Au soir du lundi 27 février, François Hollande était l’invité de la seconde édition de Parole de candidat, la nouvelle émission de TF1 dédiée à l’avant-présidentielle. Il y a répondu aux questions d’un « panel représentatif de Français », selon l’expression consacrée.
Le « format de l’émission » ne donne pas le choix aux candidats: pas question pour eux de briller à l’occasion d’une harangue vibrante et inspirée. Nous ne sommes pas là à un meeting, pas même devant un débat : nous assistons à un spectacle. Les présidentiables doivent y parler chirurgie dentaire avec les dentistes, élevage bovin avec les agriculteurs, brushing et bigoudis avec les coiffeurs, dépression nerveuse avec les enseignants. Ils ne sont pas là pour s’adresser à des citoyens, mais pour bavarder avec de « vrais gens ». Et les « vrais gens », ils veulent qu’on soit proche d’eux : c’est TF1 qui nous l’assure.
Force est de l’admettre, François Hollande a bien réussi l’exercice. Lui-même s’est montré un « vrai gens » tout à fait acceptable, un de ceux avec lesquels on irait volontiers boire un café. Ainsi que l’explique ici Gérald Andrieu, le candidat socialiste « se sera comporté en parfait Monsieur Dugenou, se montrant conscient des problèmes des Français, maîtrisant du moins assez bien ses dossiers pour ne pas avoir à faire des effets de manche ».
François Hollande a donc été bon. Et pourtant….
Pourtant, en ce qui me concerne, je n’ai pas réussi à regarder l’émission jusqu’au bout. Pas plus que je n’y étais parvenue la semaine dernière alors que François Bayrou et Eva Joly en étaient les invités. Je n’impute pas à Hollande le fait de m’être sentie accablée par l’ennui lorsqu’il s’est agi de débattre du tarif des Lucky Strike avec un « vrai gens » réellement buraliste. Dès lors, je vous conjure, quant à vous, de ne pas imputer ce symptôme à mon « pédantisme élitiste putatif de plumitive pathétiquement parisianocentrée ». Je suis moi aussi un « vrai gens », et je le revendique. J’ai des tas de « vrais problèmes » qui vont du prix du chauffage au gaz à celui du dentifrice, en passant par la surpopulation dans les transports en commun, l’implantation des antennes-relai et la crainte de manger des organismes mi-halals, mi-génétiquement modifiés.
Pourtant, durant de longs passages de Parole de candidat, je me suis sentie « non concernée ». Et pour cause : donner la parole à un panel, ce n’est rien d’autre que présenter la somme compacte de préoccupations individuelles. Or cela ne suffit en aucun cas à refléter l’état de la « vraie France », pas plus que la somme des intérêts particuliers ne suffit à constituer l’intérêt général.
Ainsi, l’émission de TF1 est sans doute la tribune rêvée pour celui qui souhaite tout à la fois faire la preuve de sa dextérité intellectuelle, de sa facilité à passer du coq à l’âne en passant par les veaux, vaches et autres cochons, et de sa proximité avec « le peuple ».
Las, le peuple est bien plus qu’un conglomérat de situations particulières. A vouloir conforter chacun dans l’idée que ses problèmes personnels intéressent tout le monde, on flatte le nombrilisme de l’individu, mais on ne nourrit pas la réflexion du citoyen. On m’objectera sans doute que les « vrais gens » s’intéressent peu aux « grands problèmes ». C’est bien mal les connaître, et fort peu les estimer ! Certes, lorsqu’on donne à la plèbe du pain et des jeux, elle sait s’en satisfaire. Mais, si l’on donne à l’assemblée des citoyens des nourritures spirituelles, on peut légitimement espérer qu’elle saura s’en saisir.
L’Europe ? Qu’on nous explique, nous comprendrons ! La domination mondiale de la « Chinamérique » ? Qu’on nous en parle et nous écouterons ! Les grandes problématiques industrielles, du nucléaire à l’avion Rafale ? Informez-nous, nous apprendrons !
Le philosophe Alain disait : « désespérer de quelqu’un, c’est le désespérer ». Autrement dit, il est facile de claquemurer chacun dans ses préoccupations égoïstes : nous sommes ainsi faits que nous savons, quand il le faut, nous contenter de fort peu. Mais qu’on se mette à croire que le peuple est intelligent, que l’action collective l’intéresse, et à envisager que les « vrais gens » soient capables de sortir d’eux-mêmes pour se projeter dans un avenir commun. On sera alors surpris.
Proposez-nous des talk-shows télévisés à consommer mollement un paquet de chips à portée de main et une binouze au bord des lèvres : le 6 mai prochain, nous élirons sans enthousiasme celui qui se sera montré le meilleur acteur.
Donnez-nous du fond, du vrai, même (et surtout) si c’est difficile. Alors, nous élirons…un Président !
______________________________