On s’en doutait, mais on en a eu la confirmation ce week-end : il y a en France des débats interdits. Comme on évite de parler cul dans l’Iran de mollahs, il faut éviter, dans la France d’Alain Juppé, de Jean Quatremer ou d'Elisabeth Guigou, de parler de la droite allemande autrement que pour en dire du bien.
Comme l’explique Hubert Huertas ici, il y sans doute derrière un tel tabou, une forme de religiosité : on ne rigole pas avec le bon Dieu, et encore moins avec « l’Europe-c’est-la-Paix ».
Mais on ne rigole pas non plus avec le denier du culte. Or, pour beaucoup, l’affaire est entendue : l’Europe, c’est l’Allemagne qui la finance. Et la crise, c’est elle qui la paie.
Et si c’était précisément l’inverse ? Car il est bien difficile d’imaginer qu’un pays ayant financé sa réunification au prix fort accepte aujourd’hui de payer pour les autres, sans jamais exiger de contrepartie. Sans jamais exiger, notamment, que les pays les plus faibles (ceux pour lesquels l’Allemagne est supposée payer, donc) quittent l’Union, ou au moins la zone euro.
Par ailleurs, on observe :
- Qu’il n’a jamais été sérieusement envisagé de créer une union de transferts, seule susceptible, en principe, de rendre viable une zone économique partageant la même monnaie. Patrick Artus l’explique ici : les pays du Nord n’en veulent pas. L’Allemagne sans doute moins que les autres. Et pour cause : selon Jacques Sapir, elle devrait abandonner de 8 à 10% de son PIB chaque année pendant environ dix ans pour mettre à niveau les pays d’Europe du Sud. Croire qu’une telle chose est possible, c’est un peu comme croire que Monsieur Spock existe pour de vrai : au final, on risque d’être déçu.
- Quant à l’actuel budget européen, l’Allemagne y est certes le premier contributeur net. Mais enfin, il ne représente guère que 1% du PIB de l’Union. En outre, pour la toute première fois, il a été revu à la baisse (- 3%) pour la période 2014-2020. Tant de solidarité, ça fait vraiment rêver…
- La solidarité, on en revient également lorsqu’on se souvient du faible écho rencontré par la proposition française de créer des eurobonds afin de mettre en commun le financement des Etats : un « non » franc et massif des allemands, un joli bide pour l’Hexagone.
- L’Allemagne est enfin la première source de financement du MES, le mécanisme européen de stabilité, avec une contribution de 190 milliards d’euros. Mais enfin, la France contribue à hauteur de 142 milliards (oui : c’est énorme) et l’Italie, dans l’état où elle se trouve, à hauteur de 125 milliards.
Si l’on fait le bilan de tout ça, on est moins certain, finalement, de ce que l’Allemagne paie !
En revanche, on sait ce qu’elle gagne :
- L’excédent commercial allemand atteint des records, avec, notamment, un pic 188 milliards d’euros en 2012. Or l’Allemagne réalise 70% de ses exportations en Europe. C’est donc sur ses propres partenaires qu’elle engrange ces surplus.
- Cette performance a été permise par un gros effort de modération salariale : le salaire moyen a baissé de 2,5% de 2000 à 2010. Cela fait dire aux inconditionnels du modèle allemand que nous ferions bien, nous, cigales d’Europe du Sud, d’imiter notre sage voisin. Hélas, si un seul pays décide de contracter sa demande intérieure, il peut bénéficier de la demande de ses clients. Si tous les pays mènent cette politique en même temps, c’est la récession assurée pour tout le monde. Car pas de clients, pas d’exportations. Et pas de bras, pas de chocolat.
- L’Allemagne a besoin d’accumuler ces colossaux excédents en prévision de l’avenir. Comme l’explique Jean-Michel Quatrepoint dans Mourir pour le yuan, ce pays – tout comme la Chine – est vieillissant. Il y a donc urgence, pour lui, à engranger ce qui lui servira demain à financer les retraites. Bien plus qu’à créer des emplois pour une population active qui, elle, diminuera. Dès lors (voir la carte ci-dessous), ne sont-ce pas plutôt les actuels chômeurs d'Europe du Sud qui paient les retraites des Allemands de demain ?...
Voilà pourquoi, sans en espérer une réorientation immédiate de la politique européenne du gouvernement, on peut se réjouir que quelques représentant du PS se soient exprimés sur à la nécessité de remettre en cause le teneur actuelle de la relation franco-allemande. La chose mérite au moins d’être débattue, ne serait-ce que :
- Parce qu’il serait aberrant qu’un gouvernement socialiste s’interdise de critiquer un autre gouvernement de l’Union, de droite celui-ci. Sigmar Gabriel, le leader du SPD allemand, fait exactement la même chose lorsqu’il accuse Angela Merkel de conduite l’Europe à l’anorexie. Quant à la chancelière, elle ne s’est pas gênée pour intervenir personnellement dans les affaires intérieures de la France, et de prendre position, durant la campagne présidentielle de 2012, en faveur de Nicolas Sarkozy.
- Parce que l’Europe du Sud et celle du Nord n’ont pas les mêmes structures économiques, non plus que démographiques. Elles n’ont donc pas les mêmes contraintes. L’Allemagne vit essentiellement de ses exportations, et se satisfait volontiers d’une demande intérieure contenue. La France, beaucoup moins. En revanche, la démographie française, elle, est dynamique. D’où la nécessité de créer de l’emploi, pour accueillir les nouveaux entrants sur le marché du travail.
- Enfin, parce qu’il serait étonnant que la bonne santé de l’économie allemande dure éternellement si ses principaux clients s’abîment dans la récession. Et cela, à moins d’être des enfoirés germanophobes et de fort mauvais voisins, peut-être serait-il généreux de le lui dire.
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