Ce matin, alors que je baguenaudais dans quelque local administratif fleurant bon le Personal Computer en surchauffe et l’encre de photocopieur, un petit homme chenu, triste et poussiéreux, l’œil légèrement absent, l’haleine un peu fiévreuse et quelques rides d’amertume zébrant le coin de son museau bistre, un petit homme fatigué, donc, et qui se prétendait mon « chef », me remit un document intitulé « Lettre de mission », par lequel il m’invitait à devenir « actrice de la réforme » en ces termes abstrus :
« Vous êtes désignée comme chef du projet « simplification, information, formation ». A ce titre, vous êtes responsable de la conduite du changement dans le cadre de la lutte contre la sur-administration.
Vous assurerez la maîtrise d’ouvrage (MOA) du projet sus-cité. Vous veillerez à vous adjoindre un « chef de projet fonctionnel », qui, en tant que responsable de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMOA) sera chargé de l’information haute en direction du COPIL (comité de pilotage).
Préalablement au lancement de votre projet, vous mènerez une étude visant à établir les indicateurs adéquats de résistance au changement. Vous évaluerez le degré de criticité de ces risques et en rendrez compte au CODIR (comité de direction) et au COEX (comité exécutif).
Une fois le projet mené à bien, vous serez en charge du RETEX (retour d’expérience) afférant. Vous formulerez toute proposition que vous jugerez nécessaire afin de mesurer les écarts-types entre les objectifs initiaux et les livrables terminaux. Vous veillerez également à consigner les modalités de généralisation des bonnes pratiques que vous aurez pu identifier.
Afin de mener à bien votre mission, vous formulerez au préalable toutes les demandes qui vous sembleront opportunes en matière de ressources informationnelles ».
L’espace d’un instant, je me demandais si je n’avais pas été téléportée au siège de la Banque Centrale Européenne (BCE), où le technocrate Mario Draghi aurait fomenté un bizutage spécialement dédié à ma malheureuse personne, pour se venger de tout le mal que j’avais pu dire de lui jusqu’alors.
Après avoir tourné et retourné ma « Lettre de mission » en tous sens puis lancé alentour un regard affolé mais néanmoins circulaire, je m’aperçus que je venais de reprendre du service au sein de l’administration française, et qu’il allait falloir que je m’y fasse : il est grand temps pour moi de ne plus « résister au changement », et d'embrasser à pleines mains la « gestion de projet ».
Qu’avez-vous prévu, ce soir ?
Pour ma part, je compte regarder une émission sur mon écran plat, peut-être en Podcast, certainement en Dolby Surround. Peut-être live-twitterai-je, d’ailleurs, une partie de cette émission ?
Après cela, je mangerai une petite salade de diodes et une soupe d’électrodes en compagnie de Nono le Robot, mon nouveau petit ami.
Puis j’irai vite au lit pour pouvoir me lever demain à l’aube, car je ne sais pas vous, mais moi, j’ai une RGPP (révision générale des politiques publiques) à mettre en œuvre !
Puisqu'on vous dit que notre civilisation est plus évoluée que les autres….
J'attends avec impatience le prochain bouquin de Sokal et Bricmont démontrant avec maestria que les bureaucrates français sont des cuistres, qui manient un vocabulaire scientifico-mathématique saugrenu.
RépondreSupprimerHum.
RépondreSupprimerJ'ai connu exactement la même chose dans le privé (gros groupe industriel européen). La seule différence réside dans les termes: les mêmes mais en anglais.
Ca déroute puis on s'exécute puis on mute: on perd ses propres mots et l'esprit critique que l'on se targuait d'avoir auparavant et enfin on est remoulé à la sauce moderne des consultants en vide.
Bon courage!
benjamin.
Moi aussi, M'dame, j'veux conduire un changement ! Et à contresens sur l'autoroute A 13, si possible…
RépondreSupprimerRéjouissez-vous, Coralie, car la post-modernité vous veut aussi du bien.
RépondreSupprimerDepuis hier, vous pouvez bénéficier du quota de 40% si vous êtes A+, et on peut conjecturer que cela sera bientôt aussi le cas pour les A.
Le petit chef à l'haleine un peu fiévreuse n'a qu'à bien se tenir : il sera tôt ou tard votre adjoint...
Juste revanche des damnées de l'ATER (atelier de transformations et d'évaluations robotisées).
ha ouais c'est très drôle. Encore.
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