Olivier
Delorme est écrivain et historien. Passionné par la Grèce, il est
l'auteur de La Grèce et les Balkans: du Ve siècle à nos jours (en
Folio Gallimard, 2013, trois tomes),
qui fait aujourd'hui référence. On peut par ailleurs le suivre sur son site. Il revient ici sur les trois premières
semaines du gouvernement Tsipras et
nous éclaire sur l'état d'esprit des Grecs.
***
Des manifestations ont eu lieu partout
en Europe le week-end dernier pour soutenir le peuple grec. Hors
d’Europe aussi, d’ailleurs, jusqu’en Australie ! Comment
vos amis grecs vivent-ils cela ?
Les Grecs savent qu’ils sont un petit
peuple, ce qui ne les a pas empêchés de jouer parfois un grand rôle
dans l’histoire contemporaine : leur révolution de 1821 et
leur guerre de libération nationale contre l’Empire ottoman
aboutissant à l’indépendance en 1830 sont les premières dans
l’Europe antirévolutionnaire de la Sainte-Alliance ; leurs
victoires sur l’Italie fasciste en 1940-1941 sont les premières,
dans la guerre mondiale, d’un pays attaqué par l’Axe, et forcent
les Allemands à intervenir dans les Balkans au printemps 1941, puis
la résistance des Grecs, sur le continent comme en Crète, retarde
l’offensive contre l’URSS et empêche Hitler d’arriver devant
Moscou avant l’hiver.
Les Grecs sont un petit peuple, mais un
peuple qui, depuis l’Antiquité, a vécu pour partie en diaspora.
L’émigration a été particulièrement forte entre 1850 et le
milieu des années 1970, les communautés d’Australie (Melbourne
est la 3e « ville grecque » au monde avec plus
de 150.000 « Grecs ») ou des Etats-Unis restent souvent
très liées au village d’origine, solidaires : c’est le
cas, par exemple, dans l’île où j’habite une partie de l’année,
où deux villages ont émigré en Australie, deux autres à New York
(Astoria). Il y a des allers et retours, pour les vacances, un
baptême ou un mariage qu’on vient célébrer au pays, les études
dans une université occidentale, la retraite au village…
L’émigration a dû pas mal croître
ces dernières années sous l’effet de la crise, par ailleurs…
Absolument. Entre autres conséquences
tragiques, la politique de déflation imposée par la Troïka
(Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire
international) à la Grèce depuis cinq ans a entraîné la reprise
de l’émigration, des plus diplômés souvent, vers les Etats-Unis
et l’Australie - où des parents servent de structure d’accueil
et d’intégration -, mais aussi vers des pays d’Europe
occidentale.
Beaucoup de Grecs ont donc à la fois un
fort sentiment patriotique et une ouverture sur le monde, une
sensibilité au monde (et pas seulement à l’Europe), beaucoup plus
grande qu’on ne l’imagine ici. En l’occurrence, lors de mon
dernier séjour dans « mon île », début janvier, il y
avait chez les amis avec qui j’ai discuté des perspectives
d’alors, la conviction que si le gouvernement issu des élections
était celui qu’ils espéraient, ce gouvernement se battrait non
seulement pour les Grecs mais pour tous les peuples européens. Le
sentiment est très fort, en Grèce, d’avoir été le laboratoire de politiques destinées à être étendues aux autres peuples européens et donc aussi de combattre pour les autres peuples européens en rejetant ces politiques-là. Tous les échos qui
m’arrivent aujourd’hui de Grèce montrent qu’il y a une grande
attention aux manifestations de solidarité des autres peuples. Pour
beaucoup de Grecs, ce qui se joue en Europe est moins une épreuve de
force entre la Grèce et d’autres Etats européens, qu’une lutte
des peuples européens contre une Union européenne qui s’est faite
le vecteur et l’alibi des politiques néolibérales dont les Grecs
ont tant souffert depuis cinq ans. Une lutte dans laquelle le peuple
grec se trouve à l’avant-garde, ce qui conduit beaucoup de Grecs à
guetter avec attention, espoir… ou déception, les signes venant de
ces autres peuples européens.
Les sondages qui s’enchaînent
montrent un soutien grandissant du peuple grec à son gouvernement.
Près de 80% désormais, soit bien plus que la proportion de gens
ayant voté pour Syriza. Vu de l’extérieur, c’est surprenant.
Dans notre Europe en crise, on s’attendait plutôt à voir
triompher les extrêmes-droites. Y’a-t-il quelque chose dans
l’histoire de la Grèce qui laissait prévoir pareil succès pour
un parti de gauche ?
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Olivier Delorme |
L’extrême droite n’existait plus en
Grèce, jusqu’à l’intervention de la Troïka, qu’à l’état
de trace. Il y a, à cela, des causes historiques. L’extrême
droite a collaboré durant l’occupation et ses bataillons de
sécurité ou autres milices au service des Allemands ont commis des
crimes de masse. Mais au lieu d’épurer, à la Libération, les
Anglais, qui ont imposé par un scrutin truqué le retour d’une
monarchie réactionnaire, se sont appuyés sur ces milices de
« coupeurs de têtes » pour faire régner une « terreur
blanche » qui a visé les anciens résistants. En Grèce, la
Résistance a été particulièrement rapide et massive,
principalement organisée autour du parti communiste KKE. Ce qui
explique que l’occupation allemande a été l’une des plus
sauvages et destructrices d’Europe (la répression et la famine
organisée par l’occupant ont tué plus de 8 % de la population ;
1,5 % en France). Puis l’extrême droite a été utilisée par les
Américains durant la guerre civile (1946-1949) et, à la suite d’un
long et très partiel processus de démocratisation, elle s’est
emparée du pouvoir par la force en 1967. Les Colonels, liés à la
CIA, ont alors exercé une dictature qui s’est terminée par une
tentative de coup d’Etat raté à Chypre, lequel a provoqué
l’invasion du Nord de l’île par la Turquie en 1974. 37 % du
territoire de Chypre, peuplée à plus de 80 % de Grecs, sont depuis
occupés et colonisés par les Turcs : l’extrême droite est
donc aussi responsable de ce désastre national.
L’équivalent de notre Front national -
le LAOS (Alerte populaire orthodoxe, l’acronyme signifie
« peuple ») -, est entré au Parlement pour la première
fois en 2007 (3,80 % des voix ; 5,62 % en 2009). Mais il s’est
déconsidéré en participant au gouvernement du banquier Papadimos
(novembre 2011-mai 2012), constitué sous pression de Berlin, Paris
et Bruxelles, pour appliquer la politique dictée par la Troïka.
C’est amusant - si l’on peut
s’exprimer ainsi. Personne ne s’est ému de cette participation
du LAOS au pouvoir à l’époque. Alors qu’on a entendu mille
piaillements il y a quelques semaines lorsque Tsipras a annoncé sa
décision de former une coalition avec les Grecs indépendants, qui
sont plutôt des conservateurs souverainistes…
Bien sûr ! Aucune instance
européenne ni aucun éditorialiste, en France n’a voulu voir alors
que la politique européenne aboutissait à l’accession de
l’extrême droite au pouvoir en Grèce. Mais une fois de plus,
l’extrême droite grecque se trouvait renvoyée à son rôle
d’agent d’un pouvoir étranger et disparaissait du Parlement en
mai 2012 (2,9 %).
Elle n’a pas disparu bien longtemps
puisqu’on a vu ensuite apparaître l’Aube dorée !
En fait, depuis lors, l’extrême droite
est divisée en trois tronçons : le LAOS maintenu (1,03 % aux
dernières élections) ; un grand nombre de responsables et
militants qui ont intégré le parti de droite traditionnelle
Nouvelle Démocratie (ND) ; puis, en effet, les néonazis d’Aube
dorée.
Mais Nouvelle Démocratie n’est pas
un partie d’extrême droite ?...
Disons que sous l’effet des politiques
de la Troïka, elle a profondément changé de nature. Issu de la
vieille droite monarchiste et autoritaire, ce parti a été créé en
1974 par Konstantinos Karamanlis, qui géra la transition
démocratique après un long exil à Paris. Karamanlis en avait fait,
sur le modèle des partis gaulliste ou démocrates-chrétiens
occidentaux d’alors, une formation modérée à connotation
sociale. Son actuel président, l’ex-Premier ministre Antonis
Samaras, n’a cessé de la droitiser, avec des pratiques de plus en
plus autoritaires et policières, tout en phagocytant l’essentiel
du LAOS. Samaras est lui-même élu de Messénie, au sud-ouest du
Péloponnèse, terre traditionnelle de l’extrême droite, qui donne
ses meilleurs scores à Aube dorée - les bastions de celle-ci
correspondant souvent aux zones de recrutement des bataillons de
sécurité durant l’occupation. Et la presse grecque a révélé,
quelques mois avant les élections, que des dirigeants néonazis
d’Aube dorée étaient en contact permanent avec le cabinet du
Premier ministre, où ils prenaient leurs instructions - là encore
sans que cela n’émeuve personne en Europe occidentale.
Quant à Aube dorée, il s’agit de
nervis à l’idéologie simpliste, dont la violence rappelle les
pires heures de l’Europe des années 1930. Mais comme les nazis à
cette époque sont passés de l’état de groupuscule à celui de
premier parti d’Allemagne sous l’effet de la politique de
déflation du chancelier centriste Brüning, ce groupuscule,
folklorique et sans la moindre audience électorale, a réalisé une
percée lors des élections de 2012 (6,97 %), sous l’effet de la
même politique de déflation imposée par la Troïka. Il est monté
à 9,4 % aux élections européennes de mai 2014 et redescendu à
6,28 % en janvier dernier. Ma conviction est que, par leur histoire,
les Grecs ont été « vaccinés » contre l’extrême
droite : il aura fallu toute la bêtise de la politique de la
Troïka - dont le succès d’Aube dorée est le principal résultat
tangible - pour qu’une partie de l’opinion, totalement
déboussolée, désespérée, cherche son salut de ce côté-là.
D’une manière générale et toute
tendance politique confondue, le taux de soutien au gouvernement grec
est saisissant. Tsipras a réalisé une véritable union nationale
autour de son projet…
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Manifestation en Grèce pour soutenir le gouvernement |
Oui, ces taux d’approbation dépassent
les 80 % dans l’électorat du vieux parti communiste stalinien
(KKE) qui a refusé toute alliance, ils atteignent 51 % dans celui du
parti de centre gauche Potami (« le Fleuve », créé par
un journaliste de télévision dans le but de fournir un appoint en
cas de reconduction de la coalition sortante), et 54,5 % dans celui
du parti "socialiste" (PASOK), passé de 43,94 % des voix
aux élections de 2009 à 4,68 % à celles de janvier dernier, après
avoir servi de supplétif au gouvernement de droite depuis 2012. Les
dernières études d’opinion le placent même sous le seuil des 3
% : il n’aurait donc plus de députés si des élections
avaient lieu demain. Enfin, plus de 40 % des électeurs ND se
déclarent satisfaits de l’action du gouvernement. Et si l’on
regarde l’appui à la manière dont le gouvernement conduit la
négociation avec l’UE (81,5 % en moyenne) par tranches d’âge
(étude du 16 février), il culmine à 86,2 % chez les 18-34
ans, pour 82,3 % chez les 35-54 ans et « seulement »
79,8 % chez les plus de 55 ans !
Comment Syriza, un parti présenté
comme représentant une gauche souvent qualifiée de radicale a-t-il
pu s’imposer ainsi dans le paysage ?
En réalité, Syriza qui n’avait jamais
réuni plus de 5 % des voix avant 2012 a pris la place centrale sur
la scène politique qu’occupait le PASOK depuis 1981. Et il a
bénéficié d’un apport de cadres venant de ce parti au fur et à
mesure des reniements du PASOK et de l’aggravation de la situation
économique et sociale. Syriza avait été devancé de peu par la ND
aux élections de juin 2012 (26,89 % contre 29,66 % pour la ND, qui
n’était en tête que chez les retraités, les femmes au foyer, les
patrons et professions libérales), en partie parce qu’il souffrait
d’un déficit de crédibilité de son leader, entretenu, comme le
climat de peur (si Syriza gagne, les retraites et les salaires ne
seront plus payés, les distributeurs de billets seront vides…),
par les groupes privés de télévision, seuls maîtres de la scène
médiatique après la liquidation de l’audiovisuel public par le
gouvernement Samaras en juin 2013. Sa jeunesse, son inexpérience des
affaires faisaient que, même si beaucoup partageaient le rejet de la
Troïka, ils ne croyaient pas que ce « gamin » de Tsipras
« avait les épaules » pour gérer le pays dans cette
situation.
Or depuis son arrivée au pouvoir, Tsipras
et le gouvernement ont levé ces doutes. Ils ont à la fois manifesté
leur détermination à tenir leurs engagements et leur préparation
au pouvoir (de nombreux textes législatifs sont prêts). Et comme je
l’ai dit dans un récent entretien avec Antoine Reverchon du Monde,
le discours de restauration de la dignité nationale, dans un pays
dont l’histoire est émaillée d’innombrables ingérences
occidentales, où l’on a le sentiment que l’Europe occidentale
ignore les contraintes géostratégiques propres à la Grèce, lui a
refusé toute réelle solidarité face à la persistante menace
turque, où l’on a vécu douloureusement les propos dévalorisants,
essentialisants - pour ne pas dire racistes - qui ont été diffusés
en Allemagne et ailleurs en Europe de l’Ouest afin de justifier la
« stratégie du choc » imposée par la Troïka… ce
discours porte bien au-delà de la base électorale de Syriza le 25
janvier dernier.
Au premier rang
des propos racistes que vous évoquez, on entend beaucoup, y compris
chez ceux qui se présentent comme d'ardents défenseurs de l'Europe,
nombre de considérations sur les Grecs qui ne paieraient pas
d'impôts, la fraude, la corruption. Qu'en pensez-vous ?
On a beaucoup parlé de la fraude et de
l’évasion fiscales en Grèce, en oubliant de préciser ce que, là
comme ailleurs, elle doit à des paradis fiscaux installés au cœur
de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’Autriche ou du
Luxembourg - dirigé si longtemps par l’ancien président de
l’Eurogroupe et actuel président de la Commission européenne.
Mais le problème fiscal de la Grèce, c’est avant tout celui de la
faible imposition du capital (8 % contre une moyenne de 13,4 % en
Europe) et des innombrables niches fiscales dont bénéficient les
plus riches. Un régime fiscal qui profite à une caste économique
qui vit en symbiose avec la caste politique ND-PASOK que Berlin,
Paris et Bruxelles tenaient tant à voir rester en place, alors que
c’est elle qui a conduit le pays là où il en est. Un régime
fiscal que la Troïka, seulement soucieuse de couper dans les
dépenses sociales, n’a rien fait pour changer. Mais un régime
fiscal auquel Syriza a promis de s’attaquer.
On a aussi beaucoup parlé de corruption,
mais la grande corruption bénéficie d’abord aux corrupteurs, en
l’occurrence les groupes d’armement, de travaux publics, de
grandes surfaces commerciales ou bancaires d’Europe occidentale.
Elle a bénéficié ensuite aux responsables politiques ND-PASOK,
arrosés (on dit huilés en grec) durant de longues années. Elle a
pénalisé le contribuable grec qui doit payer le surcoût des
pots-de-vin dans le prix des marchés attribués. Et elle a contribué
- pas qu’un peu ! - à creuser la fameuse dette ! Or il
faut rappeler que le champion toutes catégories de la corruption, en
Grèce, se nomme Siemens et que les industries d’armement allemande
et française, dont la Grèce a été régulièrement le deuxième et
le troisième clients, figurent tout juste après. Là encore, la
volonté du gouvernement de combattre la corruption (un ministre
d’État a été exclusivement chargé de ce dossier), celle du
ministre de la Défense « Grec indépendant » de rouvrir
tous les dossiers de marchés d’armement, recueillent un écho
positif dans de très larges secteurs de la société… en même
temps – allez savoir ! – qu’ils éveillent peut-être des
inquiétudes à Berlin et Paris.
On a enfin beaucoup parlé de
clientélisme, mais ce clientélisme est le fait de la ND et du PASOK
qui ont alterné au pouvoir depuis 1974. Il a alimenté la petite
corruption, celle des enveloppes qu’on remet à un agent public
pour s’assurer un service dû, dans un système où le salaire des
fonctionnaires était déjà traditionnellement bas. Cette
corruption-là se résorbera lorsque les fonctionnaires auront des
salaires leur permettant de vivre décemment et qu’ils seront
recrutés sur la compétence, non sur la recommandation d’un
« patron » ND ou PASOK. Or la Troïka, en coupant dans le
salaire des fonctionnaires (30 à 40 %), n’a fait que rendre les
enveloppes plus vitales pour un grand nombre d’entre eux. Or la
Troïka, en imposant le licenciement de fonctionnaires (en
contravention avec leur statut), n’a fait que renforcer le pouvoir
des « patrons » qui ont choisi qui resterait et qui
serait licencié. Pour beaucoup de Grecs, bien au-delà de
l’électorat de Syriza, l’arrivée de ce parti au pouvoir c’est
donc aussi l’espoir d’en finir avec ce système de prédation
organisé et cogéré par la ND et le PASOK, au profit de la ND et du
PASOK, que la Troïka n’a strictement rien fait pour combattre, et
d’autant moins que son but était la perpétuation au pouvoir du
couple ND-PASOK dont elle était assurée de la docilité.
Quels sont les espoirs des Grecs
aujourd’hui ? Désirent-ils avant tout un compromis avec
l’Union européenne ? Craignent-ils une rupture ?
C’est bien difficile à dire ! Ce
qui est certain, c’est que la « stratégie du choc »
appliquée à la Grèce a été d’une telle violence, n’épargnant
que la mince caste sociale dominante, qu’elle suscite un rejet bien
plus large que la base électorale de Syriza. Elle a dynamité le
droit du travail et l’État social, généré un chômage de masse
supérieur à ce qu’il était aux États-Unis au pire de la Grande
Dépression des années 1930, mis hors d’état de fonctionner
correctement les établissements d’enseignement public, privatisé
un tiers de l’enseignement supérieur et supprimé un autre tiers,
privé de toute couverture maladie un tiers de la population, faisant
exploser le nombre des suicides et les troubles psychiques, la
toxicomanie et les contaminations VIH (toute médecine préventive a
disparu), la mortalité infantile (les taux de vaccination se sont
effondrés faute d’accès aux soins). On ampute, on devient aveugle
pour cause de diabètes non soignés, les cancers sont pris en charge
trop tard, lorsqu’ils sont encore pris en charge, générant une
hausse de la mortalité… Les salaires et pensions ont été réduits
de 30 % à 40 % tandis que les impôts et taxes ne cessaient
d’augmenter, conduisant à un processus rapide de disparition des
classes moyennes. Des permis de saccage écologique ont été donnés
à des multinationales minières et les résistances locales
(Skouriès en Chalcidique pour une mine d’or) ont fait l’objet
d’un emploi manifestement disproportionné de la force et des gaz.
Le patrimoine archéologique a été mis en danger par les réductions
d’effectifs, les vols et la multiplication des fouilles sauvages
qui en ont résulté… Au total, la Grèce a perdu, dans cette
« stratégie du choc », le quart de son PIB et le tiers
de sa production industrielle. Pendant ce temps, cette politique
censée réduire la dette (100 % du PIB avant la crise), la faisait
grimper à 175 % du PIB en 2014.
On a peine à imaginer, d’ici, la
violence et la rapidité du processus de paupérisation de masse
visant en réalité à détruire les solidarités sociales et les
capacités de résistance collective en renvoyant les individus à la
nécessité de survie quotidienne.
Le vote du 25 janvier est donc
l’expression d’une volonté de rupture avec cette politique qui a
violenté et déstructuré une société tout entière - pour des
résultats catastrophiques : les soi-disant indices de
redressement de l’économie grecque sont des trompe-l’œil.
C'est aussi l’expression forte d'une
volonté de retour à la souveraineté populaire, du désir d'un
peuple de se réapproprier son propre destin...
Exact. Pendant cinq ans, des
fonctionnaires européens sans aucune légitimité démocratique, ne
connaissant rien ni au pays ni à la société grecque, se sont
substitués aux autorités constitutionnelles pour imposer des
mesures prises de manière technocratique, hors de tout contrôle
démocratique. La Troïka a violé la Constitution grecque en ne
respectant pas ses principes fondamentaux, elle a imposé l’adoption
de nombre de mesures illégales, manifestant le peu de cas qu’elle
faisait de l’État de droit - alors que celui-ci et la démocratie
figurent dans les principes de l’UE. Elle a en outre piétiné les
prérogatives du Parlement en le forçant, sous menace d’un arrêt
des crédits, à adopter des mémorandums contenant des centaines de
pages, sous la forme d’un article unique autorisant le gouvernement
à transposer dans le droit les mesures contenues dans ces
mémorandums, privant ainsi le Parlement de toute possibilité
d’amender les textes - pourtant fondement essentiel de la
démocratie parlementaire.
Aussi le nouveau Premier ministre, comme
la nouvelle présidente du Parlement, ont-ils particulièrement
insisté, dans leurs premiers discours, sur le respect scrupuleux de
la Constitution, de la procédure législative qui y est fixée, sur
la fin des abus des procédures d’urgence et le respect du droit
d’amendement des députés.
J’avais écrit dans mon blog, avant le
25 janvier, que le résultat du scrutin dépendrait avant tout du
nombre de gens qui, en 2012, pensaient avoir encore quelque chose à
perdre et qui, après deux ans et demi de plus de Troïka,
penseraient, à tort ou à raison, ne plus avoir rien à perdre.
L’ironie de ce processus c’est que l’intransigeance, l’autisme,
la morgue de l’Allemagne et de l’UE ont joué un rôle décisif
dans la défaite de leurs collaborateurs locaux ND-PASOK. Sans doute,
avec un peu plus de modération, de souplesse, d’intelligence, de
respect pour la démocratie et pour le peuple grec, les apprentis
sorciers de Berlin et de Bruxelles auraient-ils pu l’éviter :
les responsables allemands et la Troïka ont incontestablement été
les meilleurs agents électoraux de Syriza ! Comme aujourd’hui
les pressions, les intimidations et les menaces venant d’Allemagne,
de l’UE et de la BCE ont pour principal effet de souder les Grecs
derrière le gouvernement dans un réflexe de type « salut
public ».
Pour le reste, peu de Grecs, je crois,
pensent que leur sort va s’améliorer rapidement mais, une fois
sauté le pas, je crois aussi que la plupart d’entre eux refusent
tout retour en arrière. Quel que soit le risque. Mon ami Panagiotis
Grigoriou, historien et sociologue, qui tient l’indispensable bloggreekcrisis.fr et a publié La Grèce fantôme, voyage au bout de la crise (2010-2013) chez Fayard (2013), m’écrivait la semaine
dernière que l’ambiance ressemblait, à Athènes, à
« quelque chose comme un août 1944 par exemple. Même ceux qui
ont voté ND se disent à présent syrizistes. Les gens rejettent
aussi l'euro et cela de plus en plus. Dans les mentalités l'UE est
morte, sauf chez de nombreux jeunes, je crois, et chez les
universitaires ! »
D’autres témoignages que je reçois
vont dans le même sens : on ne souhaite pas la rupture, on ne
souhaite pas la sortie de l’euro, mais si elles interviennent, on
fera avec. Un sondage d’opinion indiquait au début de février que
9,5 % des Grecs espéraient une sortie de l'euro, que 33 % pensaient
qu'elle n'interviendrait pas et que 35,5 % la redoutaient.
Quid du gouvernement Tsipras lui-même ?
Il ne se distingue pas, loin s’en faut, par des prises de positions
eurosceptiques. On le qualifie abusivement de « radical »
mais il a toujours affirmé vouloir servir sa dette, vouloir demeurer
dans l’union monétaire et tient un discours plutôt modéré.
Pourrait-il durcir ses positions et dans quelles conditions ?
Syriza n’est pas un parti monolithique
et cela tient à son histoire. En 1968, le KKE se scinde. Illégal en
Grèce depuis 1947, sa direction en exil dans le bloc soviétique ne
s’est déstalinisée que partiellement. Ceux qui font sécession
dénoncent à la fois la gestion autoritaire de la direction,
l’insuffisante critique de la stratégie qui a conduit à la guerre
civile et veulent privilégier l’action clandestine contre la
dictature à l’intérieur, qu’ils accusent la direction de
négliger. Lors du retour à la démocratie, en 1974, la Grèce aura
donc deux partis communistes. Le premier se momifie dans une
idéologie immuable, réhabilite même ses dirigeants staliniens,
refuse l’unité d’action avec Syriza dans les mobilisations
populaires contre la politique de la Troïka et continue aujourd’hui
à dire que la ND ou Syriza c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
Le second parti communiste, dit de
l’intérieur, va évoluer vers ce qu’on appelle alors
l’eurocommunisme, critiquer le système soviétique, abandonner le
léninisme, s’ouvrir aux revendications féministes ou
homosexuelles... C’est ce parti-là qui est le noyau de Syriza, et
autour de ce noyau vont progressivement s’agréger des
intellectuels de gauche qui ne se reconnaissent ni dans le communisme
ni dans la pratique du pouvoir du PASOK, des communistes critiques
(l’actuel vice-Premier ministre Dragasakis siège au comité
central du KKE jusqu’en 1991), des formations écologiste,
trotskiste, maoïste, citoyennes d’où naît Syriza (Coalition de
la gauche radicale) en 2004.
Durant des années, cette gauche
intellectuelle qui coagule dans Syriza est la seule véritable
« boîte à idées » d’une vie politique grecque
dominée par le bipartisme, le clanisme de grandes familles et le
virage libéral du PASOK sous l’égide du Premier ministre Simitis
(1996-2004), le « Rocard grec ». Mais Syriza plafonne
électoralement à 5 %. Quant à sa radicalité, elle est toute
relative ! Les communistes et gauchistes des origines ont tous
évolué vers le réformisme, le néo-keynésianisme, la
redistribution. J’ai coutume de dire que Syriza aujourd’hui est
notablement moins à gauche que la gauche gaulliste ou de la
démocratie chrétienne italienne des années 1960 !
Ce n’est qu’en 2014 que les
différentes formations coalisées dans Syriza ont décidé de se
fondre en un parti unitaire. Pour autant, toutes les composantes de
Syriza ne sont pas sur la même ligne. Car au Syriza originel s’est
ajoutée une aile droite composée pour l’essentiel d’anciens du
PASOK, en désaccord avec leur parti d’origine sur la soumission à
la Troïka, Tsipras se trouvant en quelque sorte au centre. La
politique qui sera suivie dépendra en partie des équilibres
internes. La « plate-forme de gauche », par exemple, est
ouvertement pour une sortie de l’euro. Et Tsipras vient d’être
mis en minorité sur le choix du candidat à la présidence de la
République : il voulait faire élire le commissaire européen
Avramopoulos, un ancien rival de Samaras pour la présidence de la
ND, ce qui lui aurait permis de nommer un commissaire proche de
Syriza. Mais une majorité des instances de direction du parti a jugé
ce candidat trop mémorandien, et Tsipras a été obligé d’y
renoncer au profit du juriste Pavlopoulos, un centriste de la ND, lié
au clan Karamanlis hostile à Samaras (il a notamment été
conseiller du président Konstantinos Karamanlis en 1990-1995, à
l’époque où celui-ci faisait figure de « père de la
nation »), qui a dénoncé comme anticonstitutionnelles
certaines des mesures prises en application des mémorandums. Tsipras
a donc obtenu l’ouverture à droite qu’il souhaitait, mais la
gauche du parti l’a forcé à choisir un conservateur acceptable
pour elle - et soutenu par les Grecs indépendants, partenaires de la
coalition, dont les positions à l’égard de la Troïka, de l’UE
et de l’euro sont à certains égards plus proches de la gauche de
Syriza que des anciens PASOK.
Syriza n’est donc pas un parti
capolarisé où le chef décide de tout. Et ceci est important pour
l’avenir.
Et donc, pour en revenir à la position
de Syriza sur l'euro ?
|
Version 2015 de l'enlèvement d'Europe (dessin grec) |
Je pense qu’elle se pose de la façon
suivante : Syriza ne pouvait pas faire campagne en prônant une
sortie de l’euro, comme l’ont fait d’autres petits partis de
gauche (Plan B, EPAM, Antarsya). L’opinion reste majoritairement
attachée à la monnaie unique, essentiellement par crainte des
conséquences d’un retour à la drachme. Dire que la sortie de
l’euro s’imposerait, c’était prendre le risque de perdre les
élections et donc de la poursuite des mémorandums. Il ne pouvait
non plus donner comme horizon un défaut sur la dette.
Mais en même temps, Syriza a répété
qu’il n’y aurait plus aucun sacrifice pour l’euro et l’on a
entendu certains de ses candidats, durant la campagne, dire par
exemple que si la BCE, comme elle l’a fait à Chypre, cessait
d’approvisionner la Grèce en liquidités, la Banque de Grèce
devrait imprimer elle-même des euros… Les arbitrages définitifs
sur ces questions ont-ils été rendus ? Je ne le crois pas, et
dans une situation aussi mouvante, qui peut assurer que des
arbitrages rendus hier seront encore valables au lendemain d’un
coup de force des institutions européennes ? Nous sommes dans
une dynamique, pas dans une guerre de tranchée.
Dès lors la question est celle des
convictions. Les membres du gouvernement sont-ils convaincus qu’ils
peuvent mener une « autre politique » à l’intérieur
de la cage de fer de l’euro et des traités européens ? Et
obtenir des partenaires européens les concessions qui leur
permettraient de la mener ? Si oui, à mon avis ils se trompent,
et s’ils n’ont pas préparé une option de rechange, ils se
trouveront dans la situation de devoir capituler. A propos de la
situation de Papandréou face à Merkel et Sarkozy en 2009-2010, j’ai
écrit dans La Grèce et les Balkans : « en entrant
dans la négociation sans alternative à son échec – moratoire sur
le paiement des intérêts et le remboursement de la dette, défaut
partiel voire sortie de l’euro, afin d’exercer des pressions sur
l’Allemagne et la France dont les banques, importantes détentrices
de dette grecque, avaient beaucoup à perdre –, le gouvernement
PASOK s’est mis d’emblée en position d’accepter même
l’inacceptable ». La situation de Syriza est la même
aujourd’hui et s’il met ses pas dans ceux du PASOK, il subira le
même sort, en ouvrant toute grande la porte aux néonazis d’Aube
dorée.
Mais le gouvernement Grec sait
probablement tout cela. D'abord ils ont dû étudier de près les
raisons de l'effondrement du PASOK. Ensuite, Varoufakis, par exemple,
a la réputation d'être un économiste assez brillant. Est-il
imaginable qu'il n'ait pas compris que l'euro est condamné ?
Disons qu'il y a une autre possibilité,
c'est que Syriza ait entamé des négociations tout en sachant
qu’elles avaient peu de chance d’aboutir. Durant cette période,
on mobilise l’opinion (les manifestations de soutien au
gouvernement se sont multipliées dans toute la Grèce) sur le thème
de la dignité retrouvée, du « salut public », tout en
créant les faits accomplis de rupture avec les politiques de la
Troïka, comme le vote par le Parlement du premier train de mesures
sociales. Durant cette période, on prépare la sortie de l’euro,
en s’assurant d’aides extérieures à l’Europe : l’intérêt
géostratégique de la Grèce lui donne des cartes à Washington
comme à Moscou. Puis on utilise les innombrables bévues de l’UE,
la morgue allemande, les pressions et les menaces qui heurtent le
patriotisme grec pour dresser, le moment venu, devant l’opinion, le
constat que la sortie de l’euro s’impose.
L’avenir tranchera, mais le 17 février
Varoufakis, écrivait dans le New York Times (Source : blog d’Olivier Berruyer) : « Le problème (... c'est)
que nous vivons dans un monde où l’on est entravé par la peur des
conséquences. Dans un monde où il n’existe aucune circonstance où
nous devons faire ce qui est juste, non pas en tant que stratégie,
mais simplement parce que c’est… juste. Nous mettrons un terme,
quelles qu’en soient les
conséquences, aux accords qui sont mauvais pour la Grèce
et pour l’Europe (...) Finis les programmes de « réformes » qui
visent les retraités pauvres et les pharmacies familiales tout en
laissant intacte la corruption à grande échelle. » Il ne me
semble pas que ce soit un discours préparatoire à une capitulation.
En somme, si je veux résumer mon
sentiment, Merkel ne veut plus de l’euro qui n’a jamais été viable et qui coûterait trop cher à l’Allemagne s’il devait le
devenir par les transferts qu’il exige. Mais elle ne veut pas
porter la responsabilité de sa disparition et fera tout pour la
faire porter aux Grecs. Le gouvernement grec est, à mon avis, tout
aussi convaincu que l’euro n’est pas compatible avec la politique
qu’il s’est engagé à conduire et que l’Allemagne ne
consentira pas aux transferts qui pourraient aboutir à ce que cette
monnaie absurde cesse d’enrichir les riches et d’appauvrir les
pauvres. Mais il ne pouvait le dire avant les élections et il fera
tout pour faire porter la responsabilité de la sortie de la Grèce,
aux yeux de son opinion, à l’Allemagne et à l’UE.
L’idée que la Grèce pourrait, en
cas de compromis introuvable avec l'UE, se tourner vers la Russie ou
même vers la Chine. Au regard de l’histoire grecque, cela vous
semble-t-il envisageable ?
Ce qui est certain, c’est qu’on entend
de plus en plus, en Grèce, dire que si les Européens de l’Ouest
croient que l’UE est pour la Grèce un choix contraint et unique,
ils se trompent.
En ce qui concerne la Chine, la
privatisation de deux terminaux du port du Pirée au profit du
chinois Cosco, en 2009, a certes conduit à une augmentation du
trafic, mais au prix de la réduction du personnel au rang de main
d’œuvre corvéable à merci, de la suppression de tous horaires
réguliers, de tout droit syndical, de toute protection contre le
licenciement. Cosco, qui a fait du Pirée sa principale implantation
portuaire en Europe, était candidat à la reprise des autres
terminaux. La mauvaise humeur de Pékin a donc été exprimée sans
ambages lorsque le gouvernement a annoncé son intention de mettre
fin au processus de privatisation du Pirée, mais l’invitation de
Tsipras en Chine a suivi de peu. Difficile de dire aujourd’hui si
un « deal » interviendra et quelle sera sa nature.
Pour ce qui est de la Russie, la Grèce a
toujours eu des liens particuliers avec elle, à l’exception de la
période qui suit la guerre civile. En 1830, la Grèce doit la
reconnaissance de son indépendance par l’Empire ottoman à une
intervention militaire russe dans les Balkans (et d’un corps
expéditionnaire français dans le Péloponnèse). En 1854, les
Français et les Anglais débarquent des troupes au Pirée et
imposent à la Grèce un « gouvernement d’occupation »
pour l’empêcher de se joindre à la Russie durant la guerre de
Crimée, dont les Grecs espéraient, en cas de victoire russe, une
extension de leur territoire à la Crète, à la Thessalie, à
l’Epire, à la Macédoine et à la Thrace. Au début des années
1910, la Russie patronne la ligue des Etats balkaniques qui va
permettre à la Grèce, en 1912-1913, d’achever sa construction
territoriale.
Les deux pays ont également en commun
la tradition orthodoxe, et des relations économiques soutenues que
les sanctions européennes à l'encontre de la Russie ont beaucoup
contrariées...
Tout à fait : la Russie est un
client important pour la Grèce, et les sanctions économiques ont
durement touché une économie grecque déjà mise à terre par la
Troïka. Les agriculteurs grecs ont regardé pourrir sur pied les
fruits et légumes d’ordinaire exportés en grande partie vers la
Russie ; quant à la baisse du rouble qu’ont entraînée les
sanctions européennes, elle a sérieusement affecté le secteur
touristique. Troisième ou quatrième groupe national par le nombre
depuis plusieurs années, les touristes russes ont payé, en hiver,
avant la chute du rouble, leurs prestations estivales à leurs
tour-operateurs russes, alors que ceux-ci devaient payer les
prestataires de service grecs après la dévaluation, si bien que
plusieurs de ces sociétés russes ont fait faillite en laissant en
Grèce des milliers de nuitées impayées.
Et du point de vue géo-économique?
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South Stream => Turkish Stream |
On sait que la Russie a annulé, en
décembre 2014, la construction du gazoduc South Stream. En revanche,
elle a signé un accord avec la Turquie pour la réorientation d’unepartie des fournitures de gaz vers ce pays qui pourrait avoir un prolongement vers la Grèce. Et Tsipras est invité à Moscou. Pour
la Grèce qui, depuis 1974, ne peut mettre en valeur les ressources
en hydrocarbures de la mer Egée, à cause de la contestation par la
Turquie, sous menace de guerre, de ses droits économiques, et de la
totale absence de solidarité européenne sur ce dossier comme sur la
question chypriote, un contrat gazier à prix d’ami pourrait
présenter bien des avantages !
Athènes et Moscou ont donc un intérêt
mutuel à un rapprochement. Dès les premiers jours du gouvernement
Tsipras, le nouveau ministre des Affaires étrangères a vertement
rappelé à Bruxelles que la politique étrangère commune était du
domaine de l’intergouvernemental et qu’il n’était pas question
que la Grèce laisse passer une déclaration sur de nouvelles
sanctions contre la Russie, alors que le gouvernement grec n’avait
pas été consulté. Puis, lors de son premier déplacement à
l’étranger, à Chypre où les intérêts russes, très présents,
ont souffert du « plan d’aide » européen qui a
ponctionné tous les dépôts bancaires, Tsipras a déclaré que la
Grèce et Chypre avaient pour vocation d’être un pont entre l’UE
et la Russie.
Ce qui est amusant, c'est que la Grèce,
membre d'une Union européenne supposée rapprocher ses États-membres
et garantir la solidarité entre les peuples, est abandonnée par
tous ses partenaires, la France faisant d'ailleurs preuve dans cette
affaire d'une lâcheté toute particulière. En revanche, Athènes a
certes reçu des témoignages d'amitié de Poutine mais également...
d'Obama !
Cela tient au fait que la position
géostratégique de la Grècce se réévalue aussi pour les
États-Unis. La base aérienne crétoise de Souda a été d’une
importance capitale dans le bombardement d’une Libye que
l’intervention franco-anglaise a jeté dans un chaos qui pourrait
justifier de nouvelles opérations. Et puis la Grèce est également
importante, pour Washington, au regard de l’inquiétante dérive
islamiste, autoritaire et mégalomaniaque de la Turquie d’Erdogan,
dont le jeu à l’égard du mouvement État islamique en Irak et au
Levant est plus que trouble...
Ainsi la déclaration du président Obama en faveur d'une stratégie de croissance en Grèce, précisant qu'on « ne peut continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression », est-elle à remettre dans ce contexte géostratégique - que l'UE semble ignorer-, où la déstabilisation d'une Grèce exsangue à côté d'une Turquie pour le moins ambiguë, d'un Proche-Orient et d'une Libye plongés dans une dangereuse confusion, pourrait bien conduire à de nouvelles catastrophes.