiste de droite Alternative pour l' Allemagne (Afd). Tout à coup, il ne voulait plus être cité par son nom dans un « organe de gauche », raison pour laquelle nous avons choisi d'utiliser un pseudonyme, Horst Hirsch, pour parler de lui. Au cours de l'entrevue, il avait semblé satisfait par la tentative d'entamer le dialogue, mais dans son mail, il a précisé que celui-ci était définitivement rompu.
Il est difficile de comprendre pourquoi c'est en Saxe que le discours est devenu si radical, les positions si inflexibles et les possibilités d'échange si limitées. Beaucoup de gens suivent cette évolution de la situation depuis un certain temps, et l'un d'entre eux se nomme Omar Allham. Lui aussi, a pris part à des marches à Dresde, mais aux contre-manifestations protestant contre l'islamophobie et la craintes des étrangers exprimées par les gens comme Hirsch. Né en Syrie, Allham a participé à une manifestation d'environ 150 personnes sur une place de Dresde pour défendre la diversité de la ville face à plusieurs milliers de partisans de Pegida. Allham ne comprend toujours pas pourquoi davantage de personnes ne viennent pas protester. «Il faut montrer que Dresde, ce n'est pas seulement Pegida », explique-t-il.
Allham vit dans la capitale de la Saxe depuis 22 ans. Il est arrivé de Damas en Allemagne de l'Est en 1986 pour étudier la médecine. Pendant ses années universitaires, Allham dit n'avoir jamais été confronté au racisme. « Nous venions de différents pays, nous étions amis avec d'autres étudiants allemands, et nous avions tous un objectif commun : devenir de bons médecins », se souvient-il.
« Content d'être en sécurité »
Tout ceci a soudainement changé avec la fin de l'Allemagne de l'Est. Les railleries, les menaces et même la violence physique sont devenues un phénomène courant. « Souvent, je suis juste heureux d'être en sécurité à la maison », dit Allham. Il se rappelle le début des années 1990, lorsque des skinheads et des néo-nazis traquaient les immigrés, sans craindre d'intervention de la police.
Allham a acquis la citoyenneté allemande il y a longtemps et travaille à présent au centre de cardiologie à l'hôpital universitaire de Dresde. Il vit dans le quartier Gründerzeit dans l'est de la ville, qui abrite surtout la classe moyenne. Tout comme Hirsch, il croit en Dieu, bien que le dieu d'Allham s'appelle Allah. Et contrairement à Hirsch, Allham ne croit pas que la religion doive avoir quoique se soit à voir avec la politique.
Un coup d’œil sur l'histoire de la Saxe peut aider à comprendre pourquoi les peurs identitaires peuvent y être ressenties plus fortement qu'ailleurs. C'est en Saxe en effet que la Réforme commença à prendre racine. Jean-Sébastien Bach a affirmé son génie artistique ici, et la Saxe a également développé sa propre formule pour la fabrication de la porcelaine, une grande réussite de la chimie allemande. « La Saxe bouillonne d'idées », affirme Martin Roth, qui a dirigé la Staatliche Kunstsammlungen - une collection d'art de renommée mondiale.
Pourtant, le Land a longtemps eu une relation problématique avec sa propre identité. La région était le centre de gravité culturel du monde germanophone, mais au nord, le voisin prussien étaient beaucoup plus puissant. On y était bien éduqué, il s'y trouvait une classe moyenne confiante en elle-même et la prospérité était au rendez-vous, mais la région a néanmoins été parmi les premières à apporter son soutien aux nazis. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’État a subi des bombardements comparables, sur sa capitale, à ceux de Hambourg ou de Cologne. Mais en Saxe seulement s'est développé une sorte de culte du deuil qui demeure présente à ce jour. « A Dresde, vous pouvez toujours sentir les effets de ce brouillage identitaire ayant eu lieu pendant et après le Troisième Reich », rappelle Roth.
À quelques kilomètres de Dresde se situe Kötzschenbroda, un quartier de la ville de Radebeul. Des maisons anciennes y entourent la place centrale, leurs rez-de-chaussée étant souvent occupés par de petits magasins ou des pubs avec des noms tels que « Vieux dispensaire » ou « Bateau à vapeur », et l'odeur des spécialités du coin est immanquable.
L'écrivain Jörg Bernig est venu s'installer dans cette petite ville proprette il y a 14 ans, et y a rénové une maison du XIX° avec sa femme. Aujourd'hui, l'endroit est tout aussi attrayant et confortable que le « Vieux Dispensaire ». Bernig pourrait être complètement satisfait de sa vie. Mais cet homme de 52 ans se sent en rupture avec son pays, ses politiciens, ses médias et sa scène culturelle. Bernig, qui est membre de l'Académie des Arts de Saxe, est incommodé par cette forme de politiquement correct qui impose le multiculturalisme et ignore « le besoin l'homogénéité des gens ».
« Colère partout »
Cette « propagande venue d'en haut » explique Bernig au cours d'une promenade à travers le cimetière de l'église de Kötzschenbroda, "c'est ça qui bouleverse les gens en Saxe". Le gouvernement s'aliène les gens « qui rejettent la politique d'admission illimitée des réfugiés ».
« Colère Partout », tel est le titre Bernig a choisi pour un article qu'il a écrit sur l'état de l'Allemagne aujourd'hui, dans un monde qui a largué toutes les amarres. Le texte évoque étrangement les idées brassées dans les marches Pegida à Dresde, même si elles sont articulées plus élégamment.
Au lieu d'utiliser, à l'instar de Pegida, le terme chargé de Volksverräter (traître à son peuple), Bernig écrit: « quelle rage le gouvernement fédéral suscite-t-il en battant en brèche la souveraineté de l'État et en ouvrant les portes toutes grandes – et même en lançant un appel – à une immigrations de masse incontrôlée ». Au lieu d'adopter l'expression Lügenpresse ou « presse aux ordres », il écrit: « quelle colère aussi pour nous, le peuple, que de s'entendre quotidiennement dire comment penser. Écoutez le ton de réprimande employé par le journal du soir dès qu'il s'agit d'évoquer les personnes qui osent critiquer la politiques d'accueil des réfugiés ».
Le quotidien Sächsische Zeitung basé à Dresde était inquiet de l'impact qu'aurait la publication de l'article, mais celui-ci est finalement paru le 21 décembre. Et il a eu un large écho. « Merci d'avoir le courage de publier ce papier », écrivait un lecteur. Un autre était d'avis qu'il était devenu impossible « d'être fier de l'Allemagne », et que l'on ne pouvait plus « penser et parler en des termes autres que ceux de l'esprit 1968 ».
La lutte contre « l'esprit 1968 », qui se réfère au mouvement anti-establishment qui s'est développée en Allemagne pour protester contre le conservatisme des générations de l'immédiat après-guerre, est un cheval de bataille central en Saxe. La modernisation de la société qui s'est produite en Allemagne de l'Ouest après les révoltes étudiantes à la fin des années 1960 y est considérée par de larges pans de la classe moyenne comme un mal absolu. L'Allemagne moderne n'a jamais été très bien perçue en Saxe, et pas seulement dans les vallées étroites des montagnes Erzgebirge. De nombreux représentants de la classe moyenne éduquée de Dresde nourrissent une nostalgie du passé. Cette nostalgie est cultivée, en Allemagne de l'Est, via des concerts ou des lectures de poésie qui se tiennent dans des salons privés.
Un passé glorieux
Le rétablissement d'une société civile pré-socialiste était l'un des objectifs les plus importants pour eux après la réunification. C'est un désir que Kurt Biedenkopf, l'homme politique Ouest-allemand CDU devenu gouverneur de Saxe en 1990, a compris et encouragé. Il pensait que les gens étaient mieux à même de faire face à des bouleversements politiques s'ils pouvaient se référer à un passé glorieux et de cultiver un sentiment patriotique. Il prenait en exemple la Bavière, où règne la même sorte de fierté.
À l'initiative de la CDU, le parlement du Land a décidé de déclarer la Saxe « État libre » une fois de plus, se référant à son histoire du 19ème siècle. Sur le plan politique, c'était sans conséquence, mais la mesure était symbolique. Les habitants de Saxe ont apprécié et cela a servi ses ambitions politiques. L'homme qui avait redonné son identité à la Saxe, Kurt Biedenkopf pouvait désormais tenir tête à son adversaire politique d'alors le chancelier Helmut Kohl, d'une manière que seul le gouverneur de Bavière Franz-Josef Strauss pouvait s'autoriser avant lui. A l'époque, le Spiegel avait fait une Une sur la Saxe, avec Biedenkopf représenté à cheval tel le prince Auguste le Fort. Cette couverture était encore accrochée dans le bureau du gouverneur des années après.
Un politiste considère que l'une des explications de Pegida réside dans un tel régionalisme. Il évoque une sorte de « chauvinisme saxon » : l'idée que les habitants de la Saxe savent mieux que tous les autres ce qui est juste et bon.
A Kötzschenbroda, l'écrivain Bernig est en quête d'autres qualificatifs pour décrire le caractère saxon. Les citoyens de « l'État libre », dit-il, ne sont pas « ringards », ils veulent juste protéger leur spécificité. Ils ont été contraints d'endurer des bouleversements importants depuis 1990, dit-il. « A présent, ils ont besoin de temps pour réfléchir et pour se poser. Ils ne veulent pas des conflits potentiellement générés par des cultures importées ».
Pourtant, quand se produit de la violence en Saxe, ce sont surtout des locaux qui sont responsables, ainsi qu'on peut le voir dans les rapports de police d'un week-end d'hiver pris au hasard. A Chemnitz, trois hommes masqués poursuivent deux migrants à travers la ville et démolissent kebab, blessant le propriétaire et l'un des migrants. A Bautzen, deux hommes attaquent le stand d'information d'une organisation pro-diversité. Le même week-end, les extrémistes de droite mettent le feu à une auberge ayant hébergé des demandeurs d'asile. A Altenberg, une ville des monts Erzgebirge, un homme portant un casque d'acier et arborant une moustache Hitler court après deux Afghans. Il bat l'un des deux et lève le bras dans un salut hitlérien. A Meissen également, la maison de la célèbre manufacture de porcelaine, lieu qui était en cours de préparation pour recevoir des réfugiés, a été incendiée. Avant l'incendie, il y avait eu des menaces anonymes. Les mots placardés sur la porte enjoignaient les futurs résidents à quitter « notre Meissen » aussi vite que possible.
Nocif pour l'image de la CDU
La cible de l'incendie criminel se trouvait à quelques centaines de mètres de la manufacture de porcelaine, qui a reçu quelque 90.000 touristes en 2015. « Certaines personnes à Meissen n'aiment les étrangers que quand ils dépensent de l'argent, puis repartent à 18 heures », affirme Walter Hannot.
Originaire Rhénanie, Hannot vit en Saxe depuis 1991. Il est membre de la Démocratie chrétienne depuis sa jeunesse, et a été chef adjoint de la CDU à Meissen pendant un peu moins d'un an. Il a organisé des veillées aux chandelles contre le racisme. Mais beaucoup de ses camarades militants ne sont pas particulièrement ravis par ces événements, les estimant préjudiciables à l'image de la CDU. Un militant de la CDU, qui a fait partie du personnel politique de la ville, est devenu l'un des fondateurs de Pegida, et rédige des messages haineux sur sa page Facebook. Mais le parti a néanmoins refusé de l'exclure. Un autre chrétien-démocrate de Meissen, Geert Mackenroth, est devenu « commissaire de Saxe » pour les étrangers, mais préfère se faire appeler « commissaire aux indigènes ». Il a adopté des positions proches de celles défendues par Alternative pour l'Allemagne.
Dans un tel climat, il est devenu difficile de défendre d'autres points de vue. Un groupe, appelé « Meissen diversité » promeut la coopération entre la Saxe et les réfugiés. Mais de nombreux commerçant préfèrent ne pas placarder les affiches de ce groupe, de peur de recevoir un pavé dans leurs vitrines. « Il y a des patrouilles dans la ville», dit Hannot. « Je commence à me sentir étranger moi, ici, à Meissen ».
Le problème de racisme de Saxe n'est pas seulement apparu l'année dernière. Il existe depuis longtemps des coins où les néo-nazis sont puissamment implantés. L'escalade de la violence d'extrême-droite, le succès de Pegida, les manifestations xénophobes : Dietrich Herrmann, spécialiste de sciences sociales à l'Université technique de Dresde, estime que ce n'est pas un hasard si de telles choses se produisent en Saxe. Au contraire, fait-il valoir, c'est le produit de la culture politique du Land. Pendant des années, les manifestations de la droite radicale ont été ignorées et banalisées par les autorités.
Andrea Hübler, qui travaille pour une association d'aide au victimes de la violence d'extrême-droite, est d'accord. « Pendant des années, très peu a été fait pour contrer la folie quotidienne en Saxe », déplore-t-elle. Chaque jour, des comptes-rendus d'attaques contre des migrants atterrissent sur son bureau. Au nom de son association, Hübler a passé d'innombrables heures, au cours des dernières années, à des procès contre les auteurs de violence extrémiste. Son diagnostic est sans appel. Selon elle, il faut souvent des années avant les contrevenants finissent au tribunal, et les motivations politiques sont généralement ignorées. Pour elle, la fermeté judiciaire souvent invoquée n'existe presque pas dans la pratique.
Au lieu de cela, les activistes qui militent contre le racisme et les néo-nazis sont harcelés. Pendant plusieurs années, la police de Saxe s'est même évertuée à enquêter sur un présumé « Club de sort antifa », soupçonné de traquer les néo-nazis. Des appartements ont été perquisitionnés, des prélèvement ADN ont eu lieu, et plus de 200.000 téléphones ont été espionnés. Il y a un an et demi, l'affaire a été classée. Le leader présumé du groupe n'a été convaincu que d'avoir pris part à une manifestation pacifique contre les néo-nazis.
« Un problème à gauche »
Lorsque plus de 250 néo-nazis et des hooligans ont dévasté le quartier Connewitz de Leipzig en janvier, le chef de la police de Saxe, Jörg Michaelis, a mis en garde... contre l'extrémisme de gauche, et non pas contre la violence d'extrême-droite. Des anarchistes s'étaient trouvé engagés dans une bataille de rue avec la police de Leipzig juste avant Noël. « Nous avons un sérieux problème à gauche », a affirmé Michaelis lors d'une réunion de la CDU à Dresde.
Et maintenant? Est-ce que tout va continuer comme d'habitude en Saxe pendant les prochains mois, voire les prochaines années? Est-ce que l'ordre public est compromis à un point tel qu'il n'y a plus de place pour un débat dépassionné ?
Il y a des endroits du Land où des politiques, des chefs religieux, des artistes et des hommes d'affaires s'opposent à Pegida depuis le début. A Leipzig, par exemple, la plus grande ville de Saxe. Le lundi 11 janvier par ailleurs, le maire social-démocrate Burkhard Jung, s'est joint à des milliers d'autres habitants de Leipzig, bougie à la main, pour manifester contre Legida, la section locale de Pegida. Les organisateurs du mouvement originel de Dresde avaient appelé à un grand rassemblement à Leipzig, mais leur succès a été limité. Les racistes et autres islamophobes n'ont jamais rencontré beaucoup d'audience ici, et trouvent souvent face à eux de nombreux contre-manifestants, comme cela arrive souvent dans les villes de l'Ouest.
Pourquoi Leipzig est-elle différente de Dresde ? Jung n'a pas de réponse immédiate à la question. Il réfléchit un certain temps, puis se penche sur son bureau de l' hôtel de ville et lance : « Leipzig est en constante évolution. Près la moitié de notre population s'est renouvelée depuis 1990. Beaucoup de nouveaux habitants viennent de l'Ouest ». Comme le maire lui-même d'ailleurs. Jung a grandi près de Cologne, et est arrivé à Leipzig en 1991. Leipzig est-elle devenue une ville Ouest-allemande ? « En termes de mentalités, je dirais que oui » répond Jung. « Nous sommes cosmopolites, et, en raison de nos activités économiques, nous ne sommes finalement pas trop saxons ».
Même à Dresde, toutefois, il y a des signes d'amélioration périodiques. Il fut un temps où l'anniversaire du bombardement de Dresde le 13 février 1945 faisait sortir des milliers de néo-nazis dans les rues pour protester contre le « bombardement Holocauste ». « Il y a eu des manifestations cette année également, mais elles étaient moins importantes, et ont été éclipsées par les 13.000 personnes qui ont formé une chaîne humaine pour dire leur opposition à la guerre, à la xénophobie et à l'extrémisme. « Ceux qui ferment leur cœur à des gens qui viennent chercher ici une protection n'ont pas compris le message du 13 février », affirme le maire de Dresde Dirk Hilbert.
Mais à peine cinq jours plus tard, alors qu'une foule bloquait le bus de réfugiés à Clausnitz, la petite victoire de Dresde contre l'extrémisme semblait déjà loin. Puis vint l'incendie de l'auberge de Bautzen. Qu'est-ce qui cloche en Saxe? Les interrogations demeurent.
Merci à vous d'avoir eu le courage de publier cet article.
RépondreSupprimerRebombardons Dresde !
RépondreSupprimer