Ce texte est la traduction d'un article de Hans Kundnani, paru dans la revue Foreign affairs de janvier-février 2015. Hans Kundnani est un spécialiste de la politique étrangère allemande et officie notamment au sein d'un Think Tank, le Conseil européen pour les relations internationales. Ses analyses sont souvent remarquables, mais il me semble hélas qu'elles sont assez peu relayées en France. C'est pourquoi j'ai traduit ce papier. Il dresse le portrait d'une Allemagne telle que nous ne la connaissons absolument pas, mais telle qu'elle est assez souvent décrite - pour ce que j'en ai lu - dans la presse anglo-saxone, bien moins "coincée" que la notre sur sujet-là, et qui se refuse à en faire un tabou. Attention, ça décoiffe !
***
L'annexion
de la Crimée par la Russie en mars 2014 a été un choc stratégique
pour l'Allemagne. Soudain, l'agression russe mettait en cause l'ordre
sécuritaire européen que la République fédérale tenait pour
acquis depuis la fin de la Guerre froide. Berlin venait de passer
deux décennies à tenter de renforcer ses liens politiques et
économiques avec Moscou, mais l'action de la Russie en Ukraine
suggérait que le Kremlin n'était plus guère intéressé par un
partenariat avec l'Europe. En dépit de la dépendance de l'Allemagne
au gaz russe et de l'importance de la Russie pour les exportateurs
allemands, la chancelière Angela Merkel a fini par accepter de
sanctionner la Russie. Elle a même contribué à persuader d'autres
États membres de l'Union européenne à faire de même.
Mais
la crise en Ukraine a rouvert de vieilles questions relatives à la
relation de l'Allemagne au reste de l'Occident. En avril 2014,
lorsque la radio allemande ARD demande à ses auditeurs quel rôle
leur semble devoir jouer leur pays dans la crise, seuls 45% se
prononcent pour une Allemagne au diapason de ses alliés de l'UE et
de l'OTAN. En revanche, 49% souhaitent que l'Allemagne joue un rôle
de médiateur entre la Russie et l'Ouest. Des résultats qui ont
inspiré à l'hebdomadaire Der
Spiegel
un édito daté de mai où il met en garde
l'Allemagne contre la tentation de détourner de l'Occident.
La
réponse germanique à la crise ukrainienne doit être replacée dans
le contexte d'un affaiblissement de long terme de ce qu'on nomme la
Westbindung,
c'est à dire l'arrimage du pays à l'Ouest, en vigueur depuis
l'après-guerre. La chute du mur de Berlin et l'élargissement de
l'Union européenne ont libéré le pays de la dépendance à l'égard
des États-Unis que lui imposait l'impératif de se protéger contre
l'Union soviétique. Dans le même temps, l'économie allemande, très
dépendante aux exportations, est devenue plus tributaire de la
demande des marchés émergents, notamment du marché chinois.
Le
pays a beau rester attaché à l'intégration européenne, ces
facteurs permettent tout à fait d'imaginer une politique étrangère
allemande post-occidentale. Un tel changement a des enjeux de taille.
Étant donnée la montée en puissance de l'Allemagne au sein de
l'UE, les relations du pays avec le reste du monde détermineront
dans une large mesure celles de tout l'Europe.
Le
paradoxe allemand
L'Allemagne
a toujours eu une relation compliquée avec l'Occident. D'un côté,
bon nombre des idées politiques et philosophiques qui comptent à
l'Ouest proviennent d'Allemagne, avec des penseurs aussi majeurs
qu'Emmanuel Kant. Mais d'un autre côté, l'histoire intellectuelle
allemande est mêlée d'éléments plus sombres, qui ont parfois
menacé les valeurs occidentales, comme le courant du nationaliste du
début du XIXe siècle. À partir de la seconde moitié du XIXème,
les nationalistes allemands ont cherché à définir l'identité
allemande par opposition avec les principes rationalistes et libéraux
de la Révolution française et les Lumières. Le phénomène a
culminé dans le nazisme, que l'historien Heinrich August Winkler a
défini comme « l'apogée du rejet germanique du monde
occidental ». Dès lors, l'Allemagne était un cas paradoxal.
Elle était partie intégrante de l'Occident tout en le défiant
radicalement de l'intérieur.
Après
la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne de l'Ouest participe à
l'intégration européenne, et, en 1955, elle rejoint l'OTAN. Pour
une bonne quarantaine d'années, la Westbindung,
conduit l'Allemagne à prendre des initiatives de sécurité
conjointes avec ses alliés occidentaux, ce qui représente pour elle
une nécessité existentielle l'emportant sur tout les autres
objectifs de politique étrangère. Le pays continue de se
définir comme une puissance occidentale tout au long des années
1990. Sous le chancelier Kohl, l'Allemagne réunifiée décide
d'adopter l'euro. À la fin de la décennie, elle semble même se
réconcilier avec l'utilisation de la force militaire pour
s'acquitter de ses obligations de membre de l'OTAN. Après le 11
septembre 2001, Gerhard Schröder promet aux États-Unis une
« solidarité inconditionnelle » et engage des troupes en
Afghanistan.
Toutefois,
au cours de la dernière décennie l'attitude de l'Allemagne envers
le reste du monde occidental change. Dans le débat sur
l'intervention en Irak en 2003, Schröder évoque l'existence d'une
« voie allemande », qui se distingue de la « voie
américaine ». Et depuis lors, la République fédérale n'a
cessé d'affermir son opposition à l'usage de la force armée. Après
son expérience en Afghanistan, elle semble avoir décidé que la
meilleure leçon à tirer de son passé nazi n'était pas « plus
jamais Auschwitz » - l'argument précisément invoqué pour
justifier la participation à l'intervention l'OTAN au Kosovo en 1999
- mais « plus jamais la guerre ». D'un bout à l'autre de
l’échiquier politique, les responsables allemands définissent
désormais leur pays comme une Friedensmacht ,
une « puissance de paix ».
L'attachement
de l'Allemagne à la paix a fini par conduire l'Union européenne et
les États-Unis à l'accuser de jouer au cavalier solitaire au sein
de l'alliance occidentale. S'exprimant à Bruxelles en 2011, le
secrétaire américain à la Défense Robert Gates avertissait ainsi
que l'OTAN était en voie de devenir une « alliance à deux
vitesses », avec d'un côté les membres prêts à contribuer
aux engagements de l'alliance, et de l'autre ceux qui appréciaient
les avantages de l'adhésion, qu'ils s'agisse de garanties en termes
de sécurité ou des places en État-major, mais refusaient de partager
les risques et les coûts. Il pointait en particulier ces membres de
l'OTAN qui refusent de consacrer à la défense le montant convenu de
2 % de leur PIB. Or l'Allemagne est à peine à 1,3 %.
Récemment, la France également critiqué son voisin pour son
inaptitude à fournir une contribution digne de ce nom à l'occasion
des interventions au Mali ou en République centrafricaine.
Mais
l'une des raisons pour lesquelles l'Allemagne a négligé ses
obligations envers l'OTAN est que la Westbindung
n'apparaît
plus comme une nécessité stratégique absolue. Après la fin de la
guerre froide, l'Union européenne et l'OTAN se sont élargies aux
pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fait que l'Allemagne est
désormais « entourée d'amis» et non plus d'agresseurs
potentiels, comme l'a dit un jour l'ancien ministre de la Défense
Volker Rühe. Elle est donc bien moins dépendante des États-Unis
pour sa sécurité.
Dans
le même temps, son économie est devenue plus dépendante des
exportations, notamment en direction de pays non-occidentaux. Durant
la première décennie de ce siècle, alors que la demande intérieure
restait faible et que les entreprises gagnaient en compétitivité,
l'Allemagne devenait de plus en plus accro aux débouchés
extérieurs. Selon la Banque mondiale, la part des exportations dans
le PIB du pays a bondi de 33% 2000 à 48% en 2010. Ainsi,
à partir de l'ère Schröder, l'Allemagne commence orienter sa
politique étrangère en fonction de ses intérêts économiques et
plus particulièrement en fonction des besoins de son commerce
extérieur.
Un
autre facteur a également contribué à cette réorientation. Il
s'agit de la montée d'un sentiment anti-américain dans l'opinion
publique. Si la guerre en Irak a rendu les Allemands confiants dans
leur capacité à se montrer autonomes vis à vis des États-Unis sur
les questions militaires, la crise financière de 2008 a fait naître
l'idée qu'ils pouvaient également s'autonomiser dans le domaine
économique. Pour beaucoup d'Allemands, la crise a mis en évidence
les lacunes du capitalisme anglo-saxon et validé le bien fondé
d'une économie sociale de marché comme la leur. En 2013, les
révélations relatives aux écoutes de la NSA y compris sur le
téléphone portable de Merkel, ont encore renforcé ce sentiment
anti-américain. Désormais, beaucoup d'Allemands disent qu'ils ne
partagent plus les mêmes valeurs que le États-Unis. Certains
avouent même qu'ils ne les ont jamais partagées.
Pour
sûr, la culture politique libérale de l'Allemagne, fruit de son
intégration à l'Ouest, perdurera. Mais il reste à voir si le pays
continuera à suivre systématiquement ses partenaires et à défendre
coûte que coûte les valeurs occidentales, alors que sa croissance
est devenue tributaire de pays non-occidentaux. Pour avoir une idée
de l'évolution possible d'une politique étrangère allemande
post-occidentale, il suffit de se rappeler 2011, qui vit la
République fédérale s'abstenir au Conseil de sécurité de l'ONU
sur l'intervention en Libye, tout comme la Russie et la Chine, et à
l'opposé de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis.
Certains responsables allemands assurent que cette décision ne
reflète pas une tendance de long terme. Mais un sondage réalisé
par la revue de géopolitique Politik
peu
après le vote au Conseil de sécurité a montré que les Allemands
se répartissent en trois groupes. Ceux qui pensent qu'il faut
continuer à coopérer principalement avec les partenaires
occidentaux, ceux pour qui il faut privilégier d'autres pays, comme
la Chine, l'Inde ou la Russie, et ceux qui souhaitent combiner les
deux approches.
La
nouvelle Ostpolotik
La
politique russe de l'Allemagne a longtemps été basée sur l'échange
politique et sur l'interdépendance économique. Lorsque Willy Brandt
devient chancelier de la RFA en 1969, il essaie de contrebalancer la
Westbindung
en
recherchant
une relation plus ouverte avec l'Union soviétique. Il inaugure une
nouvelle approche devenue célèbre sous le nom d'Ostpolitik
(ou
« politique orientale »). Brandt pensait que
l'approfondissement des entre les deux puissances pourraient
éventuellement conduire à la réunification allemande, une
conception que son conseiller Egon Bahr baptisa Wandel
durch Annäherung:
le « changement par le rapprochement ».
Depuis
la fin de la guerre froide, les liens économiques entre Allemagne et
Russie se sont encore renforcés. Invoquant le souvenir de
l'Ostpolitik,
Schröder entreprit lui-même une politique de Wandel
durch Handel ,
ou « changement par le commerce ». Les responsables
politiques allemands, en particulier les sociaux-démocrates, se sont
faits les hérauts d'un « partenariat pour la modernisation »,
au titre duquel l'Allemagne fournirait à la Russie la technologie
pour moderniser son économie - puis, idéalement, ses pratiques
politiques.
L'existence
de ces liens aident à comprendre la réticence initiale de
l'Allemagne à l'idée d'imposer des sanctions après l'incursion
russe en Ukraine en 2014. Avant de décider si elle emboîterait ou
non le pas aux États-Unis, Mme Merkel a subi les pressions de
puissants lobbyistes de l'industrie, emmenés par le Comité pour les
relations économiques en Europe de l'Est. Celui-ci a fait valoir que
les sanctions pénaliseraient durement l'économie allemande. Afin de
témoigner de soutien au président russe Vladimir Poutine, Joe
Kaeser, le PDG de Siemens, lui a rendu visite dans sa résidence des
environs de Moscou juste après l'annexion de la Crimée. Kaeser
avait alors garanti à Poutine que sa firme, qui faisait des affaires
en Russie depuis près de 160 ans, ne laisserait pas quelques
« turbulences de court terme » - sa manière de désigner
de la crise - affecter sa relation avec le pays. Dans un
éditorial publié dans le Financial
Times en
mai 2014, le directeur général de la Fédération des industries
allemandes, Markus Kerber, écrivait que les entreprises allemandes
soutiendrait les sanctions, mais le feraient « le cœur
lourd ».
La
forte dépendance allemande à l'énergie russe a également conduit
Berlin à redouter les sanctions. Après la catastrophe nucléaire de
Fukushima en 2011, la République fédérale a en effet décidé de
sortir du nucléaire plus tôt que prévu, ce qui a rendu le pays
plus dépendant encore au gaz russe. En 2013, la Russie fournissait
environ 38% de son pétrole à l'Allemagne et 36% de son gaz.
L'Allemagne pourrait certes diversifier ses sources
d'approvisionnement, mais un tel processus prendrait des décennies.
Dans l'immédiat, elle se montre donc réticente à toute perspective
de contrarier Moscou.
Quant
aux sanctions, Angela Merkel ne s'est pas seulement heurtée à
l'opposition des industriels, mais également à celle de son opinion
publique. Certains, aux États-Unis ou en Europe, ont eu beau accuser
le gouvernement allemand d'être trop conciliant avec la Russie,
beaucoup en Allemagne, l'on trouvé au contraire trop agressif.
Illustration: lorsque le journaliste Bernd Ulrich a appelé de ses
vœux des mesures sévères contre Poutine, il s'est fait
littéralement inonder de courriers haineux l'accusant de visées
bellicistes. Même Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires
étrangères et perçu de longue date comme un ami de la Russie, a dû
faire face à des accusations similaires. Les révélations quant à
l'espionnage pratiqué par la NSA ont par ailleurs accru la sympathie
pour la Russie. Comme Bernd Ulrich le notait en avril 2014, «
quand le Président russe dit se sentir oppressé par l'Occident,
beaucoup ici pensent « nous aussi »».
Cette
identification à la Russie a des racines historiques profondes. En
1918, Thomas Mann publiait un livre, Considérations d'un homme étranger à la politique,
dans lequel il affirmait que la culture allemande était distincte -
supérieure - à celle des autres pays occidentaux comme la France ou
le Royaume-Uni. La culture germanique, soutenait-il, se trouve
quelque part entre la culture russe et les cultures du reste de
l'Europe. Cette idée a connu un regain de vitalité spectaculaire
ces derniers mois. L'historien Winkler critiquait vertement, dans le
Spiegel,
en
avril 2014, la démarche de ces Allemands qui expriment un vif
soutien pour à la Russie, et tentent de repopulariser « le mythe
d'une connexion entre les âmes russe et allemande ».
L'élaboration
par Merkel d'une réponse à l'annexion de la Crimée a donc relevé
du funambulisme. La chancelière a d'abord cherché à maintenir
ouverte la possibilité d'une solution politique, au prix d'heures
passées au téléphone avec Poutine, et en envoyant Steinmeier jouer
l'intermédiaire entre Moscou et Kiev. Ce n'est qu'après que le vol
de la Malaysia Airlines eût été abattu le 17 Juillet 2014, a
priori par les séparatistes pro-russes, que les responsables
allemands se sentirent à l'aise pour adopter une position plus
ferme. Même alors, le soutien de l'opinion aux sanctions demeura
tiède. Un sondage réalisé en août par l'ARD révélait par
exemple que 70 % des Allemands soutenaient la seconde salve des
sanctions européennes contre la Russie, qui comprenait
l'interdiction de visas et le gel des avoirs d'une liste d'hommes
d'affaires russes. En revanche, seuls 49 % se disaient prêts à
continuer de soutenir les sanctions si elles devaient nuire à
l'économie domestique, comme ce serait probablement le cas la
troisième série de sanctions. Et cela pourrait être plus marqué
encore si l'Allemagne entrait en récession, ainsi que de nombreux
analystes l'annoncent. Les industriels allemands ont eu beau accepter
les sanctions, ils n'en ont pas moins continué à faire pression sur
Merkel pour les assouplir. En outre, l'Allemagne a clairement fait
savoir qu'aucune option militaire n'était sur la table. Au moment du
sommet de l'OTAN au Pays de Galles en septembre, Merkel s'est opposée
au projet d'établir une présence permanente de l'Alliance en Europe
orientale, et a fait valoir qu'une telle initiative constituerait un
viol de l'acte fondateur OTAN-Russie 1997. Pour le dire autrement, la
République fédérale n'a aucune volonté de mener une politique de
containment de la Russie.
Le
pivot vers la Chine
L'Allemagne s'est également rapprochée de la Chine, un indice encore plus probant de l'amorce d'une politique étrangère post-occidentale.
Comme avec la Russie, les liens sont de plus en plus étroits. Durant
la décennie écoulée, les exportations vers la Chine ont augmenté
de façon exponentielle. En 2013, elles sont montées jusqu'à 84
milliards de dollars, presque le double du montant vers la Russie.
L'Empire du Milieu est devenu le deuxième plus grand marché pour
les exportations allemandes hors de l'UE, et pourrait bientôt
dépasser les États-Unis pour devenir le premier. Il est d'ores et
déjà le principal marché pour Volkswagen et pour la Classe S de
Mercedes-Benz.
Les
relations entre l'Allemagne et la Chine se sont intensifiées après
la crise financière de 2008, alors que les deux pays se trouvaient
dans le même camp dans les débats sur l'économie mondiale. Tous
deux avaient tendance à exercer une pression déflationniste sur
leurs partenaires commerciaux, critiquaient la politique
d'assouplissement quantitatif conduite par la Fed américaine et
ignoraient les appels des États-Unis à prendre des mesures pour
corriger les déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Dans le même
temps, tous deux se rapprochaient politiquement. En 2011, ils ont
même commencé à tenir annuellement une consultation
intergouvernementale. C'était la première fois que la Chine se
lançait dans une négociation aussi étroite avec un autre pays.
Pour l'Allemagne, la relation est essentiellement économique, mais
pour la Chine, qui souhaite une Europe forte pour contrebalancer la
puissance américaine, elle est également stratégique. Pékin voit
l'Allemagne comme une clé pour obtenir le type d'Europe qu'elle
désire, d'abord parce que la République fédérale semble être de
plus en plus puissante au sein de l'Union européenne, mais peut-être
aussi parce que les tropismes allemands semblent plus proches des
siens que ne le sont ceux, par exemple, de la France ou du
Royaume-Uni.
Le
rapprochement Berlin-Pékin intervient cependant que les États-Unis
adoptent une approche plus dure envers la Chine dans le cadre de
ce qu'on appelle leur pivot vers l'Asie. Ceci pourrait poser un
problème majeur à l'Occident. Si Washington venait à se trouver en
conflit avec la Chine sur des questions économiques ou de sécurité,
s'il venait à y avoir une « Crimée asiatique » par
exemple, il y a une possibilité réelle que l'Allemagne demeure
neutre. Certains diplomates allemands en Chine ont déjà commencé à
prendre leurs distances avec l'Ouest. En 2012 par exemple,
l'ambassadeur d'Allemagne à Pékin, Michael Schaefer, déclarait
dans une interview: « je ne pense pas qu'il y existe encore une
chose telle que l'Occident ». Compte tenu de leur dépendance
croissante au marché chinois, les entreprises allemandes seraient
encore plus opposées à l'idée de sanctions qu'elles ne le furent
contre la Russie. Le gouvernement allemand serait d'ailleurs
plus réticent à en prendre, ce qui creuserait encore les divisions
au sein de l'Europe, puis entre l'Europe et les États-Unis.
Une
Europe allemande
La
peur de la neutralité allemande n'est pas chose nouvelle. Au début
des années 1970, Henry Kissinger, conseiller à la sécurité
nationale des États-Unis, avertissait que l'Ostpolitik à
l’œuvre en RFA pourrait être une carte dans les mains de l'Union
soviétique et menacer l'unité transatlantique. Il prévenait que
des liens économiques plus étroits avec l'URSS ne pourraient
qu'accroître la dépendance de l'Europe vis à vis de l'Est, ce qui
compromettrait les solidarités à l'Ouest.
Le
danger que pressentait Kissinger n'était pas tant un départ de la
RFA de l'OTAN, mais, comme il le dit dans ses mémoires, le fait
qu'elle puisse « se tenir à l'écart des tensions hors
d'Europe, même quand seraient menacés les intérêts fondamentaux
et la sécurité ». Heureusement pour Washington, la guerre
froide a tenu ces tentations en échec, cependant que l'Allemagne de
l'Ouest s'appuyait sur Washington pour assurer sa sécurité.
Cependant, l'Allemagne se trouve à présent dans une position plus centrale et
plus forte en Europe. Pendant la guerre froide, la RFA était un État
faible et quasi marginal de ce qui est devenu l'Union européenne. A l'inverse, l'Allemagne réunifiée est aujourd'hui l'une des plus fortes, si ce n'est la plus forte puissance d'Europe. Ceci étant
donné, une Allemagne post-occidentale pourrait emporter à sa suite
nombre d'autres pays, en particulier les pays d'Europe centrale et
orientale dont les économies sont profondément imbriquées avec
la. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, comme il est en train de
l'envisager, l'ensemble sera encore plus susceptible de s'aligner sur
les préférences germaniques, en particulier pour tout ce qui
concerne les relations avec la Russie et la Chine. Dans ce cas,
l'Europe pourrait se trouver en opposition avec les États-Unis –
et une faille pourrait s'ouvrir au sein du monde occidental, pour ne
jamais se refermer.
Mardi 10 mars 2015 :
RépondreSupprimerManolis Glezos : ce que l’Allemagne n’est pas arrivée à faire par les armes, elle l’a réussi par l’euro.
http://www.okeanews.fr/20150310-manolis-glezos-ce-que-lallemagne-nest-pas-arrivee-faire-par-les-armes-elle-la-reussi-par-leuro
Très très intéressante perspective...
RépondreSupprimerça rejoint, peu ou prou, les analyses de Sapir et de Todd, les USA sont déclinant, et plus grand monde, à part Hollande, n'a très envie de leur rester attaché "ad vitam eternam", et si on cherche un autre modèle, c'est vrai que L'Allemagne, en 1° approche, peut sembler attirante.
RépondreSupprimerSi on était un peu moins "c..", ou un peu moins pleutre, ou un peu moins feignants, on pourrait imaginer un ensemble de pays mèditérannéens se liant entre eux, mais il faudrait au préalable envisager de se délier un peu de l'Allemagne qui a un modèle solide (mais non reproductible) pour aller vers quelque chose d'assez incertain et qui réclamerait, un effort, une volonté, une ambition, bref, toutes valeurs qui semble totalement absentes de la pensée et du comportement de nos dirigeants.
Ainsi, on s'apprête gentiment à se faire larguer par notre nouvel amour de 70 ans pour se retrouver à nettoyer l'arrière cour de notre bon maitre vieillissant d'outre atlantique.
Henry