Article pour le Figaro du 3 mars 2014 |
Tu
veux ou tu veux pas ? » :
telle est la question qu'on aimerait
parfois
poser aux
indécis
de la Commission européenne. Qui
risqueraient fort de nous répondre ceci :
« p'têt ben qu'oui,
p'têt ben qu'non ».
Car
voilà un
moment
qu'ils
tergiversent.
Vont-ils
sanctionner la France pour cause de déficit budgétaire excessif ?
Pas
encore semble-t-il.
Aux
termes
d'atermoiements,
Bruxelles
a
décidé
la semaine dernière
d'accorder un délai de deux ans à notre pays pour qu'il ramène son
déficit sous la barre des 3 %.
La
France ne sera pas sanctionnée mais
elle continue d'être
suivie
de près. Attention
toutefois à ne pas se méprendre. Comme Pierre Moscivici l'a affirmé,
« il
ne s'agit absolument pas d'une surveillance ».
Juste d'une attention
appuyée.
En
outre,
il
ne s'agit pas non plus d'une punition car « l'Europe
n'est pas faite pour punir, pour contraindre ».
Non, le Commissaire à l'économie l'assure :
il s'agit seulement
d'amicales
« incitations ».
Comment
se traduisent
ces « incitations » ?
Essentiellement par
une injonction
contradictoire, qui rend
illusoire toute
perspective de réussite.
En effet, Paris se voit invitée à respecter dans
le même temps des
objectifs de déficit nominal
et des objectifs de
déficit structurel. Pour
le déficit nominal,
il est demandé qu'il soit ramené à 4%
du PIB en 2015, puis à 3,4 %
en 2016 et
à 2,8 % en 2017. En
termes structurels, Bruxelles
déplore
des efforts de réduction insuffisants et souhaite qu'ils
soient
d'au moins 0,5 points de PIB.
Problème :
ces
objectifs
simultanés
entrent
en conflit.
Le
ratio
de 3 % de déficit public fait partie des célèbres « critères
de convergence » de Maastricht. La
notion de « déficit structurel », quant
à elle, est
plus récente.
L'incapacité de nombreux pays à maîtriser leurs finances publiques
a amené l'Europe à concéder ceci : l'environnement
dégradé,
conséquence de la crise de 2008-2010, rend le
rétablissement des économies difficile.
Il a donc été décidé de s'attacher au « déficit
structurel », notion statistique un
peu floue,
mais qui a le mérite de tenir compte des effets de la conjoncture.
En
principe, on s'abstient de contraindre un État
à davantage d'austérité s'il n'est pas responsable du non respect
de ses objectifs, et si un environnement globalement
défavorable l'a entravé dans
ses efforts.
C'est
là que le bât blesse.
Vouloir réduire les deux déficits à la fois, le
structurel et le
conjoncturel,
contrevient
à toute logique.
C'est
vouloir une chose et s'efforcer
de la
rendre impossible.
C'est dire qu'il
est à
la fois important
de prendre en compte
la conjoncture, et
urgent
de
l'ignorer. Un peu comme si on expliquait
au
pilote d'un véhicule que
le meilleur moyen de
tourner
à droite,
c'est de
continuer tout droit.
On
s'assure ainsi qu'il va dans le mur...
Outre
cela, comme
tous les autres pays, l'Hexagone
a
fait l'objet d'une analyse
de ses
« déséquilibres
macroéconomiques », autre nouveauté introduite en 2011. Cette procédure conduit la Commission
européenne
à
suivre
non plus les seules dettes et déficits publics des États membres,
mais un tableau de bord composé
d’indicateurs
divers, assortis de seuils. Si l'un des seuils est dépassé, on
considère que le pays concerné risque
de déstabiliser
toute
l'économie de l'Union. Parmi
ces
indicateurs figure
-
c'est une bonne nouvelle - le
solde
de la balance courante. Celui-ci
ne
doit pas dépasser
6 % du
PIB
pendant trois années consécutives.
Pour
le dire simplement,
un État
ne peut avoir un commerce extérieur trop
florissant
sans que cela ne
pénalise
toute l'UE.
C'est
la moindre des chose : en régime de monnaie unique, un pays qui
engrange des excédents sans que l'appréciation de sa monnaie de
vienne jouer de rôle correctif, le fait forcément au détriment de
ses voisins. Dans
la zone euro, les excédents des uns sont les déficits des autres.
Pourtant,
il se trouve qu'un État
membre
a depuis longtemps crevé le plafond, avec
un excédent régulièrement
supérieur
à
7%
de
son
PIB.
Ce
pays a
le plus fort excédent courant au monde - devant la Chine -
et
son
surplus commercial bat des records chaque année (217
milliards d'euros
en
2014 soit 11 % de mieux qu'en
2013).
L’Allemagne,
car
bien
sûr il s'agit d'elle,
est systématiquement
hors
des clous fixés
par Bruxelles.
Et pour cause : le pays n'investit pas. Ce faisant, il ne
dépense rien, mais déstabilise toute
l'eurozone et
hypothèque
son propre avenir.
C'est
pour cela que dès 2013,
José
Manuel Barroso avait
envisagé
de sanctionner la
République fédérale.
Bien sûr, l'idée a vite été remisée et la mise en œuvre du
volet coercitif
du dispositif
sur les
« déséquilibres macroéconomiques » n'est plus
d'actualité. Ce n'est que du bout des lèvres que la Commission
sollicite auprès de Berlin
quelques corrections.
Car
il est bien
plus facile
d'incriminer
la
France pour
son
déficit...ou
la
Grèce pour
sa
dette.
Quant
à
l'Allemagne, on ne saurait lui
imposer
quoique
ce soit, et surtout pas des
« réformes de structure». Après
tout, comme
le dit Pierre Moscovici,
« l'Europe
n'est pas faite pour punir, pour contraindre ».
Si
c'était tout, ce
serait
déjà beaucoup.
Mais
il y a une cerise sur ce gâteau.
Au rang des ratios visant à mesurer les grands
déséquilibres
figure un indicateur relatif au chômage. En principe nul État ne
doit avoir un
chômage supérieur à 10 % en moyenne sur trois ans. En Grèce,
le taux de chômage est de 26 %, en Espagne de 24 %, au
Portugal de 13 %, en Italie de 11 %. La moyenne de la zone
euro est
elle-même
supérieure
à
11 %. Et que fait-on ? On prescrit aux pays en crise des
mesures d'austérité dont
la
particularité.... est
d’accroître le chômage. Mais
on ne va pas se
plaindre car ça pourrait être
pire.
Ces
pays
pourraient
en
effet faire
l'objet de sanctions pour
de tels dérapages.
On
a finalement de la chance, car comme le dit Pierre
Moscovici « l'Europe
n'est pas faite pour punir, pour contraindre ».
Et
comme le disait
George
Orwell
dans 1984, « l'Oceania
a toujours été en guerre contre
l'Estasia ».
C'est consternant !
RépondreSupprimerOn en rirait si ce n'était pas aussi grave...
Ils nous rebattent les oreilles avec leurs "valeurs européennes", mais c'est pour mieux les trahir. Leur véritable cri de ralliement, inavoué, est : væ victis !
Comment cela va-t-il finir ?
Quand on constate un tel degré de décalage entre paroles et actes, on ne peut que s'attendre au pire.
Je n'arrive pas à suivre la logique de ce que veut la commission européenne.
RépondreSupprimerComment suivre des objectifs concernant le déficit nominal et le déficit structurel (notions déjà purement européennes) puisque le déficit nominal est la somme du déficit structurel et du conjoncturel? ...
Pour arriver à résoudre cet imbroglio, heureusement, nous avons Moscovici, ancien Ministre de l'économie et des Finances Français qui saura défendre les intérêts de notre pays sans le punir... Juste en l'incitant ... (A quoi ? ... sans doute plus de rigueur puisque le mot austérité ne se prononce pas encore vis-à-vis de la France)
« L'Europe n'est pas faite pour punir, pour contraindre ».
RépondreSupprimerÇa, c'est uniquement parce que le Conseil de l'Europe condamne l'usage de la fessée...