- Billet invité -
Davy Rodriguez de Oliveira
Davy Rodriguez de Oliveira est étudiant à Sciences Po. Il fait partie des membres fondateurs de "Critique de la raison européenne" (CRE), une association trans-partisane dédiée à la réflexion sur l'Union européenne. Il suit de près la politique intérieure espagnole et a accepté de livrer à L'arène nue ce texte de présentation du mouvement Podemos.
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Depuis longtemps, les partis de la gauche radicale
française sont en panne d’inspiration. Incapables de concevoir un
système en rupture avec le néolibéralisme sans en revenir aux vieilles solutions communistes du siècle dernier, certains militants
et dirigeants de ces politiques imaginent aujourd’hui sortir de
l’impasse en regardant du côté de la Méditerranée. La victoire
de Syriza en Grèce, dans un premier temps, puis la fulgurante
émergence de Podemos dans les sondages espagnols, ont donné des
idées de recomposition et de renouvellement à la gauche de la
gauche. Après l’admiration pour les mouvements d’émancipation
nationale d’Amérique Latine, Podemos semble être la nouvelle
lubie de la gauche radicale française.
Dans le contexte de l’Espagne postfranquiste, Podemos est un ovni
politique, tant par son programme ou sa communication que par son
organisation interne. Loin de vouloir imiter les deux faces du
bipartisme, composé du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) et
du Parti Populaire (PP), Podemos est en progression quasi constante
depuis plusieurs mois.
Fondé en janvier 2014 par Pablo Iglesias, devenu depuis son
secrétaire général, Podemos s’est imposé comme le quatrième
parti du pays en obtenant cinq sièges au Parlement européen en mai
dernier. Véritable surprise du scrutin en Europe du Sud, Podemos
intrigue. Sur quoi repose réellement son ascension ?
L'idéologie mise en sourdine
Dès son irruption sur la scène politique espagnole, les médias
nationaux ont cherché à cerner Podemos et à comprendre quel était son corpus idéologique. A défaut d’en comprendre les
contours généraux, les journalistes ont préféré diaboliser ou
caricaturer les positions prises par son leader Pablo Iglesias. Tantôt comparé au fondateur de la Phalange, José
Antonio Primo Rivera, tantôt assimilé au chavisme quand ce n'est pas à la Corée
du Nord, Pablo Iglesias a pourtant remporté un franc succès en
« désidéologisant » le discours classique de la gauche
radicale.
Bénéficiant d’une large audience grâce à son rôle de fast
thinkeri
dans diverses émissions politiques auxquelles il participait
depuis de nombreux mois, Pablo Iglesias n’a pas succombé à la
tentation de s’ériger en un Karl Marx des temps modernes. Refusant
de se déclarer « communiste » malgré son passé comme
militant des jeunesses du Parti Communiste Espagnol (PCE), Iglesias
est devenu le représentant de ceux qui refusent le système
bipartisan, corrompu et austéritaire imposé par ceux qu’il nomme
« la casta ».
Dans une célèbre vidéo abondamment partagée sur Internet (voir ci-dessous), Iglesias répond à un individu
qui l’interroge sur le manque de radicalité marxiste du programme
de Podemos. De manière très calme et posée, rappelant par cette
méthode le comportement de Julio Anguita, ancien secrétaire général
du Parti Communiste Espagnol, Pablo Iglesias aborde le problème via
une anecdote. Il évoque le souvenir d’une manifestation des
indignés où il fit la rencontre d’un jeune homme qui s’en
prenait à des salariés sur la Plaza del Sol. L’étudiant,
animé par un profond mépris, traitait d’idiots les travailleurs
incapables de se rendre compte de leur « appartenance de
classe ». Iglesias tire de cet épisode une morale qui explique
le succès immédiat de Podemos : la politique n’est pas le
règne du monde des idées, mais celui de la force. Cette dernière
n’étant mobilisable que par l’union des citoyens derrière un
projet basé sur le « bon sens commun ». Pablo Iglesias,
contrairement à la gauche française, ne dénigre pas « le bon
sens populaire » que certains considèrent comme un reflux
d’instincts non-civilisés.
Pablo Iglesias a œuvré et manœuvré pour que sa stratégie, son
projet et sa communication soient entièrement mobilisés pour la
victoire. En donnant une image de démocratie directe à son
organisation, Iglesias n’a fait que répondre à la forte demande
des espagnols mobilisés dans le mouvement des Indignados (aussi dit mouvement du 15M). En ayant des listes électorales
composées de personnes provenant de la société civile, de la vie
ordinaire de tous les citoyens, Iglesias tente de répondre au besoin
des électeurs d’être mieux représentés. En donnant une large
place à des professeurs et à des experts de matières diverses et
variées, Iglesias n’a fait que répondre à la volonté des Espagnols lassés d’avoir une caste d’élus incompétents et
incultes.
En somme, Pablo Iglesias agit
en ayant compris que la démocratie libérale est un marché où
chacun vote en fonction de ses besoins politiques, qui peuvent être
matériels ou moraux. Les uns souhaitant plus de démocratie directe,
d’autres une sphère politique non-entachée d’un tel niveau de
corruption, Podemos tente de répondre à l’ensemble de ces besoins
politiques sans nier la réalité sociale, économique et politique
du pays. Iglesias se positionne ostensiblement sur le plan de
l’échange marchand où l’acheteur fait son marché politique
pour satisfaire ses besoins propres : il propose ainsi ce
produit novateur qu’est Podemos.
Un projet économique de type « social-démocrate »
En novembre dernier, lors de la présentation du programme économique
de Podemos, Pablo Iglesias n’a pas pu résister à l’envie de se
démarquer plus encore de l’image de bolchevik que certains lui
attribuent. Fruit de la collaboration de deux économistes renommés,
le projet économique de Podemos a été qualifié de
« social-démocrate » par son secrétaire général,
regrettant sans doute d’avoir à présenter un programme si modéré.
Le résultat est étonnant lorsque l’on sait qui sont les deux
économistes qui ont travaillé sur ce projet. Juan Torres comme
Vincenç Navarro sont deux experts très engagés ayant déjà publié
un livre écrit conjointement nommé Hay Alternativas (« Il
y a des alternatives ») avec un troisième économiste
devenu député, Alberto Garzon. Ce dernier est aujourd’hui
pressenti pour représenter l’équivalent espagnol du Front de
Gauche (Izquierda Unida) aux prochaines élections générales.
Loin d’être inconnus du grand public espagnol, ces deux
économistes sont de fervents défenseurs de la rupture avec
l’eurolibéralisme. Juan Torres en mars 2013 était l’auteur d’un article d’El Pais ayant fait scandale dans toute l’Europe où il comparait Angela Merkel à Hitler, l’accusant de vouloir
faire de l’Europe « un espace vital économique » de
l’Allemagne. Quant à Vincenç Navarro, il est l’un des premiers
à avoir mis en perspective les dangers de la monnaie unique pour
l’industrie et le chômage en Espagne.
Pourtant, aussi radicaux que soient ces deux économistes, le
programme économique de Podemos est une copie conforme de la pensée
européiste de gauche. Réforme du statut de la Banque centrale européenne (BCE) pour empêcher l’hypocrisie de son indépendance,
création d’une Agence de Notation européenne, création d’une
« Charte démocratique européenne » pour favoriser la
transparence entre États-membres, échange d’informations fiscales
entre les États… Autant de mesures qui sonnent comme de doux rêves
aux oreilles de ceux qui ont cessé de croire au refrain mensonger de
« l’Europe sociale » répété en boucle par nos
représentants politiques.
Chez Podemos, la contradiction idéologique est totale et criante.
En fin connaisseur des institutions européennes, Pablo Iglesias sait
que pour que certaines réformes soient faites, il est nécessaire de
modifier les Traités européens, ce qui n’est possible que s’il
existe une unanimité des gouvernements des États-membres. Hors,
l’Allemagne et ses alliés ne céderont jamais sur
l’ordo-libéralisme qu’ils nous ont imposé. L’indépendance de la Banque centrale est et restera gravée dans le
marbre. Par ailleurs, nombre de dispositions contenues dans le TFUE (Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) empêcheront Podemos de « récupérer le
contrôle public des secteurs stratégiques de l’économieii» contenu dans son programme. L’Union européenne fait pression sur les pays
pour qu’ils privatisent des pans entiers de leurs économies, non
pour qu’ils nationalisent des secteurs, aussi stratégiques
soient-ils. Quelle marge de manœuvre pour une Espagne éventuellement
gouvernée par Podemos quand l’on sait que l’UE a obtenu que la
Gauche plurielle privatise plus que tout autre gouvernement de la
Vème République ?
Cette contradiction apparente
et assumée a pour
objectif, comme toujours, de s’adapter au contexte politique
espagnol. Si dans de nombreux pays européens, l’idée de quitter
la zone
euro
ou l’Union européenne
se retrouve parfois dans le débat politique, cela est inenvisageable
en Espagne. En effet, tous les mouvements politiques espagnols
soutiennent le projet européen même si certains, notamment
Izquierda Unida,
souhaitent modifier à la marge son cadre politique. Loin de vouloir
paraître trop radicaux, les fins politiques qui animent
Podemos semblent jouer
la même carte que Syriza en Grèce. La stratégie de rupture est le
cœur des programmes économique et politique du mouvement : en
proposant sincèrement des réformes résultant d’un certain bon
sens, Iglesias souhaite démontrer la rigidité extrême
des dirigeants allemands et de l’Union. Cette stratégie fonctionne
en partie en Grèce, Syriza continuant
à bénéficier d'un large soutien de la population hellène en dépit
de l'impasse où se trouve Athènes dans ses négociations avec l'UE.
De nombreux défis à relever
Les responsables politiques de Podemos devront, dans les mois à
venir, passer l’épreuve de la pérennisation de leur dynamique.
Bien que la stratégie médiatique soit le ressort essentiel de toute
organisation politique, il sera nécessaire pour Podemos d’aborder
certains sujets sensibles en Espagne tout en ne mettant pas en péril
sa progression. Par ailleurs, Podemos fait déjà face depuis
quelques mois à ses premiers problèmes organisationnels.
En effet, Pablo Iglesias est accusé par une partie de son
organisation de saper la démocratie interne de Podemos, notamment
via une hyper personnalisation du mouvement. Cette personnalisation
repose sur le fait qu’Iglesias maîtrise parfaitement sa
communication, et cela depuis des années. Il a notamment créé des
émissions de télévision retransmises sur Télé K et Hispan TV qui
ont eu un fort écho sur les réseaux sociaux et YouTube. La Tuerka, Fort Apache, Otra Vuelta de Tuerka sont des
programmes qui abordent des sujets politiques complexes avec une
grande diversité de points de vue. Toujours d’actualité, ces
programmes sont souvent animés par Pablo Iglesias qui intervient
mais surtout interroge les invités qui peuvent être de droite, de
gauche ou des acteurs de la vie sociale (responsables d’association,
politologues…). De plus, Iglesias était déjà très présent sur
les émissions de débat politique avant la fondation de Podemos, ce
qui lui a valu une grande popularité qu’il a utilisé dans la
fondation de son parti. Cette grande présence médiatique et son
aptitude à maîtriser les outils de communication moderne ont
conduit à une personnalisation du mouvement. Pourtant de nombreux
visages sont aussi apparus, tels ceux d’Inigo Errejon ou de Pablo
Echenique. Cela n’a pourtant pas suffit à certains militants,
notamment aux anciens d’Izquierda Anticapitalista qui
participent très activement au mouvement depuis son lancement.
Juan Carlos Monedero, Pablo Iglesias, Inigo Errejon |
Cette contestation a pris plus
d’ampleur encore lorsque certains médias ont créé une rumeur
d’un système de fraude fiscale mis en place par l’un des membres
de l’entourage d’Iglesias, Juan Carlos Monedero. Ce dernier
travaillait comme expert auprès de gouvernements latino-américains
afin d’étudier la possibilité de mise en place d’une union
monétaire entre différents pays du continent. Sans doute plus
expert en sciences politiques qu’en droit fiscal, Monedero avait
déclaré la rémunération reçue en tant que dirigeant d’une
entreprise au lieu de le mettre sur le compte de sa personne
physique. Après avoir reçu un rappel du Trésor Public, Monedero a
reconnu et régularisé sa situation fiscaleiii.
Cette affaire, qui n’en était finalement pas une, a été
particulièrement exploitée par les adversaires politiques de
Podemos, se retrouvant tant dans les autres partis que dans les
médias.
Cette adversité pousse les représentants politiques de Podemos à
faire très attention à la manière dont ils parlent de certains
thèmes. Presque quatre-vingts ans après la Guerre civile qui a
secoué le pays, le spectre des « Deux Espagnes » plane
encore sur le débat politique national. Anciens franquistes et et
anciens républicains se font toujours face, et il reste difficile
d’aborder sans passion ni violence des sujets tels que les
nationalismes périphériques, le traitement des prisonniers membres
d’ETA ou encore la suppression éventuelle de la Monarchie.
Podemos, pour continuer à progresser, devra réussir à briser cette
division séculaire qui existe entre les espagnols et clarifier ses
positions politiques sur ces sujets.
Par ailleurs, le destin de Podemos est intimement lié à celui de
Syriza en Grèce. Les programmes de ces deux formations étant
relativement similaires, les électeurs jugeront de la possibilité
de mener cette politique en s’intéressant au futur du gouvernement
Tsipras. Cela risque de mettre Podemos dans une situation compliquée,
à moins que Syriza ne réussisse un coup de Trafalgar en troquant
son programme de démocratisation de l’Union Européenne pour une
orientation sincèrement souverainiste, et ce dans le but d’aller
vers une fin de l’austérité budgétaire.
Pour l’instant, malgré
l’originalité et la dynamique de Podemos, les perspectives du
mouvement de Pablo Iglesias sont relativement floues. La progression
dans les sondages du parti Ciudadanos, considéré comme
euro-libéral et « centraliste » - c'est-à-dire
fermement opposé à l’autodétermination des peuples d’Espagne -
ainsi que la possible réémergence d’Izquierda Unida
orchestrée par Alberto Garzon, sont autant de critères qui
détermineront le futur politique de Podemos. Bien qu’un sondage
d’avril 2015 donne ce parti vainqueur des élections générales si
celles-ci avaient lieu aujourd’hui avec 22,1% des voix, les
derniers résultats aux élections d’Andalousie n’ont pas été
aussi brillants qu'escomptés, Podemos obtenant toutefois 15% dessuffrages exprimés.
i Notion péjorative développée par Pierre Bourdieu dans Sur la
télévision (1966) pour décrire les intervenants télévisés
qui ont un avis semblant complet, simple et systémique sur tous les
sujets. Pierre Bourdieu explique que les fast thinkers
fonctionnent souvent à deux, du moins en France :
l’illustration moderne parfaite serait l’émission Ca se
dispute sur I-Télé qui oppose Eric Zemmour et Nicolas
Domenach.
ii Il s'agit précisément de la mesure 1.6 du programme de Podemos que l'on peut consulter ici : http://podemos.info/wordpress/wp-content/uploads/2014/05/Programa-Podemos.pdf
iii
http://www.elmundo.es/espana/2015/02/06/54d3dee1ca4741a0698b4575.html
Bon résumé en gros, il y aurait pas mal de trucs à spécifier, mais c´est normal.
RépondreSupprimerPour l´Andalousie, Susana Días avança la date des élections pour que Podemos n´eut le temps suffisant de formation, donc 15 députés quand il n´y en avait 0, c´est tout un record, à mon humble avis.
Teresa Rodríguez n´est pas Pablo, ni Inigo Errejon , ni Juan Carlos Monedero. De toutes façons Días a les mains liées et il faudra d´autres élections pour connaître le vainqueur de cette communauté de caciques. Pour le moment elle se dit porte-voix de tous les andalous, ce qui ne peut être plus faux. Sinon où serait le problème ?
Au sujet de Syriza, Pablo te répondrait que la Grèce n´est pas l´Espagne, comme pour les pays sud-américains « libérés » eux du FMI, chacun ses nécessités, chacun sa méthode, mais finalement ils purent : PODREMOS NOSOTROS TAMBIEN !
« La peur doit changer de ban » Pablo et son équipe avec tous les Cercles citoyens ont réussis et contribués à cela.
Il y a aussi son financement qui ne l´attache point aux banques, que je souligne ici, car ceci libère énormément Podemos.