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vendredi 16 décembre 2011

"Crise", "dette" : vrais maux ou vains mots ? -- article invité --

Par Gérard Molines, invité de l'arène nue

Gérard Molines est enseignant. Il mène depuis quelques temps une réflexion sur la transformation insidieuse du sens des mots, ou sur la duplicité qui conduit à abuser de certains vocables. Il livre ici quelques clés pour comprendre de quoi "la crise" ou "la dette" sont le nom. Car pour Gérard Molines, il ne fait pas de doute que l'emploi ad nauseam de ces concepts sert à entretenir la peur sociale. CD


Vous avez remarqué, sans doute, que les propos quotidiens des uns et des autres privilégiaient les mots « CRISE » et « DETTE ». Deux notions bien confuses et combien étrangères aux préoccupations journalières du citoyen lambda.

Mais deux notions qui encombrent sans ménagement les trompes d’Eustache du citoyen lambda. Puis qui s’insinuent dans les ramifications neuroniques de son cerveau pour finalement choquer (voire brutaliser) son entendement. A force de répétitions visuelles et auditives, les systèmes neuroniques de nos citoyens sont encombrés de ces certitudes : « le monde est en crise ; la dette (laquelle ?) en est la cause » !

Et que le citoyen lambda ne s’aventure pas à contester cette vérité première ! Je m’en suis avisé il y a quelques semaines, en regardant Barack Obama ferrailler avec son opposition autour de la question du plafond de la dette américaine. Il se fit l’obligé des sénateurs et des représentants républicains aux Etats-Unis. Son combat contre la dette et la crise (car on a désormais lié les deux pour « expliquer » aux populations les dysfonctionnements du monde) consista à persuader ses alliés démocrates d’accepter la voie des coupes drastiques dans les dépenses fédérales et d’accélérer la restructuration des rapports Etat-populations. « Moins de services publics » proposa-t-il alors, car ce sont des dépenses lourdes. « Mieux d’Etat » dit-il encore en répétant une formule éculée des années 1970.

On dira qu’Obama n’est pas un modèle pour la France. Bien sûr que si ! J’écoutais récemment, sur une radio - encore - publique notre Ministre des finances et de l’économie, François Baroin, affirmer péremptoirement : « il faut diminuer toutes ces dépenses inutiles de l’Etat, celles qui prolongent les mauvaises habitudes et gênent la modernisation de notre pays ; la solution ce n’est pas l’augmentation des impôts (pour qui ?), c’est la meilleure gestion  des finances publiques ». C’est tout juste s’il nous dispensa du terme « gouvernance », préférant cette fois le laisser à Monsieur Barroso, le président de la Commission européenne.

En clair, et si l’on entend rester un citoyen lambda, la dette qui occupe tous les grands esprits - et à laquelle on ne comprend rien, nous, les gens de la base, c’est bien connu -, est génératrice de la crise. Il faut donc la combattre. Les instruments de cette lutte - toujours des mots de guerre ! - sont simples : on a trop dépensé ; on vit au-dessus de nos moyens, il faut économiser. Ainsi réduction des dépenses publiques et individualisation des dépenses privées (pour les ménages qui le peuvent) seront désormais les « deux mamelles de la France ». Il faut donc « responsabiliser » le citoyen ! D’ailleurs, il sait  bien, ce citoyen qu’un budget sain doit être en équilibre. C’est pourquoi on lui demande de cautionner la fameuse « règle d’or » (encore un concept nouveau, bien parti pour faire florès) dont la légitimation par un traité permettrait de constitutionnaliser « l’équilibre budgétaire » (3% du P.I.B). Au fait, si le P.I.B augmente (oh, si peu certes), les sommes à restreindre dans les dépenses (puisque les recettes seront plafonnées par la stabilisation de l’impôt) vont augmenter, non ?

A aucun moment la question de la nature perverse du capitalisme financier, celui qui fait de l’argent sur le dos de la communauté en spéculant sans cesse, ne sera posée. Car à aucun moment l’origine véritable de la dette et donc de la crise ne sera soulevée par les faiseurs d’opinion. De là à penser que ces deux vocables sont surexposés médiatiquement pour entretenir la peur sociale, il n’y a qu’un pas. Car, qui n’a pas peur du mot « crise » ? Qui ne redoute pas la dette et l’endettement, surtout par les temps difficiles qui fragilisent les pouvoirs d’achat ? Or, maintenir les hommes dans un état d’insécurité absolue n’est-il pas le meilleur moyen d’obtenir qu’ils redoutent de revendiquer, et qu’ils restent à chaque instant disponibles pour accepter n’importe quels emplois, à n’importe quel salaire ?

Qui dira enfin que LA CRISE est celle d’un système dont les excès improductifs et immatériels mènent les sociétés tout droit dans le mur ? Et qui osera enfin se demander pourquoi ceux-là même qui ont produit cette crise voient actuellement leur mission reconduite avec les louanges appuyés des toute la classe dominante ? Qui rappellera que si LA DETTE PUBLIQUE augmente depuis les années 1980, 75% du montant de cette dette est constitué par des intérêts cumulés qui enrichissent les investisseurs institutionnels - dont les banques d’affaires ! Et si LA DETTE PRIVEE, notamment celle des ménages, augmente depuis les années 1980, cela reste le signe d’une amélioration générale du niveau de vie des français. Pourquoi alors diaboliser l’endettement privé si ce n’est pour entretenir de la peur sociale ? Ne faudrait-il pas plutôt rappeler que tout est fait pour favoriser cette forme d’endettement, à commencer par l’acceptation (au nom de la liberté sans doute) de la multiplication d’officines de prêts à taux quasi usuraires ?

La peur telle que l’analysa Corey Robin [1], la peur toujours recommencée, telle est la nouvelle donne des temps modernes que nous imposent les édiles du XXI° siècle. Car avoir peur, c’est toujours manquer de sens critique et donc s’habituer à subir.


[1] Corey Robin, La peur, histoire d’une idée politique, Armand Colin, Paris, 2006.

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3 commentaires:

  1. Quand on veut bien se donner la peine d'expliquer les choses simplement, tout devient lumineux... Merci de l'avoir fait pour nous pauvres pêcheurs, amen!

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  2. Bonjour,

    Analyse très pertinente,à rapprocher de celle du rapport récent dirigé par M Hirsch,si si ,cela a vraiment de l'intérêt montrant l'origine de l'actuelle crise dans l'injustice économique massive de la distribution des revenus depuis 25 à 30 ans dans les pays occidentaux,réalité systématiquement évacuée par la plupart des politiques et des média!

    http://tempsreel.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20111214.OBS6743/interview-martin-hirsch-la-crise-profite-aux-plus-favorises.html

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  3. Dans le registre "détournement de mots", je vous invite à vous intéresser au travail de la Scop d'éducation populaire Le Pavé (avec le fameux Franck Lepage). Et notamment leurs stages de "désintoxication de la langue de bois".

    http://www.scoplepave.org/IMG/pdf/guide_de_desintoxication_de_la_langue_de_bois.pdf

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